Projet de loi pour la justice 2018-2022 : l’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2018

Voir notamment le Titre III qui est spécifiquement consacré aux juridictions administratives (§ 38 et s.)

Assemblée générale
Section de l’intérieur
Séance du jeudi 12 avril 2018

 Le Conseil d’État a été saisi le 16 mars, puis le 29 mars 2018 – sous la forme d’une saisine rectificative – d’un projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022. L’étude d’impact accompagnant le texte a été également complétée le 29 mars 2018, puis le 11 avril 2018.

Présentation générale

2.            Le projet de loi, qui comprend soixante-deux articles, répartis en sept titres, vise à promouvoir un meilleur fonctionnement de la justice, en augmentant les moyens qui lui sont affectés et en engageant de nombreuses réformes, mises en place par le texte ou par de futures ordonnances que ce dernier habilite à prendre.
Le Conseil d’ État estime que le contenu de ce projet pourrait être plus justement reflété si, comme il le propose, son intitulé est modifié pour reprendre les termes suivants : « projet de loi de programmation 2018 – 2022 et de réforme pour la justice ».

3.            Ainsi que le Conseil d’État l’a déjà admis à plusieurs reprises, la coexistence, au sein d’un même projet de loi, de dispositions de programmation relevant de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution et de dispositions normatives, que celles-ci modifient directement les règles de droit, habilitent le Gouvernement à prendre des ordonnances ou autorisent des expérimentations, ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, sous réserve que, aux fins d’assurer les exigences de lisibilité et d’intelligibilité de la loi, les dispositions de programmation fassent l’objet d’une présentation clairement séparées des autres. Le Conseil d’ État relève que tel est le cas en l’espèce.

4.            Le titre Ier, qui constitue la partie programmatique du projet de loi, comporte un unique article relatif aux objectifs de la justice pour les années 2018 à 2022 et à la programmation des moyens nécessaires à leur réalisation. Il prévoit l’approbation du rapport figurant en annexe. Le titre II comprend, en deux sous-titres, dix-huit articles répondant à l’objectif de simplifier la procédure civile et d’assurer l’efficacité et l’utilité de l’instance. Le titre III a trait à des dispositions relatives aux juridictions administratives. Le titre IV est consacré aux dispositions portant simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale. Le titre V a pour objet de renforcer l’efficacité et le sens de la peine. Le titre VI vise à renforcer l’organisation des juridictions. Enfin le titre VII comprend les dispositions relatives à l’entrée en vigueur et à l’application outre-mer du texte.

5.            Le Conseil d’ État considère que l’étude d’impact est, dans l’ensemble, satisfaisante. Elle a, en effet, été enrichie par les données ultérieurement fournies par le Gouvernement, comblant certaines insuffisances relevées concernant l’impact de certaines mesures, comme le recours plus large à la médiation en matière civile, l’incidence de la représentation obligatoire sur le budget consacré à l’aide juridictionnelle ainsi que plusieurs innovations concernant le travail d’intérêt général ou la délivrance des permissions de sortir.

6.            Le Conseil d’ État constate que les consultations rendues obligatoires par l’objet du projet de loi ont été effectuées. Il relève que ce projet, ne revêtant pas le caractère d’un projet de loi de programmation à caractère économique, social et environnemental, au sens des dispositions de l’article 70 de la Constitution, n’avait pas à être soumis à l’avis du Conseil économique, social et environnemental.

Titre Ier :        Dispositions relatives aux objectifs de la justice et à la programmation financière

7.            Le titre Ier, constitué d’un unique article, rassemble les dispositions de programmation du projet de loi.

Un rapport annexé au projet de loi, que le Parlement est invité à approuver, définit les objectifs de la justice pour les années 2018 à 2022. Ces objectifs, qui s’inspirent des conclusions des « chantiers de la justice » ouverts par le Premier ministre au second semestre de l’année 2017, expriment une volonté de simplification et de rationalisation dans de nombreux domaines – procédures civile et pénale, justice administrative – devant permettre d’améliorer le service rendu aux justiciables. Le rapport retient également comme objectif l’amélioration du sens et de l’efficacité des peines : il privilégie les alternatives à l’incarcération pour les courtes peines et souhaite rendre effective l’incarcération dès lors qu’une telle peine est prononcée. A cette fin, le rapport prévoit notamment d’augmenter les moyens humains et financiers de l’administration pénitentiaire, envisage la création de 7 000 places de détention d’ici à 2022 et plafonne à 15 000 le nombre de places à créer d’ici à 2027.

Pour mettre en œuvre les objectifs qu’il fixe pour les années 2018 à 2022, le Gouvernement prévoit une progression de 24 % des crédits budgétaires de l’ensemble des programmes de la mission « Justice » et la création de 6 500 emplois sur la même période. Ces prévisions chiffrées sont reprises dans le corps du titre Ier, qui prévoit en outre leur actualisation, dont l’une devra intervenir avant la fin de l’année 2021.

8.            Le rapport annexé expose également les nombreuses mesures normatives à adopter pour atteindre ces objectifs et qui figurent dans les titres II à VII du projet de loi. Le Conseil d’ État estime que rien ne s’oppose, s’agissant du présent rapport, à ce qu’il présente les principales dispositions normatives concourant à la mise en œuvre des objectifs poursuivis par le Gouvernement. Toutefois, il considère qu’il convient d’éviter, dans le souci de traduire clairement leur seule portée programmatique et afin qu’elles ne puissent pas être lues comme des dispositions normatives, l’emploi du présent de l’indicatif à l’occasion de leur présentation dans le rapport.

9.            Le Conseil d’ État estime que la trajectoire financière tracée par le projet de loi est cohérente avec la trajectoire des finances publiques retenue par la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Il en déduit que la trajectoire financière ainsi prévue ne conduira pas le Gouvernement à s’écarter de l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques mentionné à l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution.

Il constate également que les mentions figurant dans l’étude d’impact, relatives au titre Ier du projet de loi, permettent au Parlement de s’assurer de la cohérence du projet de loi avec la trajectoire des finances publiques retenue par la loi de programmation des finances publiques en vigueur, comme le prévoit l’article 22 de cette même loi. 
Le Conseil d’ État considère que le titre Ier ne méconnaît pas non plus les engagements internationaux et européens de la France.

Titre II :         Simplifier la procédure civile

10.        L’inspiration générale de ce titre est de recentrer l’activité du juge sur ce qui relève effectivement de son office, d’accroître la sécurité juridique des décisions, d’alléger les charges des magistrats et personnels des greffes, de simplifier le régime du divorce et le contrôle des mesures de protection concernant les mineurs et les majeurs protégés.

11.        Si le projet de loi modifie sur de nombreux points les dispositions de la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ainsi que celles de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, le Conseil d’ État souligne la nécessité d’assurer la codification de l’ensemble de ces dispositions législatives, en particulier celles relatives aux modalités de représentation des parties, à la publicité des audiences ou des débats et aux modes de résolution amiable des différends, avec l’objectif d’en assurer la cohérence avec les dispositions de nature réglementaire, actuellement contenues dans le code de procédure civile et de les ordonner pour en faciliter l’accessibilité.

1.  Redéfinir le rôle des acteurs du procès

12.        Le sous-titre 1er, intitulé « Redéfinir le rôle des acteurs du procès », comporte trois chapitres recouvrant les articles 2 à 10, qui ont, en effet, pour objet commun de remodeler  le domaine d’intervention de l’institution judiciaire, en visant à développer le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges, tant en amont qu’au cours de la procédure judiciaire, à garantir la présence des avocats aux côtés des justiciables et à recentrer l’activité des juges sur le cœur de leur office. Le projet cherche ainsi à endiguer la judiciarisation des intérêts antagonistes, à alléger les tâches des magistrats et des personnels des greffes des juridictions judiciaires, à améliorer la présentation juridique des affaires et, partant, à favoriser une meilleure réponse juridictionnelle en première instance.

13.        Ces objectifs et les dispositions proposées pour les atteindre appellent globalement un avis favorable. Certaines de ces dispositions ne justifient pas d’observation particulière, telles celles relatives à la suppression du délai de deux ans pour modifier le régime matrimonial et à l’allègement du contrôle a priori des actes de gestion du patrimoine des absents et des mineurs et majeurs en tutelle, qui maintiennent la protection nécessaire des personnes dont les intérêts seraient susceptibles d’être menacés.

14.        Les autres dispositions de ce sous-titre appellent les observations qui suivent.

Mode de règlement amiable

15.        Les dispositions relatives au recours préalable à un mode de règlement amiable, à peine d’irrecevabilité de la saisine de la juridiction, ou la faculté donnée au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur, qui s’inscrivent dans un mouvement déjà ancien d’encouragement et de développement des modes alternatifs de règlement des différends, sont de nature à permettre d’atteindre les objectifs envisagés et ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel. En effet, la possibilité donnée au juge de prononcer d’office l’irrecevabilité de sa saisine lorsque celle-ci n’a pas été précédée de la mise en œuvre d’un mode de résolution amiable du litige est circonscrite à de petits litiges et elle est assortie d’exceptions qui la rendent compatible avec le principe de l’accès effectif au juge, les parties ayant, au demeurant, le choix du mode de règlement qui leur apparaît le plus approprié. Le Conseil d’ État émet un avis favorable à ces dispositions.

16.        Les résultats attendus de la forte incitation à recourir aux modes alternatifs de règlement des différends auront d’autant plus de chances d’être atteints que des professionnels qualifiés et en nombre suffisant exerceront des activités de médiation et de conciliation, que sera développée leur formation et que sera encouragée la structuration de leur activité au niveau national.

Offre en ligne de résolution amiable des différends

17.        Participe de ce mouvement le développement de l’offre en ligne de services d’aide à la résolution des litiges de toutes natures. A cet égard, le projet pose, à juste titre, les règles nécessaires à l’encadrement de cette activité, tant pour la protection des données personnelles des personnes concernées que pour assurer la qualité et la sécurité de ces prestations, règles auxquelles s’ajoute l’opportune perspective d’une certification.

Extension de la représentation obligatoire

18.        Le Conseil d’ État note que le principe de la représentation obligatoire des parties ne peut, en principe, qu’assurer une meilleure présentation des causes et favoriser la qualité des décisions juridictionnelles, dans un contexte de complexification du droit.

19.        Il convient, cependant, de relever que l’intervention accrue des structures de conciliation et de médiation et la présence plus importante des avocats auprès des parties, en amont ou au stade de la procédure judiciaire, est susceptible d’engendrer des coûts à la charge des particuliers et du budget de l’aide juridictionnelle. Il sera, en conséquence, essentiel d’en apprécier l’incidence pendant le temps d’application de la loi de programmation.

Établissement d’actes de notoriété par les notaires

20.        La volonté d’alléger les tâches des juridictions se traduit par le transfert aux notaires de l’établissement d’actes de notoriété, soit pour constater la possession d’état permettant d’établir un lien de filiation, soit pour suppléer des actes de l’état civil détruits ou disparus. Quoiqu’ayant des incidences directes ou indirectes sur l’état civil, voire la nationalité, ce transfert ne peut être regardé comme la délégation d’une mission de souveraineté, étant rappelé qu’il s’intègre dans une mission déjà remplie par ces officiers publics et ministériels. La dispositions n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’ État.

Recueil du consentement en matière de procréation médicalement assistée

21.        En revanche, le Conseil d’ État propose d’écarter du texte présenté les dispositions prévoyant de confier exclusivement à ces mêmes officiers publics et ministériels le recueil du consentement en matière de procréation médicalement assistée, actuellement effectué, soit par le juge, soit par un notaire, au choix des personnes concernées. En effet, la perspective prochaine d’une réforme de la loi sur la bioéthique rend prématuré un choix que les travaux préparatoires à cette réforme et les débats parlementaires pourraient contredire ou aménager : la disposition envisagée trouverait donc mieux sa place dans ce futur véhicule législatif, qui devrait aborder de manière plus générale la question des modes de recueil du consentement obligatoire des personnes en cause.

Expérimentation de nouveaux modes de révision des pensions alimentaires

22.        Le projet prévoit une l’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance, à titre expérimental, dans les conditions qu’il précise, les mesures nécessaires pour permettre la délivrance des titres exécutoires afférents à la modification des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants, autrement que par l’obtention d’une décision juridictionnelle du juge aux affaires familiales. Sa rédaction apparaît propre à favoriser l’appréciation du dispositif envisagé au regard des objectifs qu’il recherche. A cet égard, il est de nature à décharger les juges aux affaires familiales et à accélérer la mise à exécution des décisions de modification de ces contributions.

