L’échec de la réforme de 2006

I. L’introduction par la loi du 24 juillet 2006 des refus de séjour avec obligation de quitter le territoire, décisions dites « OQTF », sans réelle réflexion préalable sur ses effets prévisibles, est un échec patent.

Aujourd’hui le bilan de la loi du 24 juillet 2006 est unanimement partagé : il s’agit d’un échec !

Les deux objectifs qu’elle poursuivait, à savoir la diminution du volume global de recours présentés devant la juridiction administrative par des étrangers en situation irrégulière et une meilleure exécution des mesures d’éloignement, n’ont pas été atteints.

Au contraire : le nombre de recours est en augmentation sensible et le taux d’exécution de ces nouvelles OQTF reste à peu près le même.

Cette réforme a, notamment, généré de très graves difficultés dans le fonctionnement des juridictions de première instance les plus concernées par le contentieux des étrangers.

Ces difficultés, dénoncées par les organisations syndicales, ont été reprises par la commission présidée par Pierre Mazeaud, qui a remis son rapport en septembre 2008 en alertant les pouvoirs publics sur la dégradation de la situation constatée, déjà, à cette époque.

En effet l’obligation de juger en trois mois impose de traiter ce contentieux en priorité, dans des conditions d’abattages insupportables. En outre cette procédure a pour effet, particulièrement dommageable, de retarder sensiblement le traitement de l’ensemble des autres litiges. De fait, plusieurs juridictions ne peuvent plus respecter le délai de trois mois.

D’autre part le caractère suspensif (de la possibilité de procéder à l’éloignement de l’étranger) de ce recours a eu pour effet un fort accroissement du taux de recours contre ces décisions, notamment dans les juridictions franciliennes,

Par ailleurs les effets malthusiens attendus de cette réforme sur le nombre de procédures de reconduite à la frontière –dont il était prévu le quasi assèchement – a été d’une ampleur relativement faible.

Enfin l’augmentation sensible du nombre de recours contre les OQTF en première instance s’est accompagné d’une explosion des appels interjetés contre les décisions de première instance, la situation des juridictions d’Ile de France étant particulièrement révélatrice à cet égard.

Certes, un effort particulier a été fait avec la création, fin 2009, du Tribunal administratif de Montreuil.

Depuis le diagnostic de la commission Mazeaud, les choses n’ont fait qu’empirer et la situation est critique, notamment en Ile de France et dans les juridictions des grandes métropoles.

II Pour remédier à ces – graves – difficultés, au lieu de réformer la procédure dite OQTF, il n’a rien été trouvé de mieux que de … supprimer des garanties juridictionnelles pour faciliter la transition vers une justice d’abattage !

Depuis une vingtaine d’années, pour faire face à l’accroissement parfois exponentiel du contentieux devant les juridictions administratives, les pouvoirs publics ont fait le choix de traiter la question, d’abord, par des réformes de procédure.

Nous avons aujourd’hui atteint – et même dépassé – les limites de cette démarche.

L’USMA refuse de laisser porter atteinte à un système juridictionnel qui a fait ses preuves pour pallier les difficultés du ministère de l’intérieur dans la gestion des problèmes posés, notamment, par les conséquences de la loi de juillet 2006 (OQTF) sur l’organisation des juridictions.

2. 1 La première étape consiste dans l’extension de la possibilité de statuer par ordonnance sur les OQTF, en appel.

Faut-il rappeler que la procédure des ordonnances, qui n’est utilisable que pour rejeter la requête, ne prévoit ni audience ni procédure contradictoire ?

L’USMA avait manifesté son opposition à ce projet dès le mois de juin dernier en maintenant son appel à la grève.

Nous avions affirmé que c’est sur la réforme des OQTF, – unanimement appelée de leurs vœux par les organisations syndicales et la commission Mazeaud – que les pouvoirs publics devraient porter leur attention et leurs efforts.

Nous constatons aujourd’hui que la méthode privilégiée est, au contraire, celle consistant à traiter le problème par le biais … de l’amenuisement des garanties juridictionnelles !

Le décret prévoyant l’extension devrait être publié dans les jours qui viennent.

2.2 La deuxième vague est prévue avec la disparition programmée du rapporteur public en matière d’OQTF.

Le rapporteur public constitue la marque – la signature – de la juridiction administrative, une garantie essentielle du bon fonctionnement des juridictions et de la qualité de la justice rendue.

Il avait, jusqu’à présent, échappé au couperet.

Aujourd’hui, nous l’avons dit, le bilan de la loi du 24 juillet 2006 est unanimement partagé : il s’agit d’un échec !

Croit-on que le bon réflexe serait de revenir, purement et simplement, sur le dispositif OQTF mis en place ?

Ce serait bien trop simple !

Ce serait oublier que la nouvelle procédure OQTF a aussi abouti à l’engorgement des juridictions – notamment dans la région parisienne – et à l’asphyxie de ceux d’entre nous qui acceptent encore d’assumer les fonctions de rapporteur public.

La réforme consistera donc fort logiquement ( ! ) à … supprimer le rapporteur public en matière d’OQTF !

L’USMA s’y opposera avec la plus grande fermeté.

III La solution a pourtant été tracée dès 2008, c’est-à-dire avant que la situation ne prenne le tour catastrophique qu’elle connaît aujourd’hui, par le rapport Mazeaud

L’USMA l’affirme depuis le début, le rapport Mazeaud l’a écrit noir sur blanc : la solution consiste à faire disparaître le délai de trois mois et à ne conserver le caractère suspensif du recours qu’aux seuls cas dans lesquels l’étranger a été placé en rétention ou assigné à résidence en vue de son éloignement effectif.

Les conclusions du rapport sur ce point sont claires et articulées autour de trois idées :

 absence d’effet suspensif du recours contre la décision de refus de séjour ;

 une mesure d’éloignement ne doit être prise que lorsque l’étranger est « sous main de police » ;

 seule une requête dirigée contre une mesure d’éloignement doit en suspendre l’exécution.

C’est en effet la seule situation dans laquelle le caractère suspensif du recours est utile : lorsque la mesure d’éloignement est imminente, c’est-à-dire lorsque l’administration est en mesure de procéder à l’exécution de sa décision d’OQTF, le recours formé précédemment devant le juge devient suspensif d’exécution de cette mesure. Ainsi, dès qu’il est placé en rétention, l’étranger ne peut être reconduit à la frontière tant que le juge n’a pas statué (dans le délai de trois jours déjà en vigueur) sur la légalité de l’OQTF.

Monsieur le ministre de l’immigration, la réforme des OQTF verra-t-elle le jour avant la disparition des dernières garanties juridictionnelles ?