Fiche débat n°1 : Recrutement et attractivité du corps

FICHE DEBAT n°1 :

RECRUTEMENT ET ATTRACTIVITE DU CORPS

Les propositions de l’USMA pour rendre au corps des juges administratifs son caractère attractif et pallier les difficultés réelles de recrutement :

  • Admettre la réalité de l’augmentation de la charge de travail et trouver des solutions organisationnelles (pôles d’aide à la décision, poste rapporteur performant) permettant aux magistrats de se recentrer sur leur cœur de métier : juger.
  • Augmenter la rémunération dans toutes ses composantes (traitement, accompagnement social, rémunération des tâches annexes).
  • Faire la promotion de la justice administrative auprès des acteurs institutionnels et médiatiques.
  • Faire à nouveau du corps des conseillers de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel une voie habituelle de sortie de l’école nationale d’administration.
  • Prendre soin de nos collègues détachés dans le corps.
  • Créer des parcours de carrière, diversifier les fonctions et ouvrir le Conseil d’Etat aux collègues les plus méritants, le mérite ne pouvant s’apprécier du seul fait de la proximité professionnelle avec des conseillers d’Etat.
  • Le recrutement

Le constat : un corps qui perd son attractivité

Il suffit de se référer aux rapports du jury sur les recrutements depuis 2013, externe, puis interne et externe, pour constater que lorsque chaque poste offert au concours en 2013 était le rêve de 22 candidats, alors qu’il n’est aujourd’hui que le rêve de 12 candidats, et même 8 au concours externe.

Magistrat administratif, le bagne ?

Le discours de notre gestionnaire demeure de dire que la charge de travail n’a pas augmenté, en raison de la stagnation du chiffre de dossiers pris en charge par magistrat.

Pour autant, tous les magistrats expérimentés que nous rencontrons, rapporteurs, rapporteurs publics, présidents de chambre, présidents assesseurs ou présidents de juridiction, nous confirment avoir vu la charge de travail augmenter de manière considérable tout au long de leur carrière. 

Nous avons chaque année dans nombre de tribunaux des collègues qui, parce qu’ils ne parviennent plus à satisfaire les exigences quantitatives, sont placés en arrêt maladie, prennent des RTT pour rattraper leur retard, ou compensent leurs arrêts maladie ou congés maladie en travaillant pendant ou après leurs congés. La disparition de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, fréquente, est source de souffrance.

S’il va de soi que le métier de juge administratif passionne ceux qui l’exercent, il n’est pas ou plus un métier confortable, et cela se sait.

Ça eut payé, mais ça paye plus

Le corps des magistrats administratifs demeure en outre le moins rémunéré parmi les corps recrutés par la voie de l’école nationale d’administration, rattrapant toujours avec retard le corps des magistrats de CRC.

Si nous continuons de revendiquer une augmentation de la rémunération des magistrats administratifs, nous n’inviterons toutefois pas le groupe de travail à proposer, comme nous en avions l’habitude, un alignement sur la rémunération des magistrats des comptes. La récente réforme dont ils sont les victimes, la part variable de leur prime étant devenue quasi intégrale, ne nous semble effet enviable ni dans son principe ni dans les conséquences qu’elle aura sur l’ambiance au sein des CRC. 

L’USMA plaide en effet pour que la juridiction administrative retrouve le goût du collectif. Elle refuse donc tout net que le collectif soit à nouveau malmené par des primes à la productivité dépourvues de sens et assurément ressenties comme arbitraires.

Nous y reviendrons s’agissant du déroulé de carrière, mais le rattrapage des rémunérations, nécessaire pour rendre à nouveau le corps des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel attractif ne peut s’inscrire que dans la satisfaction d’objectifs collectifs. Un magistrat administratif en tout début de carrière perçoit une rémunération franchement réduite et ne se sent haut-fonctionnaire que dans les textes.

Nous continuerons en revanche de revendiquer une augmentation de la rémunération, procédant d’une revalorisation et d’une refonte indiciaire et non d’une augmentation de la part de primes dans le traitement.

Au-delà de la rémunération au sens strict, l’attractivité d’un corps vient aussi de l’attention apportée aux magistrats.

Un comité des œuvres sociales inexistant dans les tribunaux, des tickets restaurant, soit refusés, soit à la valeur gelée, alors que l’accès aux restaurants administratifs n’est pas subventionné par notre gestionnaire, des chèques cadeaux de 25 euros à noël qui prémunissent les magistrats d’avoir des enfants gâtés, des rémunérations de commissions, quand elles existent, à 360 francspour trois heures[1]. N’en jetons plus.

Rémunérer mieux dans tous les sens du terme est une urgence, pour attirer ceux qui sont tentés et garder ceux qui sont là.

Champions de l’autocritique 

Lorsque, à la suite de la mise en place de l’Etat d’urgence, le juge administratif a vu son rôle de gardien des libertés publiques étendu, et alors que les critiques pleuvaient, on a vu des magistrats administratifs anonymes publier une tribune dans Libérationpour regretter, en substance, que l’on fasse confiance aux magistrats administratifs, par nature aux ordres, pour préserver les libertés.

Balayons également devant notre porte : lorsque les juges administratifs, et leurs représentants, parlent d’eux-mêmes et de leurs missions, ils ont plutôt tendance à parler de cette charge de travail écrasante, des week-end de permanence et de la solitude souvent ressentie, que de liberté d’organisation, d’indépendance ou de l’utilité sociale de l’acte de juger. 