23.        Le Conseil d’ État considère que la rédaction initiale du projet prévoyant de confier la délivrance de ces titres exécutoires à toute autorité ou organisme soumis au contrôle de l’ État était excessivement vague. Il propose, conformément aux intentions du Gouvernement, de désigner expressément les caisses d’allocations familiales. Il apporte cette précision, en ajoutant que l’ordonnance devra prévoir les garanties de compétence et d’impartialité que devront présenter les personnels affectés à cette activité. Il conserve par ailleurs la possibilité de confier la délivrance de ces titres exécutoires aux officiers publics et ministériels. Il estime que les conditions dans lesquelles est circonscrite la délivrance de ces titres exécutoires et l’application d’un barème national pour décider la modification d’une contribution préviennent le risque de solutions disparates dans des situations complexes. Le Conseil d’ État relève que le recours possible devant le juge aux affaires familiales est de nature à protéger les droits et intérêts des parties. Il ajoute, cependant, au projet que la production des documents nécessaires à la délivrance des titres exécutoires doit s’effectuer dans le respect du principe de la contradiction.

Régimes matrimoniaux

Alléger le contrôle a priori du juge des tutelles pour les actes de gestion patrimoniale

Ces dispositions n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’ État.

Gestion des fonds issus de la saisie des rémunérations et des sommes consignées dans le cadre d’une expertise par la Caisse des dépôts et consignations

24.        Le projet envisage de confier, par la voie d’une ordonnance que le Gouvernement sera habilité à prendre, la gestion et la répartition des fonds provenant des saisies des rémunérations et des consignations en matière d’expertise à la Caisse des dépôts et consignations. Cette mesure est de nature à alléger considérablement la tâche des greffes et régies des juridictions. Elle implique toutefois la mise en œuvre d’un outil informatique approprié qui seul garantira le succès de ce transfert.

Moderniser la délivrance des apostilles et des légalisations

25.        Pareillement, est envisagée une habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure permettant de déléguer la délivrance des apostilles, actuellement assumée par les parquets généraux, et les légalisations d’actes publics, soit aux officiers publics et ministériels, soit à un organisme ou autorité soumis au contrôle de l’ État.

26.        Le Conseil d’ État, qui prend note de l’existence d’une mission conjointe de l’inspection générale du ministère des affaires étrangères et de l’inspection générale de la justice dont les conclusions sont imminentes et détermineront les choix opportuns, estime qu’une telle délégation ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel. Toutefois, il propose de définir plus précisément les bénéficiaires éventuels de cette délégation lorsqu’il ne s’agit pas d’officiers publics et ministériels : il devra s’agir d’une personne publique ou un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public dont les compétences, la mission et le statut justifient l’intervention.

Modalités d’encadrement des tarifs de certaines professions réglementées du droit

27.        En premier lieu, le projet clarifie les modalités de calcul des composantes du tarif des mêmes prestations réglementées, régies par les articles L. 444-1 et suivants du code de commerce. Il précise que le calcul des coûts comme des objectifs de résultat moyen rentrant dans la computation des tarifs ne doit pas s’opérer acte par acte, ce qui, en raison de leur nombre et de la nécessité de développer une coûteuse et complexe comptabilité analytique, s’avèrerait impraticable, mais, comme l’Autorité de la concurrence l’avait déjà suggéré, à partir d’estimations globales des coûts des actes qui font l’objet d’émoluments.

Le Conseil d’ État juge utile cette clarification qui, pour se borner à donner à la loi sa signification véritable, est cependant de nature à prévenir la survenance de contentieux à l’encontre des actes réglementaires pris pour son exécution.

28.        Ces dispositions visent, en second lieu, à modifier le régime de remise sur émoluments pour les professions réglementées relevant de l’article L. 444-1 du code de commerce. Plafonnées à 10 % ou, pour certaines professions, à 40 % au-delà d’un seuil et devant être dans ce cas identiques pour tous les clients, le régime de ces remises issu de la loi du 6 août 2015 a paradoxalement augmenté le coût de certaines transactions, notamment immobilières, par rapport au régime antérieur de libre négociation au cas par cas des remises. Le projet réintroduit cette possibilité pour des prestations, au-delà d’un seuil qu’un décret déterminera.

Le Conseil d’ État estime qu’aucun principe ne s’oppose à une telle mesure, qui favorisera l’atteinte de l’objectif de réduction des coûts de prestation, sans supprimer, pour le plus grand nombre d’entre elles, le principe de généralité et de limitation des remises.

2.  Assurer l’efficacité de l’instance

Simplifier pour mieux juger

29.        Le sous-titre II, intitulé « Assurer l’efficacité de l’instance », comporte deux chapitres regroupant les articles 11 à 17, ordonnés autour de l’idée de simplification, soit en réduisant les formalités incombant aux parties, dans certains domaines, afin d’aboutir plus rapidement à une décision du juge, soit en favorisant le traitement informatisé d’un contentieux de masse, à savoir les injonctions de payer, soit encore, en matière des mesures de protection des mineurs ou des majeurs, en assouplissant certaines modalités de protection ou de contrôle, sans pour autant amoindrir cette protection. L’efficacité de l’intervention judiciaire est aussi renforcée par la possibilité donnée au parquet de faire assurer l’exécution de décisions en matière familiale.

Règlement des litiges sans audience

30.        Le projet prévoit que la procédure peut être exclusivement écrite et ne pas donner lieu à la tenue d’une audience. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui admet la possibilité d’une renonciation à la publicité des débats à condition qu’elle soit non équivoque et ne se heurte à aucun intérêt public important, le Conseil d’ État précise que cette manière de faire implique l’accord exprès des parties.

31.        Le Conseil d’ État relève que, comme le projet le prévoit, de telles modalités sont particulièrement adaptées au traitement par voie dématérialisée des petits litiges afférents à des demandes en paiement n’excédant pas un montant fixé par décret en Conseil d’ État, sous réserve de l’appréciation par le juge des circonstances particulières de l’espèce.

Harmonisation du « En la forme des référés »

32.        Au vu de l’hétérogénéité des hypothèses dans lesquelles la procédure « en la forme des référés » est prévue par des textes de nature législative, sous des vocables divers, le Conseil d’ État souscrit à la demande d’habilitation sollicitée par le Gouvernement pour assurer une mise en cohérence des dispositions en vigueur et harmoniser le traitement au fond des contentieux concernés, de manière rapide et efficace.

Contrôle des comptes de gestion

33.        Les dispositions techniques prévues en la matière, auxquelles le Conseil d’ État apporte quelques améliorations rédactionnelles, n’appellent pas d’observation particulière. Le Conseil d’ État souligne l’intérêt de celles qui, dans l’esprit de la récente introduction du divorce par consentement mutuel par acte d’avocat déposé au rang des minutes d’un notaire, assurent une souplesse au stade de l’introduction et du déroulement des autres types de divorce et favorisent une rupture pacifiée du lien conjugal. De même, eu égard aux objectifs poursuivis, il relève l’opportunité d’alléger le contrôle et d’organiser la surveillance interne du déroulement de la tutelle par les personnes chargées de la mesure, tout en réservant l’intervention du juge en cas de désaccord.

Améliorer l’efficacité en permettant l’exécution forcée par le parquet des décisions du juge des affaires familiales

34.        Le Conseil d’ État précise que la faculté donnée au procureur de la République de requérir directement le concours de la force publique pour faire assurer l’exercice de l’autorité parentale doit être mise en œuvre à la demande de la personne concernée ou du juge aux affaires familiales, étant souligné que doit d’abord être privilégiée toute voie, telle la médiation familiale, favorisant le rapprochement des parties et l’intérêt des enfants.

Refonder le rapport entre le citoyen et la justice

Concilier publicité de la justice et vie privée dans le cadre notamment de la délivrance des décisions de justice

35.        Le projet de loi prévoit d’indiquer, au code de justice administrative et au code de l’organisation judiciaire, que les tiers peuvent avoir copie des décisions de justice sous réserve que leur demande ne soit pas abusive et que les éléments permettant d’identifier les parties et les tiers mentionnés dans la décision soient occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité de ces personnes ou au respect de leur vie privée.

Le Conseil d’ État considère que ces dispositions sont opportunes. Cependant, il adopte pour chacun des deux codes concernés une rédaction qui clarifie les dispositions actuelles en distinguant la diffusion des décisions sous forme numérique et la délivrance de copies sur un support en papier, qui n’obéissent pas exactement aux mêmes règles.

36.        Par ailleurs, le Conseil d’ État considère que, compte tenu notamment des possibilités d’exploitation et de croisement des données numériques, il convient de prévoir la possibilité d’occulter non seulement les noms des parties et des tiers, mais aussi ceux des magistrats et des personnels de justice mentionnés au jugement, tant en ce qui concerne la diffusion numérique que la délivrance aux tiers de copies sur un support en papier. La divulgation de ces éléments pourrait en effet porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage.

Il reviendra à un décret en Conseil d’ État de préciser les conditions dans lesquelles, eu égard notamment à la nature du contentieux dont il s’agit, les éléments en question pourront être occultés.

37.        Le projet de loi prévoit ensuite d’étendre aux matières intéressant la vie privée et le droit des affaires, déterminées par décret, les hypothèses dans lesquelles, sauf devant la Cour de cassation, les débats devant le juge civil ne sont pas publics et les jugements ne sont pas prononcés publiquement.

Le Conseil d’ État estime que ces mesures sont opportunes, mais qu’elles doivent constituer une faculté et non une obligation ; il modifie donc la rédaction en ce sens. Par ailleurs, il lui paraît préférable de mentionner les matières « mettant en cause le secret des affaires » plutôt que de celles « intéressant le droit des affaires ».

Enfin, dans l’hypothèse où les débats n’auront pas été publics, la copie du jugement délivrée aux tiers sera limitée au dispositif.

Titre III :      Dispositions relatives aux juridictions administratives

 

1.  Allègement de la charge des juridictions administratives

38.        Un premier groupe de dispositions poursuit l’objectif de réduire le nombre de litiges soumis au juge administratif

Allongement de la durée de l’expérimentation de la procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux

39.        La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016 prévoit qu’à titre expérimental, une médiation préalable obligatoire pourra être imposée dans certains litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics ou concernant des prestations ou des droits attribués en matière d’action sociale, de logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi. L’expérimentation doit s’achever au terme d’une période de quatre ans à compter de la promulgation de la loi, soit en novembre 2020.

Toutefois, en application du décret n° 2018-101 du 16 février 2018, l’expérimentation n’a débuté que le 1er avril 2018, ce qui réduit sa durée à moins de trois ans. C’est pourquoi le projet de loi prolonge l’expérimentation jusqu’au 31 décembre 2021, par une disposition qui n’appelle pas d’autres observations.

Développement des recours administratifs préalables obligatoires

40.        Le projet de loi comporte un article d’habilitation qui autorise le Gouvernement à instaurer par voie d’ordonnance des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) avant l’introduction d’un recours contentieux contre « certaines catégories de décisions administratives individuelles prises par les collectivités territoriales, les établissements publics locaux et les organismes de droit privé chargés d’une mission de service public. »

Le Conseil d’ État ne retient pas cette disposition qui ne ressortit pas à la compétence du législateur. S’il est vrai que certains recours administratifs préalables obligatoires ont été créés par la loi, leur création relève du pouvoir réglementaire, alors même que le recours devrait être formé devant une autorité territoriale, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel par la décision n° 88- 154 L du 10 mars 1988, Nature juridique des deux premiers alinéas de l’article 7 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public (cons. 6).

Confirmation obligatoire du maintien de la requête au fond après le rejet d’un référé‑suspension pour défaut de moyen sérieux

41.        Le projet de loi prévoit que si le juge des référés, en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, rejette une demande de suspension faute de moyens de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le requérant dispose d’un mois pour confirmer le maintien de sa requête visant à l’annulation de cette décision, faute de quoi il est réputé s’en être désisté.

Le Conseil d’ État ne retient pas cette mesure qui est de nature réglementaire, de même que toutes les dispositions relatives à la procédure administrative contentieuse, particulièrement celles qui prévoient un désistement d’office, comme il est prévu à l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à un droit protégé par la loi. En l’espèce, le droit au recours n’est pas en cause, dès lors que le requérant devrait en tout état de cause, à l’occasion de la notification de la décision du juge des référés, être informé des conséquences d’une absence de confirmation de sa requête aux fins d’annulation.

Si le Gouvernement entend reprendre cette disposition par décret, par exemple en complétant l’article R. 612-5-1 mentionné ci-dessus, le Conseil d’ État attire son attention sur l’intérêt qui s’attacherait à prévoir, outre les modalités d’information du requérant, les conséquences, sur le maintien de la requête aux fins d’annulation, d’un recours contre la décision rejetant la demande de suspension.

42.        Un deuxième groupe de dispositions vise à recentrer les magistrats administratifs sur leur cœur de métier

Elargir les possibilités de recours aux magistrats honoraires 

L’exercice de fonctions juridictionnelles par des magistrats honoraires

43.        L’article L. 222-2-1 du code de justice administrative permet aux présidents des tribunaux administratifs de désigner, pour une période de trois ans renouvelables, des magistrats administratifs honoraires inscrits sur une liste arrêtée par le vice-président du Conseil d’ État. Ces magistrats peuvent statuer sur les recours formés par les étrangers placés en détention, en rétention ou assignés à résidence en application des III et IV de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le projet de loi élargit les fonctions qui pourraient être confiées aux magistrats honoraires, en leur permettant de statuer également sur les recours relevant de la compétence du juge statuant seul et sur les référés présentés sur le fondement du livre V du code de justice administrative. Ils pourraient également exercer les fonctions de rapporteur en formation collégiale, dans la limite d’un magistrat honoraire par formation de jugement.

Des mesures comparables ont été prises à l’égard des magistrats honoraires exerçant des fonctions dans les tribunaux de grande instance ou les cours d’appel, dont les fonctions ont été élargies par la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats. La mesure apparaît justifiéepar l’augmentation constante des contentieux devant les tribunaux administratifs, qui n’est pas compensée par une augmentation proportionnelle du nombre de magistrats.

44.        Le projet de loi étend par ailleurs aux magistrats honoraires de l’ordre administratif certaines dispositions statutaires du code de justice administrative applicables aux magistrats en activité. Cette mesure apparaît nécessaire dès lors que les magistrats honoraires ne sont actuellement régis par les règles de droit commun de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’ État.Désormais, ils seraient soumis aux dispositions des articles L. 231-1 à L. 231-9 du code de justice administrative, qui concernent notamment la déontologie des magistrats, leur inamovibilité, la prévention des conflits d’intérêts ou encore l’obligation de résidence. Le projet fixe également les conditions dans lesquelles les magistrats honoraires pourraient concomitamment exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles relatives à l’exercice du pouvoir disciplinaire. Enfin, la limite d’âge des magistrats honoraires serait fixée à 75 ans.

La plupart de ces dispositions sont également inspirées de celles qui ont appliquées aux magistrats honoraires judiciaires par la loi organique du 8 août 2016 déjà citée. Elles n’appellent pas d’autres observations que celle qui vient ci-dessous.

Le Conseil d’ État estime en effet que rien ne justifie que ces mesures soient limitées aux tribunaux administratifs. C’est pourquoi il suggère que les présidents des cours administratives d’appel puissent, eux aussi, faire appel à des magistrats honoraires dans les mêmes conditions que les présidents des tribunaux administratifs, en précisant les missions qui pourront leur être confiées.

L’exercice de fonctions non juridictionnelles par des magistrats honoraires

45.        Le projet de loi prévoit également que les présidents des tribunaux administratifs pourront faire appel à des magistrats honoraires pour exercer des fonctions d’aide à la décision au profit des magistrats. Ces dispositions, comme les précédentes, sont directement inspirées des dispositions relatives aux magistrats honoraires de l’ordre judiciaire issues de la loi organique du 8 août 2016 déjà citée. Les fonctions d’aide à la décision seraient incompatibles avec les fonctions juridictionnelles ainsi qu’avec l’exercice de certaines activités professionnelles. La limite d’âge est également fixée à 75 ans.

Le Conseil d’ État considère que cette mesure est tout aussi justifiée que la précédente et, là encore, il estime qu’elle ne doit pas être limitée aux tribunaux administratifs ; il propose donc d’étendre les dispositions en question aux cours administratives d’appel.

Permettre le recrutement de juristes assistants

46.        Le projet de loi prévoit que des juristes assistants pourront être nommés au Conseil d’ État et auprès des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, dans les mêmes conditions que celles qui ont été prévues pour les juristes assistants nommés auprès des magistrats des juridictions judiciaires par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Les candidats devront être titulaires d’un doctorat en droit ou d’un diplôme juridique de niveau master 2. Ils devront en outre disposer de deux années d’expérience professionnelle dans le domaine juridique et être particulièrement qualifiés pour exercer ces fonctions. Ils seront nommés, à temps complet ou incomplet, pour une durée maximale de trois années, renouvelable une fois.

Les juristes assistants, dont les missions seront précisées par décret, auront vocation à apporter leur aide aux magistrats pour le traitement des dossiers à forte densité juridique. Ils rempliront ainsi des fonctions comparables, quoique de plus haut niveau, à celles des assistants de justice, qui sont recrutés au niveau du master 1 et qui assistent les magistrats dans le traitement des contentieux de masse. Grâce à ces nouveaux renforts, les magistrats pourront mieux se consacrer aux aspects les plus difficiles de leur tâche.

47.        Le Conseil d’ État observe cependant que la création d’une catégorie d’agents contractuels de droit public appartient à la compétence du pouvoir réglementaire. Toutefois, comme il a été dit plus haut, le législateur s’est déjà emparé de la question lorsqu’il a prévu la nomination de juristes assistants dans les juridictions judiciaires, comme il l’avait déjà fait, au demeurant, par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative et, auprès des magistrats administratifs et par la loin° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, qui ont respectivement prévu la nomination d’assistants de justice dans les juridictions judiciaires et dans les juridictions administratives.

Pour ces raisons, le Conseil d’ État n’émet pas d’objection à ce que les dispositions envisagées, qu’il approuve sur le fond, trouvent leur plan dans le projet de loi.

Prise en compte de l’intérêt du service public de la justice pour apprécier les mérites d’une demande de maintien en activité au-delà de la limite d’âge

48.        L’article 1er de laloi n° 86-1304 du 23 décembre 1986 relative à la limite d’âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils de l’ État prévoit que les membres du Conseil d’ État, lorsqu’ils atteignent l’âge limite résultant de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d’âge dans la fonction publique et le secteur public, sont, sur leur demande, maintenus en activité jusqu’à ce qu’ils atteignent la limite d’âge qui était en vigueur avant l’intervention de cette dernière loi. Cette disposition est également applicable aux magistrats de la Cour des comptes et aux membres de l’inspection générale des finances.

Par ailleurs, l’article L. 233-7 du code de justice administrative permet aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel de bénéficier, eux aussi, d’un même droit au maintien en activité.

49.        Le projet de loi prévoit queles demandes de maintien en activité des membres du Conseil d’ État et des magistrats administratifs seront désormais soumises à l’avis, selon le cas, de la commission supérieure du Conseil d’ État ou du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Ces instances se prononceraient en considération de l’intérêt du service et de l’aptitude du demandeur. Une mesure comparable a été prise à l’égard des magistrats de l’ordre judiciaire par la loi déjà citée du 18 novembre 2016. 

Le Conseil d’ État considère que les critères retenus par le Gouvernement pour apprécier la demande de maintien en activité relèvent du principe de bonne administration de la justice et que l’appréciation qui sera portée sur l’aptitude des intéressés n’est pas de nature à remettre en cause leur indépendance.

50.        Il estime cependant utile de compléter le projet sur trois points.

D’abord, la rédaction est modifiée pour indiquer clairement que le maintien en activité n’est plus de droit.

Ensuite, la disposition du code de justice administrative applicable aux membres du Conseil d’ État est complétée afin que soit inscrite dans ce code la règle, qui figure à l’article 4 de la loi mentionnée ci-dessus du 23 décembre 1986, selon laquelle les personnes maintenues en activité conservent la rémunération qu’elles détenaient lorsqu’elles ont atteint la limite d’âge, comme le prévoit aussi l’article L. 233-8 du code de justice administrative applicable aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Enfin, dès lors que les règles du maintien en activité des membres du Conseil d’ État figureront désormais dans un article spécifique du code de justice administrative, le Conseil d’ État exclut ces derniers du champ de l’article 1er de la loi du 23 décembre 1986 qui prévoit que le maintien en activité est de droit.

2.  Renforcement de l’efficacité de la justice administrative

Possibilité pour le juge des référés précontractuels et contractuels de statuer en formation collégiale

51.        Le projet de loi prévoit que le juge des référés précontractuel et contractuel pourra désormais statuer en formation collégiale si la nature de l’affaire le justifie. Cette possibilité est déjà offerte au juge des référés suspension, libertés et mesures utiles par l’article L. 511-2 du code de justice administrative dans sa rédaction issue de la loi déjà citée du 20 avril 2016.

La délibération collégiale peut s’avérer utile pour les affaires les plus délicates, eu égard notamment aux enjeux économiques et à la complexité qui caractérisent parfois le contentieux de la passation des contrats et marchés. La possibilité de statuer en formation collégiale a d’ailleurs déjà été utilisée avec profit, à plusieurs reprises, par le juge du référé suspension.

Le Conseil d’ État simplifie toutefois le texte du Gouvernement qui reprenait la même disposition à chacun des quatre articles relatifs aux référés précontractuel et contractuel : il se borne à préciser, à l’article L. 511-2 du code de justice administrative, que la possibilité de statuer en formation collégiale instaurée par cet article est également applicable aux référés en matière de passation des contrats et marchés.

Renforcement de l’effectivité des décisions de justice

52.        Le projet de loi modifie les articles L. 911-1 à L. 911-5 du code de justice administrative relatifs à l’exécution des décisions de justice.

Les articles L. 911-1 et L. 911-2 prévoient que le juge administratif peut enjoindre à l’administration de prendre une mesure d’exécution ou une nouvelle décision après instruction, si elle est nécessairement impliquée par la décision qu’il a rendue et à condition qu’il soit saisi de conclusions en ce sens. L’article L. 911-3 permet au juge, sous la même condition, d’assortir son injonction d’une astreinte.

Le projet de loi prévoit que le juge pourra désormais prescrire ces mesures d’office.

Le Conseil d’ État considère que cette disposition est justifiée, car les requérants ne songent pas nécessairement à demander une injonction alors même que la décision du juge implique nécessairement que l’administration prenne une mesure d’exécution ou une nouvelle décision. Il arrive également que le requérant demande une injonction mais qu’il n’invoque pas l’article correspondant à sa situation ; or, la requalification des conclusions du requérant n’est pas toujours possible en cette matière. Les nouvelles dispositions permettent de remédier à cet inconvénient.

53.        Le projet prévoit ensuite de modifier l’article L. 911-4 du code de justice administrative afin d’indiquer quelle est la juridiction compétente pour se prononcer sur la demande tendant à l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt qui a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’ État estime que cette disposition revêt un caractère réglementaire, et il modifie à cette occasion l’article L. 911-4 pour en retirer les dispositions réglementaires qui y figurent actuellement. Cette analyse n’entraîne aucun changement sur les contentieux dont il s’agit, dès lors que les règles de détermination du juge compétent étaient déjà fixées par la jurisprudence. Il appartiendra au pouvoir réglementaire, s’il le souhaite, d’inscrire les dispositions en question dans la partie réglementaire du code de justice administrative.

54.        Le projet de loi modifie également l’article L. 911-5 pour remédier à certaines de ses imperfections, notamment parce qu’il autorisait le Conseil d’ État à prononcer une astreinte sans lui reconnaître au préalable un pouvoir d’injonction.

55.        Enfin, le projet ajoute un article au code général des collectivités territoriales pour permettre à la commission du contentieux du stationnement payant, qui est chargée de régler les litiges relatifs aux forfaits de post-stationnement instaurés par la loi n° 2014-58 du 2 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, de prononcer des injonctions éventuellement assorties d’astreinte. Le Conseil d’ État considère que cette mesure est nécessaire car cette commission, à caractère juridictionnel, doit être en mesure d’ordonner à l’administration de restituer aux requérants les sommes qu’ils auraient indûment versées au titre du forfait de post-stationnement.

Titre IV :      Dispositions portant simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale

1.  Simplification du parcours judiciaire des victimes

Consécration de la possibilité de porter plainte en ligne, précisant ses conséquences juridiques

56.        Le projet de loi introduit dans le code de procédure pénale un article 15-3-1 qui reconnaît la possibilité, pour les victimes d’infractions pénales, d’adresser leur plainte par la voie électronique. Il précise que le lieu de traitement automatisé des informations nominatives relatives aux plaintes est considéré comme le lieu de constatation de l’infraction, ce qui permet de reconnaître la compétence territoriale du procureur de la République dans le ressort duquel ce traitement est implanté et, ainsi, de faciliter la centralisation du traitement de ces plaintes et des enquêtes, notamment pour des infractions commises sur Internet.

Le Conseil d’ État estime qu’en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir les cas dans lesquels la plainte peut être adressée par la voie électronique, le projet de loi ne méconnaît pas, compte tenu des règles législatives encadrant ainsi le pouvoir de fixer ces cas, l’étendue de la compétence du législateur définie par l’article 34 de la Constitution. Le Conseil d’ État estime toutefois que cette détermination doit relever du décret et non d’un simple arrêté ministériel. Il propose de modifier le projet en ce sens.

Possibilité pour les victimes ou témoins dépositaires de l’autorité publique ou chargés d’une mission de service public de déclarer dans la procédure leur seule adresse professionnelle, sans l’accord de leur employeur ou l’autorisation du parquet

57.        Le projet de loi assouplit les conditions dans lesquelles une victime peut, dans le cadre de la procédure, faire élection de domicile chez un tiers. Il permet aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public qui ont été victime d’une infraction en raison de ces fonctions ou de cette mission, de déclarer leur adresse professionnelle sans l’accord de leur employeur.

Le Conseil d’ État estime que ces dispositions ne soulèvent pas de difficulté, mais il s’interroge sur la nécessité de maintenir, dans le code de procédure pénale, la règle générale selon laquelle la victime ne peut élire domicile chez un tiers qu’avec l’accord de ce dernier. Le Conseil d’ État invite le Gouvernement à expertiser un assouplissement plus large des règles d’élection de domicile de la victime d’une infraction pénale.

Constitution de partie civile à l’audience par voie dématérialisée, absence d’irrecevabilité si délai de 24 heures non respecté

Précision évitant le renvoi procès sur l’action publique en raison de l’absence de la victime, tout en permettant, même si un avis a été adressé à la victime mais qu’il n’est pas certain qu’elle l’a reçu, une audience sur les intérêts civils

58.        Le projet renforce les droits de la victime devant le tribunal correctionnel, d’une part, en assouplissant les conditions de délai qui encadrent la recevabilité des constitutions de partie civile adressées au tribunal correctionnel avant l’audience et, d’autre part, en imposant au tribunal de renvoyer l’affaire à une audience sur les intérêts civils lorsqu’il a statué sur l’action publique sans qu’il soit établi que la victime avait été avisée de la date d’audience. Ces dispositions n’appellent pas d’observation du Conseil d’ État.

2.  Simplification des phases d’enquête et d’instruction

Dispositions communes aux enquêtes et à l’instruction

59.        Un premier groupe de dispositions vise à simplifier le recours aux interceptions des correspondances par la voie des communications électroniques, à la géolocalisation, à l’enquête sous pseudonyme et aux techniques spéciales d’enquête

Recours aux écoutes téléphoniques ainsi qu’à la géolocalisation, en enquête et au cours de l’instruction, pour les délits punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement

60.        Le projet de loi harmonise et étend les conditions de recours aux interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques. Il rend possible, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, pour une durée d’un mois renouvelable une fois, le recours aux interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques dans le cadre d’une enquête préliminaire ou en flagrance, à condition que l’enquête porte sur un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Dans le cadre d’une information judiciaire, le projet élève de deux à trois ans ce même seuil de gravité des infractions permettant le recours à ces mesures. Le projet prévoit aussi la possibilité, pour tout délit puni d’une peine d’emprisonnement commis par la voie des communications électroniques sur la ligne de la victime, d’autoriser de telles mesures d’interception, sur cette ligne, à la demande de la victime.

61.        Dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions législatives permettant le recours aux interceptions de correspondances, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, dans des enquêtes relatives à des infractions relevant de la criminalité ou de la délinquance organisées. Pour juger que ces dispositions ne portaient une atteinte excessive ni au secret de la vie privée ni à aucun autre principe constitutionnel, il s’est fondé sur trois conditions : ces dispositions ne s’appliquent que pour la recherche des auteurs d’infractions entrant dans le champ de la délinquance et de la criminalité organisée ; elles sont autorisées par le juge des libertés et de la détention pour une durée maximale de quinze jours renouvelable une seule fois et, enfin, s’agissant des autres types d’infraction, demeurent applicables les garanties procédurales requises pour l’utilisation de tels procédés dans le cadre de l’instruction (cons. 59 et 60).

62.        Le Conseil d’ État estime que la possibilité de réaliser des interceptions de correspondances dans les enquêtes préliminaires ou en flagrance portant sur tout délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, pour une durée d’un mois renouvelable une fois, ne peut être regardée, en l’absence de garanties procédurales appropriées encadrant la mise en œuvre et le contrôle de ces mesure, comme assurant une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

En particulier, si le projet du Gouvernement prévoit, à l’article 60-4 du code de procédure pénale, que les interceptions de correspondances sont faites « sous le contrôle du juge des libertés et de la détention », aucune disposition ne prévoit les modalités selon lesquelles ce contrôle s’exerce ni ne permet à ce juge d’annuler les interceptions de correspondances réalisées dans des conditions illégales.

63.        Le Conseil d’ État estime donc nécessaire, pour assurer le respect des exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus, de compléter le projet de loi afin d’assortir de telles garanties le recours aux interceptions de correspondances au cours de l’enquête. Il propose de compléter l’article 60-4 du code de procédure pénale afin de prévoir, d’une part, que les procès‑verbaux dressés en exécution de l’autorisation que le juge des libertés et de la détention a délivrée lui sont systématiquement communiqués et, d’autre part, qu’il peut ordonner la destruction des procès-verbaux et du support des enregistrements lorsque ces derniers n’ont pas été effectués conformément à l’autorisation qu’il a délivrée et aux dispositions applicables de ce code.

64.        Le projet de loi prévoit aussi la possibilité de recourir à la géolocalisation dans le cadre des enquêtes portant sur des infractions punies d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Il abaisse et harmonise ainsi le seuil de gravité des infractions encourues, alors que, dans la rédaction actuelle de l’article 230-32 du code de procédure pénale, le seuil de gravité de la peine d’emprisonnement encouru est fixé à trois ans pour les délits d’atteinte aux personnes et à cinq ans d’emprisonnement pour les autres délits.

Le Conseil d’ État estime que cet élargissement des conditions du recours à la géolocalisation ne peut être admis que s’il est assorti de garanties renforçant le contrôle du juge des libertés et de la détention sur sa mise en œuvre au cours des enquêtes : il propose ainsi de réduire de quinze à huit jours le délai pendant lequel cette mesure peut être mise en œuvre sur la seule autorisation du procureur de la République. Une telle modification permettrait de maintenir, dans ce nouveau cadre législatif, l’équilibre relevé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014, Loi relative à la géolocalisation.

Uniformisation de l’enquête sous pseudonyme

65.        Le projet de loi prévoit une uniformisation et une extension de la possibilité de recourir à l’enquête sous pseudonyme sur Internet. Il fusionne en un seul régime, à l’article 230-46 du code de procédure pénale, les quatre dispositions du même code qui prévoient, dans des termes analogues mais non identiques, la possibilité de recourir à un pseudonyme pour réaliser sur internet des enquêtes relatives à certaines infractions qui y sont commises. L’extension de la possibilité de recourir à une enquête sous pseudonyme pour toute infraction commise sur les réseaux de communication électronique tire les conséquences, pour la recherche des auteurs d’infractions, du développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi que de l’importance prise par ces services dans la vie économique et sociale.

Le Conseil d’ État estime que cette extension ne soulève pas d’obstacle constitutionnel, dès lors qu’est maintenue la règle selon laquelle les actes que les enquêteurs peuvent accomplir sous pseudonyme ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions et que le recours à un pseudonyme est limité aux actes d’enquête, de sorte qu’il ne peut en résulter d’atteinte aux droits de la défense dans la suite de la procédure.

Uniformisation des techniques spéciales d’enquête et extension de leur champ d’application

66.        Le projet procède à l’harmonisation du régime applicable à trois techniques spéciales d’enquête permises dans les enquêtes et les procédures d’instruction portant sur la délinquance ou la criminalité organisées : le recours aux « IMSI-Catcher », prévu par les articles 706-95 et suivant du code de procédure pénale, la sonorisation et la captation d’images (article 706-96 du même code) et la captation de données informatiques (article 706-102 du même code). Il est ainsi institué un régime commun d’autorisation : seules les règles propres à chacune de ces techniques font l’objet de dispositions particulières.

67.        Le projet permet aussi le recours à ces techniques spéciales d’enquête pour tous les crimes et non plus seulement les crimes relevant de la criminalité organisée. Dans sa décision du 2 mars 2004 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a examiné le recours à certaines de ces techniques spéciales d’enquête et a estimé que le principe d’interdiction de toute rigueur qui ne serait pas nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions n’était pas méconnu compte tenu de la gravité et de la complexité des infractions en cause. L’extension du recours à ces techniques spéciales pour tous les crimes soulève par conséquent une question de conformité à la Constitution au regard de la suppression du critère de complexité qui avait été relevé par le Conseil constitutionnel.

68.        Toutefois, dans sa décision n° 2013-679 DC du 04 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le Conseil constitutionnel a admis que ces techniques spéciales d’enquête puissent être utilisées au cours d’enquête ou d’instructions portant sur des délits de corruption ou de trafic d’influence, de fraude fiscale aggravée ou des délits douaniers punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans (cons. 75). Le Conseil d’ État estime que la « particulière gravité » (Conseil constitutionnel, décision n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014, cons. 9) des infractions qualifiées de crime justifie que les techniques d’investigation dénommées « techniques spéciales d’enquête » puissent aussi être utilisées pour la recherche des auteurs de crimes, lorsque les circonstances de l’espèce le justifient. Ainsi, le recours à ces techniques pour la recherche des auteurs de crimes, tel que des assassinats ou des enlèvements, même lorsqu’ils ne sont pas commis en bande organisée, ne paraît pas méconnaître le principe de « rigueur nécessaire » dans la recherche des auteurs d’infractions, dès lors que la décision de recourir à ces techniques est prise par un magistrat du siège ou du parquet à qui il appartient d’apprécier concrètement si la gravité des faits et la complexité de l’enquête le justifient.

Compétences des officiers et des agents de police judiciaire

69.        Le projet simplifie les conditions dans lesquelles les officiers et agents de police judiciaire, ainsi que certains agents assermentés habilités à exercer des missions de police judiciaire, exercent leurs missions.

Il supprime l’exigence d’une autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d’instruction pour étendre la compétence des officiers de police judiciaire sur l’ensemble du territoire national afin de poursuivre leurs investigations. Il supprime l’obligation de renouveler, lors de chaque changement d’affectation, l’habilitation des officiers de police judiciaire ou la prestation de serment des agents assermentés. Il permet en outre aux agents de police judiciaire d’accomplir certains actes de réquisition jusque là réservés aux officiers de police judiciaire.

Le Conseil d’ État estime que ces mesures de simplification ne méconnaissent pas l’exigence, qui résulte de l’article 66 de la Constitution, selon laquelle la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle « direct et effectif » de l’autorité judiciaire (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 59).

Garde à vue

70.        Le projet de loi assouplit les conditions dans lesquelles une mesure de garde à vue peut, à l’issue de la première période de vingt-quatre heures, être prolongée par une décision du procureur de la République. Il consacre la possibilité que, dans les juridictions ne disposant pas de locaux relevant de l’article 803-3 du code de procédure pénale (« petit dépôt »), cette prolongation soit destinée à permettre la présentation de la personne gardée à vue devant l’autorité judiciaire. Il supprime en outre le caractère exceptionnel de la dispense de présentation de la personne gardée à vue devant le procureur de la République à l’occasion de cette présentation. Le Conseil d’ État estime que dès lors que le déroulement de la garde à vue demeure soumis au contrôle effectif et direct de l’autorité judiciaire, l’atteinte portée à la liberté individuelle par ces mesures ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l’objectif poursuivi.

71.        Le projet de loi modifie les dispositions de l’article 63-4-3-1 du code de procédure pénale pour limiter les cas dans lesquels l’avocat de la personne gardée à vue doit être informé du transport de cette personne. Il prévoit que l’avocat n’est informé de ce transport que lorsque la personne doit être entendue ou doit participer à une mesure de reconstitution ou une séance d’identification des suspects dont elle fait partie. En revanche, l’avocat n’est plus informé lorsque la personne est transportée pour la réalisation d’un examen médical ou pour un autre acte d’enquête (tel qu’une perquisition) ne nécessitant pas que la personne soit entendue.

Le Conseil d’ État constate, compte tenu de l’état du droit de l’Union européenne, que l’avertissement de l’avocat quant au transport de la personne gardée à vue sera désormais réservé aux seuls cas dans lesquels l’assistance de l’avocat est requise en application de l’article 3 de la directive n° 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. Il estime toutefois que lorsqu’une personne gardée à vue est transportée sur un lieu sans que son avocat en soit informé, le respect des droits de la défense fait obstacle à ce que ce transport soit l’occasion d’interroger cette personne et à ce que les officiers ou agents de police judiciaire consignent ses déclarations sur les faits pour lesquels elle est mise en cause Sous cette réserve d’interprétation, le Conseil d’ État estime que ces dispositions ne méconnaissent pas les droits de la défense (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-125 QPC du 06 mai 2011, cons. 13).

Dispositions propres aux enquêtes

Extension des pouvoirs des enquêteurs 

72.        Le projet de loi modifie les dispositions de l’article 53 du code de procédure pénale, qui définissent les conditions de l’enquête pour crime ou délit flagrant. D’une part, pour les infractions ne relevant pas de la criminalité et de la délinquance organisées, il prévoit, pour les délits punis d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement, au lieu de cinq ans auparavant, qu’à l’issue de la première période de huit jours pendant laquelle l’enquête est conduite sous le régime de la flagrance, le procureur de la République peut autoriser, pour une même durée, la poursuite de l’enquête sous ce même régime. D’autre part, il prévoit que, lorsque l’enquête porte sur des faits qui relèvent de la criminalité ou de la délinquance organisées, l’enquête en flagrance peut durer seize jours à compter de la constatation du crime ou du délit flagrant sans prolongation à l’issue des huit premiers jours.

Le projet modifie également les dispositions de l’article 76 du code de procédure pénale qui prévoient que le juge des libertés et de la détention peut autoriser une perquisition au cours d’une enquête préliminaire portant sur des faits punis d’au mois cinq ans d’emprisonnement. Le projet abaisse ce seuil de cinq à trois ans.

Ces dispositions ont ainsi pour objet principal de faciliter la réalisation par les officiers et agents de police judiciaire de perquisitions et de saisies sans l’assentiment des intéressés.

73.        Le Conseil d’ État estime qu’un tel assouplissement du recours aux perquisitions et au régime de l’enquête de flagrance ne peut être admis que si le régime des perquisitions prévu par le code de procédure pénale est mis en conformité avec les exigences du droit à un recours juridictionnel effectif. Les personnes qui ont fait l’objet d’une perquisition et à l’encontre desquelles l’action publique n’est pas mise en mouvement doivent, comme les personnes poursuivies, disposer du droit de faire juger de la légalité et de la régularité, en droit et en fait, de la mesure dont elles ont fait l’objet (Cour européenne des droits de l’homme, 3ème section, 21 février 2008, Ravon et autres contre France, n° 18497/03 ; Conseil constitutionnel, décisions n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013 et n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014).

Afin d’assurer le respect de ces exigences tant constitutionnelles que conventionnelles, le Conseil d’ État suggère de compléter le projet de loi afin d’introduire dans le code de procédure pénale des dispositions reconnaissant à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire, le droit de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il statue sur la légalité de cette mesure. Ce droit sera ouvert à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire et qui n’a pas été poursuivie devant une juridiction d’instruction ou de jugement. Elle pourra saisir le juge des libertés et de la détention d’une demande tendant à l’annulation de la perquisition. Si l’action publique a été mise en mouvement par la saisine du juge d’instruction ou du tribunal correctionnel, la demande sera transmise, selon le cas, à la chambre de l’instruction ou au président du tribunal correctionnel.

74.        Afin d’assurer une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et le secret de l’enquête qui constitue une garantie de son efficacité et concourt ainsi à la réalisation de l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, le Conseil d’ État suggère d’encadrer les conditions d’exercice de ce droit. D’une part, il pourra être exercé six mois au plus tôt après l’accomplissement de l’acte, pour ne pas entraver l’enquête en cours, et un an au plus tard après que la personne qui a fait l’objet de la perquisition a eu connaissance de la mesure, pour ne pas faire peser de manière indéfinie un risque juridique sur cet acte d’enquête. D’autre part, dans cette procédure le requérant ne pourra prétendre qu’à la communication des pièces de la procédure relatives à la perquisition dont il a fait l’objet.

75.        Le projet prévoit la possibilité que les agents de la force publique puissent, avec l’autorisation du procureur de la République, appréhender de jour, dans un domicile, pour la conduire devant un officier de police judiciaire, une personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans.

Le Conseil d’ État estime que la protection constitutionnelle de l’inviolabilité du domicile n’impose pas l’autorisation d’un juge pour l’introduction dans un domicile aux seules fins d’appréhender une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans d’emprisonnement.

Dispositions propres à l’instruction

Ouverture de l’information

76.        Le projet de loi facilite la continuité de mesures de surveillance en cours lors de l’ouverture d’une information judiciaire. Il permet que, postérieurement à l’ouverture d’une information judiciaire, certaines mesures de surveillance (interception de correspondance par voie électronique, géolocalisation et techniques spéciales d’enquête) ordonnées avant l’ouverture de l’information, se poursuivent sans pouvoir excéder une semaine. Le juge d’instruction saisi peut toutefois y mettre fin à tout moment. Ces dispositions assouplissent et étendent ainsi, à l’ensemble des procédures d’information judiciaire, un dispositif créé pour la lutte contre les infractions terroristes, par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, et qui était limité à une durée de 48 heures à compter de l’ouverture de l’information.

Le Conseil d’ État estime que cette mesure de simplification, qui évite que le juge d’instruction saisi n’ait à autoriser de nouveau en urgence les mesures de surveillance en cours lors de sa saisine, ne soulève pas de question de constitutionnalité à la condition non seulement que, comme le projet du Gouvernement le prévoit, le juge d’instruction saisi ait le pouvoir de mettre fin à tout moment à ces mesures et que leur durée ne puisse excéder une semaine, mais aussi à condition que ces mesures ne puissent être, du fait de l’ouverture de l’information, prorogées de plus de 48 heures au-delà de leur terme légal. Le Conseil d’ État apporte des compléments en ce sens au projet de loi.

77.        La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu que la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable que si la personne justifie, soit que le procureur de la République lui a fait connaître qu’il n’engagerait pas des poursuites sur sa plainte, soit qu’il s’est écoulé un délai de trois mois depuis qu’elle a déposé plainte. Le projet de loi renforce ce dispositif destiné à éviter les plaintes procédurières ou inutiles : il porte le délai de trois à six mois et il exige que le plaignant ait saisi le procureur général d’un recours contre la décision du procureur de la République de ne pas engager les poursuites. En outre, il permet au juge d’instruction, saisi de réquisitions du procureur de la République en ce sens, de rendre une ordonnance de refus d’informer au motif que le recours à une information judiciaire est inutile et que la victime est en mesure de citer directement l’auteur des faits devant la juridiction de jugement.

Le Conseil constitutionnel juge que le droit de la victime d’une infraction pénale de mettre en mouvement l’action publique contre l’auteur d’une infraction pénale n’est pas constitutionnellement protégé dès lors qu’est préservé le droit de la victime d’agir pour obtenir la réparation du dommage qu’elle a subi (décision n° 93-327 DC du 19 novembre 1993, cons. 12). Ce n’est que lorsque la victime se trouve concomitamment privée de la possibilité d’agir devant la juridiction répressive et de demander réparation devant la juridiction administrative ou civile compétente que le droit à un recours juridictionnel effectif peut se trouver méconnu (décision n° 2013-350 QPC du 25 octobre 2013, cons. 7).

Le Conseil d’ État estime que les dispositions du projet de loi, qui encadrent les conditions de recevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction ne portent pas atteinte au droit de la victime de demander réparation, devant la juridiction compétente.

Déroulement de l’instruction

78.        S’agissant du déroulement de l’instruction, le projet de loi prévoit diverses mesures de simplification procédurale qui n’appellent pas d’observations. Il simplifie notamment les modalités de recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique mobile dans le but d’inciter les juges d’instruction à recourir à cette mesure plutôt qu’à la détention provisoire des personnes mises en examen.

79.        Le projet de loi modifie l’article 706-71 du code de procédure pénale pour supprimer le droit, pour la personne mise en examen, de s’opposer à ce que l’audience portant sur sa mise en détention provisoire ou le renouvellement de cette mesure soit organisée par visioconférence.

Dans sa décision n° 2011-631 DC du 09 juin 2011 sur la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (cons. 93), le Conseil constitutionnel a jugé que la possibilité d’organiser une audience par visioconférence sans l’accord de l’intéressé ne méconnaissait pas, de ce seul fait, le droit à une procédure juste et équitable. Il a néanmoins relevé, parmi les garanties assurant la constitutionnalité d’un tel dispositif, la circonstance que, dans lorsque l’audience est ainsi organisée, l’avocat est présent auprès de l’intéressé. Dans son avis du 15 février 2008 sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, le Conseil d’ État a également relevé cette garantie.

L’article 706-71 du code de procédure pénale, qui fixe de façon générale les conditions de recours à la visioconférence au cours de la procédure pénale, prévoit toutefois que l’avocat de l’intéressé peut se trouver soit auprès de ce dernier, soit auprès du juge. Il précise que, dans ce dernier cas, l’intéressé doit pouvoir s’entretenir avec son avocat de manière confidentielle.

Le Conseil d’ État considère que cette dernière garantie a un effet équivalent à celle qu’il avait estimée nécessaire dans son avis déjà mentionné du 15 février 2008.

Clôture et contrôle de l’instruction

80.        Le projet de loi prévoit de nouveaux cas dans lesquels le président de la chambre de l’instruction et le tribunal correctionnel statuent à juge unique. Il prévoit en outre que la cour d’appel siège également dans une composition à juge unique lorsqu’elle statue sur appel des jugements du tribunal correctionnel siégeant à juge unique.

La définition des cas dans lesquels ces formations d’instruction et de jugement statuent dans une composition à juge unique est précise et repose sur des critères objectifs. Le Conseil d’ État estime que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la justice.

L’introduction de l’examen à juge unique des appels en matière correctionnelle constitue toutefois une importante nouveauté, dont les conséquences devraient faire l’objet de développements plus nourris dans l’étude d’impact.

3.  Règles relatives à l’action publique et au jugement

Alternatives aux poursuites

81.        Le projet prévoit plusieurs dispositions tendant à favoriser les mesures alternatives à la poursuite des auteurs de délits devant la juridiction de jugement. Il étend en particulier le recours à l’ordonnance pénale en matière délictuelle, assouplit les conditions de recours à la procédure de composition pénale et étend le champ des peines qui peuvent être appliquées dans le cadre de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Le Conseil d’ État estime que, lorsque l’auteur d’une infraction pénale ne conteste ni sa culpabilité ni la peine ou la mesure qu’il est envisagé de lui imposer, les mesures tendant à favoriser un traitement rapide et efficace de la procédure doivent être encouragées, dès lors que des garanties appropriées assurent que la personne mise en cause est mise à même de donner un consentement libre et éclairé tant sur sa culpabilité que sur la peine ou la mesure envisagée.

82.        Toutefois les procédures conduisant à éteindre l’action publique sans que la personne mise en cause ait été citée à comparaître à l’audience devant la juridiction de jugement, notamment les procédures de type transactionnel, ne sauraient être prévues par la loi que dans les cas où les inconvénients qu’elles comportent, tant pour la protection des droits des personnes mises en cause et de la victime que pour la sauvegarde des intérêts de la société, n’apparaissent pas disproportionnés au regard de l’intérêt que leur mise en œuvre présente pour une bonne administration de la justice.

A ce titre, s’agissant des délits de droit commun, lorsqu’une mesure alternative à la poursuite devant la juridiction de jugement conduit à l’extinction de l’action publique, elle doit en principe être soumise à la validation ou à l’homologation d’un juge. Il ne peut en aller autrement que pour des délits de faible gravité et à la condition que les mesures retenues présentent un degré de sévérité qui n’excède pas le maximum des peines en matière contraventionnelle.

Dans ces conditions, le Conseil d’ État estime que l’extension de la procédure d’amende forfaitaire délictuelle à trois délits (usage de stupéfiants, vente d’alcool aux mineurs et transport routier sans carte de transport insérée dans le chronotachygraphe) ne méconnaît pas ces exigences dès lors que, d’une part, ces délits ne sont punis que d’une peine d’amende ou une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans et, d’autre part, que, pour chacun de ces délits, le montant de l’amende forfaitaire majorée n’excède pas le plafond encouru pour les amendes contraventionnelles. Le Conseil d’ État apporte plusieurs amendements en ce sens au projet de loi.

83.        Le Conseil d’ État estime que les dispositions du projet de loi relatives à la procédure de composition pénale, qui dispensent cette procédure de l’homologation du juge lorsque la composition ne porte que sur une amende de composition ou sur la remise de la chose qui a servi à commettre l’infraction ou en constitue le produit ne heurtent pas davantage ces exigences à la condition que cette dispense ne soit applicable qu’aux délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans et que l’amende de composition ou la valeur de la chose dont le mis en cause devra se dessaisir n’excède pas non plus le plafond des amendes contraventionnelles. Le Conseil d’ État complète le projet de loi en ce sens.

84.        S’agissant de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le projet de loi permet que cette procédure puisse conduire à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an sans pouvoir toutefois excéder la moitié de la peine encourue. Il permet également la révocation de sursis antérieurs. L’ensemble des garanties entourant la mise en œuvre de cette procédure sont maintenues et, en particulier, la publicité de l’audience d’homologation, l’assistance obligatoire de l’avocat de la personne poursuivie, la convocation de la victime à l’audience d’homologation, la possibilité qui lui est reconnue de former à cette occasion une demande de dommages intérêts et, enfin, la faculté du juge de refuser l’homologation s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire. Dans ces conditions, le Conseil d’ État estime que ces dispositions ne méconnaissent par les exigences constitutionnelles rappelées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. 106 et 107 et n° 2011-641 DC du 8 mars 2011, cons.  11 à 19.

Jugement

–  Jugement des délits

Comparution à délai différé devant le tribunal correctionnel

85.        Le projet institue, à l’article 397-1-1 du code de procédure pénale, une nouvelle procédure de comparution devant le tribunal correctionnel : la comparution à délai différée. Cette procédure, qui présente certaines éléments de proximité avec la convocation par procès-verbal et la comparution immédiate, est destinée à permettre au procureur de la République, après avoir mis en mouvement l’action publique en saisissant le tribunal, d’une part, de faire comparaître le prévenu devant le juge des libertés et de la détention afin que puissent être prises à son encontre des mesures privatives ou restrictives de liberté pour s’assurer de sa personne dans l’attente de sa comparution devant le tribunal et, d’autre part, de compléter le dossier de la procédure avec les résultats de réquisitions, d’examens techniques ou d’examens médicaux sollicités avant la mise en mouvement de l’action publique qui n’étaient pas encore disponibles lorsque l’action publique a été mise en mouvement. La détention provisoire ne peut être prononcée par le juge des libertés que si la peine encourue est supérieure ou égale à trois ans d’emprisonnement ; l’ordonnance plaçant l’intéressé en détention provisoire est susceptible d’appel devant la chambre de l’instruction ; le prévenu doit comparaître devant le tribunal dans un délai de deux mois, à défaut de quoi il est libéré ou les mesures restrictives de libertés cessent de plein droit. En outre les parties peuvent demander au tribunal d’ordonner les actes d’enquête qu’elles estiment nécessaires à la manifestation de la vérité.

86.        Le Conseil d’ État estime que la possibilité, pour le procureur de la République, de compléter le dossier de la procédure par le résultat d’actes d’investigation ordonnés avant la mise en mouvement de l’action publique ne méconnaît aucun principe constitutionnel.

Toutefois, le Conseil d’ État estime que la coexistence de la procédure de convocation par procès‑verbal, de la comparution immédiate et de la nouvelle procédure de convocation à délai rapproché est peu cohérente avec l’objectif de simplification poursuivi par le projet de loi. Quoi que poursuivant des objectifs différents, ces procédures présentent de grandes similitudes et mériteraient d’être soumises à un cadre commun, voire unifié. Le Conseil d’ État invite donc le Gouvernement à envisager la fusion de ces différentes procédures.

Extension de l’ordonnance pénale

87.        Le projet prévoit que la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale pourra être mise en œuvre pour tous les délits jugés par le tribunal correctionnel statuant à juge unique. Il harmonise ainsi la compétence du tribunal correctionnel statuant à juge unique et le champ de la procédure simplifiée d’ordonnance pénale.

88.        Le projet prévoit en outre la possibilité de prononcer des peines alternatives selon la procédure simplifiée d’ordonnance pénale. Il permet donc que la peine de jours-amende et la peine de travail d’intérêt général puissent être infligées selon cette procédure non contradictoire. S’agissant de la peine de travail d’intérêt général, il précise qu’elle ne peut être infligée que si le mis en cause a indiqué, au cours de l’enquête, qu’il y consent.

La procédure d’ordonnance pénale suppose que la personne mise en cause, qui ne conteste pas la peine fixée par le juge au terme d’une procédure non contradictoire, est réputée avoir compris et accepté cette peine. Une telle procédure n’est envisageable que si le mis en cause a été mis en mesure de consentir en toute connaissance de cause à la peine portée à sa connaissance. Or, la relative complexité de la peine de travail d’intérêt général et de la peine de jours-amende, et les conséquences qui résultent de l’inexécution de ces peines, au regard de la liberté individuelle, interdisent qu’une ordonnance pénale infligeant l’une de ces peines soit notifiée par écrit à la personne mise en cause.

Par suite, le Conseil d’ État estime que la possibilité d’infliger une peine de jours-amende ou une peine de travail d’intérêt général dans le cadre de la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale n’est compatible avec le respect des droits de la défense qu’à la condition que, lorsqu’elle prononce une telle peine, l’ordonnance pénale soit portée à la connaissance de l’intéressé oralement, par le procureur de la République ou la personne désignée par lui, afin qu’il reçoive les informations et explication appropriées et puisse décider, en toute connaissance de cause, s’il conteste cette peine ou s’il s’y soumet.

–  Jugement des crimes

Simplifications procédurales

89.        Le projet de loi modifie certaines dispositions du code de procédure pénale relatives au jugement des crimes dans le but de permettre de mieux anticiper la durée prévisible des débats devant la cour d’assises et de remédier à certaines causes d’allongement inutile de ces débats. Ces modifications, d’aspect principalement technique, n’appellent pas d’observations sur le plan constitutionnel ou conventionnel. En particulier, le Conseil d’ État estime qu’aucun principe ne fait obstacle à ce que le président de la cour d’assises puisse, pour la clarté et le bon déroulement des débats, interrompre un témoin au cours de sa déposition.

90.        Le projet de loi prévoit que la cour d’assises peut renvoyer le débat sur les intérêts civils. Une telle possibilité de renvoi offre une souplesse supplémentaire dans la gestion des débats. Toutefois, le Conseil d’ État considère que le projet du Gouvernement, en organisant le renvoi devant le tribunal correctionnel, c’est-à-dire devant une formation collégiale d’une autre juridiction, qui au surplus ne connaît pas l’affaire, est incohérent avec l’objectif recherché d’efficacité et de simplification : il risque en pratique de retarder l’indemnisation des victimes. Pour éviter cet écueil, le Conseil d’ État suggère que le renvoi ne soit possible que devant le président de la cour d’assises siégeant à la cour d’appel.

Expérimentation du tribunal criminel départemental

91.        Le projet de loi prévoit l’expérimentation du tribunal criminel départemental afin de juger en première instance des crimes punis de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle, lorsque l’accusé majeur n’est pas en état de récidive légale. Cette juridiction siège dans une composition formée d’un président et quatre assesseurs dont deux au plus peuvent être des magistrats honoraires ou des magistrats exerçant à titre temporaire. Le projet de loi organique complète à cette fin les missions judiciaires qui peuvent être accomplies par ces magistrats honoraires et ces magistrats exerçant à titre temporaire.

L’expérimentation est conduite dans des départements désignés par arrêté du ministre de la justice (entre deux et dix départements) pendant les années 2020 à 2022.

92.        Le projet d’expérimentation définit de façon suffisamment précise l’objet et les conditions de l’expérimentation. Il ne méconnaît pas la compétence que l’article 37-1 de la Constitution confie au législateur en renvoyant à un arrêté du garde des sceaux le soin de déterminer les départements dans le ressort desquels cette expérimentation aura lieu. Il fixe le terme de l’expérimentation qu’il autorise. Le Conseil d’ État estime par conséquent que les conditions prévues par l’article 37-1 de la Constitution, qui encadrent le recours à l’expérimentation, sont réunies (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-635 DC du 4 août 2011, loi relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, cons. 20).

4.  Création d’un parquet national antiterroriste

93.        Le projet de loi crée un procureur antiterroriste, chef d’un parquet national antiterroriste. Ce procureur exerce une compétence nationale concurrente avec les parquets territorialement compétents pour trois catégories d’infractions : les délits et crimes terroristes ainsi que certaines infractions visant des personnes mises en cause pour des actes de terrorisme, les infractions relatives à la prolifération des armes de destruction massive et, enfin, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Le procureur antiterroriste est créé, dans le code de procédure pénale et dans l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature, en s’inspirant des dispositions applicables au procureur national financier institué par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ainsi que par la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier.

94.        Le Conseil d’ État observe, que, à l’exception de l’exercice de l’action publique devant la cour d’assises spéciale en matière de terrorisme, la compétence du procureur antiterroriste n’est pas plus étendue que celle qu’exerce actuellement, en matière de terrorisme, le procureur de la République de Paris. Le procureur de la République ne dispose pas d’un pouvoir opérationnel à l’égard des parquets locaux dont il ne peut coordonner l’action dans le champ de sa compétence. Le Conseil d’ État observe également que la création d’un parquet national antiterroriste n’est pas sans présenter, d’une part, un risque d’isolement des magistrats affectés à ce parquet avec l’inconvénient de perdre la perception des liens entre la petite délinquance et le terrorisme, en particulier dans les parcours de radicalisation et, d’autre part, une rigidité inutile pour adapter les effectifs de magistrats affectés à la lutte anti-terroriste aux évolutions de la criminalité en la matière.

95.        Toutefois, compte tenu de l’importance que revêt l’action publique en matière de terrorisme, de la place qu’elle occupe désormais dans les compétences du procureur de la République de Paris et des impératifs de visibilité liés à la coopération internationale, le Conseil d’ État n’estime pas dépourvues de pertinence la spécialisation de ces fonctions et la création d’un parquet national antiterroriste.

96.        Le projet de loi institue, à l’article 706-17-1 du code de procédure pénale, la « réquisition par délégation judiciaire » par laquelle, lorsqu’il exerce sa compétence en matière de lutte contre le terrorisme, le procureur national antiterroriste peut procéder ou faire procéder par un autre parquet aux actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions. Cette nouvelle disposition, qui inscrit dans le code de procédure pénale les modalités selon lesquelles s’organise la coopération entre le parquet national antiterroriste et les parquets compétents, ne crée pas de rapport hiérarchique ni d’autorité du premier sur les seconds. Elle ne modifie pas l’état du droit dès lors que tout procureur de la République peut, par simple « soit-transmis », demander à un autre parquet d’accomplir un acte dans le cadre d’une enquête.

Le Conseil d’ État considère que la clarification ainsi opérée des règles de coopération entre les parquets en matière de lutte contre le terrorisme ne soulève pas de difficulté. Toutefois, afin d’éviter de fragiliser, a contrario, la pratique de coopération entre les parquets territorialement compétents, qui prévaut actuellement sans texte, il estime nécessaire de compléter l’article 41 du code de procédure pénale pour consacrer l’existence de cette coopération.

Magistrats du ministère public délégués à la lutte contre le terrorisme

97.        Le projet de loi modifie le code de l’organisation judiciaire afin de créer, au sein de chaque tribunal de grande instance dans le ressort duquel est susceptible de se trouver une forte concentration de personnes soutenant ou adhérant à des thèses incitant à la commission d’actes terroristes, un magistrat du ministère public délégué à la lutte contre le terrorisme. Ce magistrat, sans être placé sous l’autorité hiérarchique du procureur antiterroriste, est chargé d’informer ce dernier des affaires en lien avec le terrorisme et de l’état de la menace terroriste dans son ressort, de participer à la coordination administrative de prévention et de détection du terrorisme et de sa radicalisation, du suivi des personnes placées sous main de justice identifiées comme étant radicalisées dans son ressort et de la diffusion auprès des magistrats du ressort des informations permettant d’aider à prévenir les actes de terrorisme.

Le Conseil d’ État estime qu’en l’absence de toute incidence sur les règles de procédure pénale, notamment sur la mise en œuvre et l’exercice de l’action publique par le ministère public, la création de magistrats délégués à la lutte contre le terrorisme ne relève pas du domaine de la loi. Des magistrats « référents » en matière de lutte contre le terrorisme ont d’ailleurs déjà été institués par voie de circulaire. Par suite, le Conseil d’ État écarte les dispositions législatives instituant la fonction de magistrats délégués à la lutte contre le terrorisme.

Titre V :         Renforcer l’efficacité et le sens de la peine

Redéfinition de l’échelle des peines

98.        La redéfinition, par le projet de loi, de l’échelle des peines inscrite à l’article 131-3 du code pénal, tendant essentiellement à faire du travail d’intérêt général la troisième peine après l’emprisonnement et la détention à domicile sous surveillance électronique, n’appelle pas, en elle-même, d’observation du Conseil d’ État.

Peine de détention à domicile sous surveillance électronique

99.        Le Conseil d’ État prend acte de ce que la création de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique, deuxième peine après l’emprisonnement, est destinée à favoriser le prononcé de cette mesure par les juridictions correctionnelles. Il propose une modification des dispositions du projet de loi pour préciser que le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs ne peut prononcer à l’encontre des mineurs une peine de détention à domicile sous surveillance électronique supérieure à la moitié de la peine encourue sous réserve de l’application des exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Unification des peines de stage

100.    Le projet de loi unifie, dans un souci de simplification, les peines de stage déjà prévues dans le code pénal, à savoir le stage de citoyenneté, le stage de sensibilisation à la sécurité routière, le stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, le stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels et le stage de responsabilité parentale, auxquelles est ajouté le stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, prévu par l’article 4 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 21 mars 2018.

Ces différents stages devraient constituer des modalités d’une même peine encourue, soit à titre principal, soit à titre complémentaire, pour tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement. La juridiction devra préciser dans sa décision le stage auquel la personne sera condamnée.

Le Conseil d’ État observe que la création d’un régime unique de peine de stage et la suppression corrélative de nombreuses dispositions spécifiques sont, au-delà de la simplification ainsi réalisée, de nature à redonner de la cohérence dans l’usage de cette catégorie de peine. Il estime utile de préciser que la juridiction peut prononcer un ou plusieurs stages et qu’elle choisit le stage en prenant en compte la nature du délit et les circonstances dans lesquelles il a été commis.

Extension des possibilités de prononcer une peine de travail d’intérêt général

101.    L’article 131-8 du code pénal dispose que la peine d’intérêt général ne peut être prononcée que si le prévenu, présent à l’audience, donne son accord ou lorsqu’il est absent à l’audience, s’il a fait connaître par écrit son accord et s’il est représenté par son avocat. Le projet de loi permet à la juridiction de prononcer une peine de travail d’intérêt général, alors même que le prévenu n’est pas présent à l’audience et n’a pas préalablement fait connaître son accord par écrit. Deux conditions sont toutefois posées :

–          le tribunal doit fixer la durée maximale de l’emprisonnement ou le montant maximum de l’amende dont le juge de l’application des peines pourra ordonner la mise à exécution en tout ou partie en cas de non-accomplissement du travail d’intérêt général ;

–          le juge de l’application des peines doit informer le condamné de son droit de refuser l’accomplissement du travail d’intérêt général et recevoir sa réponse.

102.    L’article 131-8 du code pénal prévoit également que le condamné peut accomplir le travail d’intérêt général au profit d’une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public habilitée à mettre en œuvre de tels travaux. Le projet de loi précise que cette personne morale de droit privé peut agir dans un but lucratif, le cas échéant dans le cadre d’une délégation de service public.

Enfin, le projet de loi permet à titre expérimental pendant une durée de trois ans la réalisation d’un travail d’intérêt général au profit d’une personne morale de droit privé « engagée dans une politique de responsabilité sociale de l’entreprise ».

– En ce qui concerne le prononcé de la peine de travail d’intérêt général

103.    Le Conseil d’ État estime que les modalités nouvelles prévues par le projet de loi ne remettent pas en cause le principe du consentement à la peine de travail d’intérêt général.

–  En ce qui concerne la possibilité de réaliser des travaux d’intérêt général au profit de personnes morales de droit privé

104.    L’article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule : « …2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. / 3. N’est pas considéré comme « travail forcé ou obligatoire » au sens du présent article : / a) tout travail requis normalement d’une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la (…) Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle (…)».

L’article 2 de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail n° 29 sur le travail forcé de 1932, ratifiée par la France, n’autorise « tout travail ou service exigé d’un individu comme conséquence d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire », qu’à la condition que le travail « soit exécuté sous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et que l’individu ne soit pas concédé ou mis à disposition de particuliers, compagnies ou personnes morales privées ».

Ces stipulations ont été interprétées notamment par les organes de l’Organisation Internationale du Travail, comme posant trois exigences lorsque le travail est effectué auprès d’une personne morale de droit privé :

–          la personne condamnée doit consentir formellement à la peine de travail d’intérêt général ;

–          le travail proposé doit avoir la nature d’un travail d’intérêt général ;

–          le travail ne doit pas être réalisé en vue de procurer un intérêt économique à la personne morale de droit privé.

Ainsi, le travail proposé ne doit pas remplacer directement un emploi rémunéré mais fournir une valeur ajoutée à la collectivité.

Le Conseil d’ État relève que les deux premières des trois conditions sont satisfaites par les dispositions proposées. Il note également qu’en application de l’article 20-5 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, les travaux d’intérêt général, lorsqu’ils sont prononcés à l’encontre de mineurs, doivent être adaptés et présenter un caractère formateur ou de nature à favoriser l’insertion sociale des jeunes condamnés.

105.    L’article 131-36 du code pénal renvoie à un décret en Conseil d’ État la détermination des conditions dans lesquelles s’exécute l’activité des condamnés à une peine de travail d’intérêt général ainsi que la nature des travaux proposés. Il revient également à ce décret de préciser les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes morales de droit privé pour proposer des travaux d’intérêt général.

Le projet de loi renvoie enfin à un décret en Conseil d’ État la détermination des conditions spécifiques d’habilitation des entreprises engagées dans une politique de responsabilité sociale de l’entreprise et d’inscription des travaux qu’elles proposent sur la liste des travaux d’intérêt général, ainsi que les obligations particulières mises à leur charge dans la mise en œuvre de ces travaux.

Il appartient ainsi au pouvoir réglementaire, dans la fixation des règles d’habilitation des personnes ou entreprises comme dans la définition de la nature des travaux qui peuvent être confiés aux personnes condamnées de veiller au respect des exigences – et en particulier de la troisième condition rappelée plus haut – découlant de l’article 2 de la convention n° 29 de l’Organisation Internationale du Travail.

106.    Le Conseil d’ État en conclut que les dispositions du projet de loi ne méconnaissent, par elles‑mêmes, aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle.

–  En ce qui concerne l’identification des personnes morales pouvant proposer un travail d’intérêt général

107.    Le Conseil d’ État estime que la notion utilisée par le législateur de « personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public » est suffisamment explicite et qu’il n’est pas nécessaire d’y ajouter la mention particulière d’une catégorie de personnes comprise dans cette notion. S’il le juge utile, le Gouvernement dispose d’autres moyens pour informer les personnes en cause de la portée du dispositif prévu à l’article 131-8.

–  En ce qui concerne le champ de l’expérimentation

108.    Le Conseil d’ État propose de substituer à la notion, imprécise, d’« entreprise engagée dans une politique de responsabilité sociale de l’entreprise » celle, différente, de « personne morale de droit privé remplissant les conditions définies par l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et poursuivant un but d’utilité sociale au sens de l’article 2 de la même loi ». En effet, la catégorie de personnes morales de droit privé visée par cette nouvelle rédaction est à la fois mieux définie et plus adaptée à l’utilité sociale des travaux pouvant être proposés, conformément à l’objectif recherché par le Gouvernement.

Si le texte prévoit la durée de l’expérimentation qui devrait s’appliquer aux majeurs comme aux mineurs condamnés, il renvoie entièrement à un arrêté du garde des sceaux le soin d’en déterminer le champ d’application territorial. Compte tenu des indications fournies par le Gouvernement, le Conseil d’ État propose de prévoir que le nombre de départements dans lesquels l’expérimentation se déroulera ne pourra excéder vingt. Afin de permettre une pleine utilisation du délai d’expérimentation prévu par le législateur, il propose de préciser que ce délai ne commencera à courir qu’à compter de la publication du décret nécessaire à la mise en œuvre de cette expérimentation.

Enquêtes de personnalité 

109.    Le projet de loi réintroduit dans le code de procédure pénale la possibilité, supprimée par la loi du 4 mars 2012, pour le procureur de la République ou le juge d’instruction de saisir le service pénitentiaire d’insertion et de probation aux fins d’investigation sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou sociale de la personne poursuivie. Il prévoit également que ces investigations seront obligatoires pour toutes les personnes poursuivies en cas de réquisition de détention provisoire. Cette obligation n’est aujourd’hui posée que pour les majeurs de moins de 21 ans.

Le projet donne également la possibilité à la juridiction de jugement d’ajourner le prononcé de la peine pour ordonner des investigations supplémentaires sur la personnalité et la situation de la personne poursuivie non plus uniquement lorsque cela est « nécessaire » mais lorsque cela apparaît désormais « opportun (…) pour permettre le prononcé d’une peine » autre que l’emprisonnement ferme non aménagé. Il est également prévu que la personne peut être placée, jusqu’à la date à laquelle il est statué sur la peine, sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence sous surveillance électronique ou en détention provisoire.

110.    Si de telles dispositions ne se heurtent à aucun obstacle juridique, le Conseil d’ État observe que leur effectivité dépendra nécessairement des moyens humains supplémentaires dont pourront disposer les services pénitentiaires d’insertion et de probation. La charge de ces services pourrait par ailleurs être sensiblement accrue par d’autres mesures prévues par le projet de loi : la création de la peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique, le renforcement des mesures pouvant être mises en œuvre dans le cadre du sursis mise à l’épreuve devenu sursis probatoire et l’application systématique de la libération sous contrainte.

Peines d’emprisonnement

111.    Le projet de loi modifie substantiellement les conditions du prononcé des peines d’emprisonnement prévues par le code pénal et précisées par le code de procédure pénale.

Il interdit, tout d’abord, le prononcé de peines d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois.

Pour les peines comprises entre un et six mois d’emprisonnement, leur aménagement est de principe et doit être prononcé ab initio par le juge correctionnel, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou la situation du condamné. Elles ont donc vocation à être normalement exécutées sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la détention à domicile sous surveillance électronique.

Pour les peines comprises entre six mois et un an d’emprisonnement, sont applicables les conditions prévues par les dispositions en vigueur de l’article L. 132-19 du code pénal. La peine doit faire l’objet d’une mesure d’aménagement si la personnalité et la situation du condamné le permettent et sauf impossibilité matérielle. Il appartient au juge correctionnel soit de justifier de l’impossibilité d’un aménagement de peine, soit de procéder lui-même à l’aménagement de la peine, soit enfin, s’il ne dispose pas des éléments lui permettant d’apprécier la mesure d’aménagement adaptée, de renvoyer la personne condamnée devant le juge de l’application des peines.

Le projet supprime par ailleurs le caractère systématique de l’aménagement des peines comprises entre un et deux ans d’emprisonnement tel qu’il est prévu par l’article 723-15 du code de procédure pénale.

Le projet de loi simplifie également les dispositions relatives au prononcé ab initiodes mesures de détention à domicile sous surveillance électronique, de semi-liberté et de placement à l’extérieur. Il supprime, en effet, l’exigence des garanties spécifiques de réinsertion ainsi que la distinction entre récidivistes et non récidivistes en retenant un seuil unique d’un an.

Enfin, le projet crée un mandat de dépôt à effet différé applicable lorsque la peine d’emprisonnement est d’au moins six mois. Ce mandat doit être exécuté dans le mois suivant la condamnation par le procureur de la République qui fixe la date d’incarcération dans un établissement pénitentiaire. Dans ce cas, le condamné n’est pas convoqué devant le juge de l’application des peines. L’obligation du mandat de dépôt pour les récidivistes est, pour sa part, supprimée.

112.    Le Conseil d’ État estime que ces dispositions, qui sont destinées à favoriser une exécution des peines à la fois effective et conforme aux objectifs d’intérêt général de prévention de la récidive et de réinsertion sociale des personnes condamnées, ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.

Probation et exécution des peines

Libération sous contrainte

113.    La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a prévu un examen par le juge de l’application des peines de la situation des personnes condamnées qui ont exécuté les deux tiers d’une peine inférieure ou égale à cinq ans et le prononcé, lorsque la personnalité et la situation de la personne concernée le permettent, d’une libération sous contrainte. Le reliquat de peine est alors exécuté, selon la décision du juge, sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur, du placement sous surveillance électronique ou de la libération conditionnelle. Si le juge de l’application des peines ne procède pas à l’examen de la personne condamnée, il revient au président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, d’office ou sur saisine de la personne condamnée ou du procureur de la République, de prononcer la libération sous contrainte dans les mêmes conditions.

Le projet de loi prévoit que cette libération sous contrainte doit être prononcée par le juge de l’application des peines sauf s’il constate, par une ordonnance spécialement motivée, qu’il est impossible de mettre en œuvre une des mesures prévues pour l’exécution du reliquat de la peine. Cette disposition n’appelle pas d’observation du Conseil d’ État.

Allègement et simplification des procédures d’exécution des peines

114.    Le Conseil d’ État estime que le contenu des mesures d’allègement et de simplification des procédures d’exécution des peines prévues par le projet de loi ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel. En particulier, le projet de loi peut confier au chef de l’établissement pénitentiaire l’octroi de permissions de sortir dès lors qu’aucune disposition de la Constitution ni aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République n’exclut que les modalités d’exécution des peines privatives de liberté soient décidées par des autorités autres que des juridictions.

Toutefois, le Conseil d’ État ne retient pas les dispositions relatives à la composition et au fonctionnement de la commission d’application des peines, dont les attributions sont uniquement consultatives : celles-ci relèvent en effet de la compétence du pouvoir réglementaire. Elles sont, par suite, renvoyées à un décret, notamment pour préciser les modalités de délibération de la commission par voie dématérialisée.

Construction d’établissements pénitentiaires

115.    Les dispositions de ce chapitre consistent essentiellement à prévoir des adaptations et dérogations au droit commun destinées à accélérer la réalisation de nouveaux établissements pénitentiaires ou d’extensions d’établissements existants. Elles sont justifiées par le motif impérieux d’intérêt général de résorption de la surpopulation carcérale.

Participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement

116.    Le projet de loi prévoit de soumettre à la procédure de participation du public par voie électronique prévue à l’article L. 123-19 du code de l’environnement, en lieu et place de l’enquête publique, les projets ayant une incidence sur l’environnement nécessaires à la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Il prévoit, en outre, que la réalisation de la synthèse des observations et propositions déposées par le public dans le cadre de cette procédure sera effectuée par un garant nommé par la Commission nationale du débat public. Ces dispositions ne soulèvent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel, en particulier au regard de l’article 6 de la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.

Procédure d’expropriation d’extrême urgence

117.    Une disposition législative expresse est nécessaireafin de permettre, le cas échéant,de recourir à la procédure d’extrême urgence pour les opérations d’extension ou de construction d’établissements pénitentiaires entrées en phase d’études avant le 31 décembre 2026, dès lors que leur objet n’est pas au nombre de ceux énumérés par l’article L. 522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique qui institue cette procédure et que cet article exclut la prise de possession de terrains bâtis, tandis que les emprises qui seront nécessaires supportent des constructions. En cela, le projet se place dans la continuité de plusieurs lois qui comportaient des dispositions ayant le même objet.

Procédure intégrée pour la mise en compatibilité des documents d’urbanisme

118.    L’extension de la procédure intégrée pour la mise en compatibilité des documents d’urbanisme a été instituée par l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme pour faciliter la construction de logements ou de locaux d’activités économiques présentant un caractère d’intérêt général. Son application aux opérations d’extension ou de construction d’établissements pénitentiaires entrées en phase d’études avant le 31 décembre 2026 à laquelle procède le projet élargit la panoplie des outils nécessaires à ces réalisations, sans soulever d’objection juridique.

Cession gratuite ou avec décote de terrains des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou de leurs groupements

119.    Le projet du Gouvernement autorise les collectivités territoriales à céder gratuitement à l’État des terrains de leur domaine privé pour la construction d’établissements pénitentiaires.

Eu égard à l’enjeu essentiel que constitue la maîtrise du foncier pour la réalisation du programme immobilier pénitentiaire, le Conseil d’ État complète à plusieurs titres la rédaction du projet, afin d’en accroître l’efficacité. Ses modifications ont pour objet, d’une part, de permettre l’application de cette disposition non seulement à la construction de nouveaux établissements, mais aussi à l’extension d’établissements existants, d’autre part, d’ouvrir la possibilité de cession gratuite non seulement aux collectivités territoriales mais aussi à leurs établissements publics et à leurs groupements, enfin, d’autoriser également la cession à un prix inférieur au prix du marché.

Prorogation du moratoire sur l’encellulement individuel

120.    Le Conseil d’ État estime que la prorogation jusqu’en 2022 du moratoire sur l’encellulement individuel prévu à l’article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 est justifiée par les capacités aujourd’hui encore insuffisantes d’accueil des établissements pénitentiaires et dans l’attente des effets que devraient produire les différentes dispositions du projet de loi sur la population carcérale.

Prise en charge des mineurs délinquants

Accueil temporaire dans un autre lieu d’un mineur placé en centre éducatif fermé

121.    Le projet de loi modifie l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante afin de permettre, sur autorisation du juge, un accueil temporaire dans un autre lieu (unité éducative d’hébergement collectif de la protection judiciaire de la jeunesse, foyer du secteur associatif habilité, famille d’accueil, foyer de jeunes travailleurs, hébergement autonome en appartement) d’un mineur placé en centre éducatif fermé afin de préparer la fin du placement ou de prévenir un incident grave.

Le Conseil d’ État observe que, conformément à sa jurisprudence et à celle de la Cour de cassation, le mineur demeurera sous la responsabilité du centre éducatif fermé durant le temps de l’accueil dans un autre lieu.

Expérimentation d’une mesure éducative d’accueil de jour

122.    Le projet de loi propose de créer, à titre expérimental, un nouveau dispositif dénommé « mesure éducative d’accueil de jour » permettant, sur décision d’un juge, une prise en charge interdisciplinaire, continue et individualisée du mineur délinquant. Si l’évaluation est positive, il pourrait remplacer la mesure d’activité de jour prévue à l’article 16 ter de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Si le projet prévoit la durée de l’expérimentation, il renvoie entièrement à un arrêté du garde des sceaux le soin d’en déterminer le champ d’application. Compte tenu des indications fournies par le Gouvernement, le Conseil d’ État précise de préciser que le nombre de ressorts dans lesquels l’expérimentation se déroulera ne pourra excéder vingt.

Titre VI :       Renforcer l’organisation des juridictions

123.    Le projet accélère le mouvement déjà amorcé, inspiré de la volonté, à la fois, de maintenir une convenable implantation géographique des juridictions sur l’ensemble du territoire national, tout en simplifiant l’architecture de l’organisation judiciaire, d’optimiser leur fonctionnement ainsi que les moyens qui leur sont alloués, de concentrer le contentieux de certaines matières sur certaines juridictions pour sécuriser la réponse juridictionnelle en première instance et de responsabiliser les chefs de juridiction.

Première instance

124.    Le Conseil d’ État relève que la mesure essentielle consistant à opérer la fusion/absorption des tribunaux d’instance par les tribunaux de grande instance préserve le maillage de la présence judiciaire et, partant, l’accessibilité de la justice. Elle maintient les sites actuels, les anciens tribunaux d’instance absorbés devenant des chambres détachées du tribunal de grande instance, tout en s’appuyant sur la meilleure efficacité que permet la spécialisation, certains tribunaux de grande instance ou certaines chambres détachées devant être dédiés à certains contentieux civils et pénaux.

Le projet de loi prévoit la désignation par décret de certains tribunaux de grande instance pour juger, dans un département, de certaines matières civiles et de certains délits ou contraventions dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’ État. Il ajoute que, pour la mise en œuvre de ce dispositif, le premier président de la cour d’appel et le procureur général près cette cour peuvent proposer la désignation de tribunaux de leur ressort après avis des chefs de juridiction concernés.

125.    Le Conseil d’ État rappelle que le principe de la spécialisation de certains tribunaux de grande instance à compétence exclusive en certaines matières pose une règle constitutive de ces tribunaux spécialisés qui déroge à la compétence de droit commun des tribunaux de grande instance et, partant, relève du pouvoir législatif.

126.    Il admet que le législateur peut prévoir l’intervention d’un décret pour étendre la compétence territoriale de certains tribunaux de grande instance spécialisés, comme c’est déjà le cas pour la compétence particulière de certains tribunaux de grande instance en matière civile (ex. article D. 211-5 et suivants du code de l’organisation judiciaire) et en matière pénale (ex. articles D. 47-2, D. 47-3 et D. 47-13).

127.    Tout en relevant que les matières civiles actuellement attribuées à certaines juridictions spécialisées sont définies dans des textes de nature législative (articles L. 211-10 et suivants et L. 311-10 et suivants du code de l’organisation judiciaire), il estime que le renvoi par le législateur à un décret en Conseil d’ État pour la détermination, qui devra être opérée sur la base de critères objectifs et uniformes, de celles des matières civiles qui seront jugées, pour tout le département, par le tribunal de grande instance spécialement désigné à cette fin, ne méconnaît pas le partage de compétence entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, dès lors que ces matières ressortissent de la compétence de droit commun de la catégorie des tribunaux de grande instance, que les règles qui ont pour objet de fixer ou de répartir la compétence matérielle au sein du même ordre de juridiction, hors le domaine pénal, sont de nature réglementaire et que la procédure civile dont relève le jugement de ces affaires est elle-même de nature réglementaire.

Il admet également, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002) et ainsi qu’il l’a lui-même jugé (Conseil d’ État, n°s 257341 et 257534 du 5 janvier 2005, Melle Deprez et M. Gaillard), que l’attribution par la voie d’un décret en Conseil d’ État de certaines contraventions à certains tribunaux de grande instance spécialement désignés ne méconnaît pas davantage la compétence du législateur.

128.    En revanche, le Conseil d’ État estime que la détermination par le pouvoir réglementaire des délits dont le jugement serait attribué, pour tout un département, à certains tribunaux de grande instance désignés par un décret, sans que soient précisés dans le texte législatif les critères que le pouvoir réglementaire devrait retenir pour effectuer son choix, en ce qu’elle modifie la répartition des compétences matérielles, dans le domaine pénal, au sein de l’ordre de juridiction que constituent les tribunaux de grande instance et affecte les caractéristiques de cet ordre de juridiction, traduit une incompétence négative du législateur auquel l’article 34 de la Constitution confie la fixation des règles en ce domaine.

En conséquence, il suggère de préciser que la liste des délits dont les tribunaux spécialement désignés auront à connaître ne pourra comporter que ceux jugés en collégialité et afférents à un type de délinquance justifiant, en raison du volume d’affaires, la spécialisation d’une formation de jugement de l’un ou de plusieurs tribunaux de grande instance dans le département considéré.

129.    Il considère, par ailleurs, que la faculté donnée aux chefs de cour d’appel de proposer la désignation de ces tribunaux de leur ressort, qui ne lie pas le pouvoir réglementaire, ne s’analyse pas en une délégation qui leur serait illégalement donnée.

130.    Il estime que l’éloignement très relatif qui en résultera pour les justiciables ne porte pas atteinte au principe d’égalité entre les usagers du service public de la justice ni au droit de recours effectif et que les atteintes éventuelles aux intérêts économiques de certains professionnels du droit, notamment les avocats des barreaux des autres tribunaux de grande instance situés dans le même département, ne sont pas excessives et, en tout cas, ne sont pas disproportionnées au regard de la satisfaction des objectifs d’intérêt général et de bonne administration de la justice que poursuit la réforme. Dès lors, il apparaît que celle-ci ne contrevient à aucun principe constitutionnel ou conventionnel.

131.    Le Conseil d’ État observe que la fixation des compétences matérielles des chambres détachées, qui concerne l’organisation et le fonctionnement internes des tribunaux de grande instance dont elles dépendent, peut être opérée par un décret. S’il en résulte que certaines matières civiles ou pénales seront jugées par une chambre détachée du ressort du tribunal de grande instance et non par une autre qui aurait été territorialement compétente, ces modalités d’organisation n’emportent pas une différence de traitement et, partant, une rupture d’égalité entre justiciables.

132.    En revanche, le Conseil d’ État propose de modifier le projet de loi en ce qu’il prévoit que des compétences supplémentaires peuvent être attribuées aux chambres détachées par une décision conjointe du président du tribunal et du procureur de la République près ce tribunal. Si une telle décision peut être regardée comme une mesure d’administration judiciaire, il est préférable qu’elle émane conjointement des chefs de cour sur proposition ou avis des chefs du tribunal de grande instance, afin d’assurer un recul suffisant par rapport à chaque situation locale et une meilleure cohérence avec le rôle que le projet de loi souhaite confier aux chefs de cour dans l’organisation des services judiciaires de leur ressort.

133.    Le projet de loi prévoit que, dans les départements comprenant plusieurs tribunaux de grande instance, le procureur général peut confier à l’un des procureurs de la République le soin de représenter sous son autorité, l’ensemble des parquets dans le cadre le leur relations avec les autorités administratives du département, notamment pour la politique de prévention de la délinquance. Ces dispositions permettent de simplifier les relations entre le ministère public et les autres autorités administratives présentes dans le département, sans instaurer, pour la mise en œuvre de l’action publique, une hiérarchie entre les procureurs de la République. Elles n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’ État.

 Le projet permet aussi que dans ces mêmes départements, le décret désigne le ou les tribunaux de grande instance disposant de juges d’instruction ainsi que de juges de l’application des peines.

Améliorer la cohérence du service public de la justice au niveau des cours d’appel

134.    Le Conseil d’ État souligne l’intérêt que peut présenter l’expérimentation envisagée par la disposition, dont il améliore la rédaction, visant à attribuer à certains chefs de cour d’appel des fonctions d’animation et de coordination, sur un ressort pouvant s’étendre à celui de plusieurs cours d’appel situées au sein d’une même région. Cette expérimentation est incontestablement de nature à démontrer les avantages susceptibles d’en résulter pour l’institution judiciaire, aussi bien dans ses relations avec les services de l’ État et les collectivités territoriales qu’avec les usagers du service public de la justice.

Titre VII :      Dispositions relatives à l’entrée en vigueur et à l’application outre-mer

Application de la loi dans le temps

135.    Le Conseil d’État estime que, pour assurer la sécurité des procédures et dans un souci de bonne administration de la justice, les dispositions qu’il suggère d’introduire dans le code de procédure pénale, reconnaissant à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire le droit de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il statue sur la légalité de cette mesure, doivent s’appliquer aux perquisitions et visites domiciliaires intervenues après l’entrée en vigueur de ces dispositions.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 12  avril 2018.