Il faut que nous soyons à nouveau fiers de ce que nous sommes. Nous avons annoncé à l’USMA dans notre message de rentrée vouloir faire exister les magistrats administratifs au sein du pouvoir judiciaire et dans la cité. Nous allons nous y employer. Mais il faut que le Conseil d’Etat et nos juridictions fassent également un effort en ce sens. 

Nous avons donné l’exemple au président de la section du contentieux d’un magistrat interrogeant son chef de juridiction au sujet de la demande formulée par une de ses amies journaliste dans une grande chaine de télévision de suivre un juge administratif. La réponse fut « le Conseil d’Etat nous a dit de nous méfier de ce genre de choses. Non, les journalistes, moins on leur parle, mieux c’est ». Il y a un changement, également urgent, à opérer sur ce point.

Vive l’énarchie !

Les modes de recrutement ont évolué depuis le début des années 2010. Puisant dans le vivier des fonctionnaires, a été ajouté au recrutement au tour extérieur un recrutement par concours interne. Dans le même temps, le nombre de recrutements annuels à l’école nationale d’administration est en baisse constante, comme la proportion de magistrats issus de l’ENA dans le corps. Or la réduction de la proportion de magistrats issus de l’école nationale d’administration pourrait conduire, à notre sens, à une perte d’identité des magistrats administratifs. L’USMA se bat pour la reconnaissance constitutionnelle textuelle de notre indépendance et pour le port de la robe. Elle a obtenu du législateur que nous ayons désormais le statut de magistrats et c’est ce que nous sommes. Mais nous ne sommes pas que cela. Nous sommes également des hauts-fonctionnaires à même de comprendre le justiciable d’habitude qu’est l’administration. Nous sommes un corps issu de l’ENA et qui doit le rester

Ce risque, identifié également par notre gestionnaire, d’un décrochage des corps ENA, doit le conduire à exiger et obtenir une augmentation du nombre de postes offerts dans le corps des magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel à l’issue de l’ENA.

S’attacher aux détachés

Nous accueillons traditionnellement en nombre des détachés, depuis 2016 (15), 2017 (17) et 2018 (22)[2].

Mais accueillir est peut-être un terme un peu excessif. Peu informés de ce que l’on attend d’eux, peu accompagnés dans leurs difficultés, ils reçoivent, le cas échéant, le couperet de la fin de leur détachement lorsqu’ils ne sont pas intégrés comme une humiliation.

Ajoutons qu’aucune aide au retour dans leur administration d’origine, qui tienne notamment compte des mouvements et attributions des postes dans leur corps d’origine, ou aucune aide à la recherche d’un autre détachement n’est, le cas échéant, prévue.

Il n’est pas question ici de soutenir que tous les détachés doivent être intégrés. Mais nos collègues détachés, qui sont un enrichissement pour le corps, méritent un effort de management, d’accompagnement et de gestion.

Et il va de soi que l’attractivité de notre corps dans leur corps d’origine dépend aussi de ce que racontent ceux qui sont venus nous rejoindre pour un temps. Alors, là aussi, balayons devant notre porte, les organisations syndicales de magistrats doivent accorder une plus grande attention aux détachés[3]. Mais il appartient aux chefs de juridiction et au gestionnaire de fournir un effort particulier à leur égard.

L’inaccessible étoile

De quoi rêve un magistrat administratif ? Pas seulement de devenir maître des requêtes ou conseiller d’Etat. Mais cela est passé par la tête d’un certain nombre d’entre nous. Passé seulement, car lorsque nos contraintes familiales ou géographiques nous éloignent des quelques parcours fléchés qui semblent permettre d’atteindre le graal, nous savons que nos espoirs – pour ceux qui en avaient – deviennent chimériques.

Aussi brillante soit une magistrate ou un magistrat d’un tribunal de province, ses chances de rejoindre le saint des saints sont, concrètement, nulles. Or c’est aussi en éclairant le chemin de l’ensemble des magistrats et en leur proposant des perspectives d’évolution de fonction et d’évolution statutaire, y compris par des nominations au Conseil d’Etat, que la juridiction administrative sera regardée comme attractive par les personnes qui ont le talent nécessaire pour bénéficier de tels évolutions ou nominations.

Et, nous en reparlerons, c’est par la construction de parcours de carrière motivants, par la diversification des fonctions et la reconnaissance des connaissances et compétences acquises que la juridiction administrative sera regardée comme le lieu de construction d’une carrière enthousiasmante.

Pour l’heure, après un passage automatique, et relativement rapide, au grade de premier conseiller, la majorité de nos collègues attendent que soient révolues les 17 années en juridiction sensées justifier de leurs aptitudes managériales, pour passer président. On a vu plus attractif.

[1]
                   Extrait du Dalloz CT sur la présidence des conseils de discipline : « Le montant de ces vacations a été fixé par arrêté ministériel du 2 décembre 1996 (NOR : FPPA9610165A). Cet arrêté n’a, jusqu’à présent, pas été mis à jour, et le montant des vacations y est toujours exprimé en francs : 360 F pour une séance d’une durée au plus égale à trois heures, 520 F pour une séance d’une durée supérieure à trois heures et 1 000 F pour une séance d’une journée entière. S’agissant d’une rémunération, et non pas d’un remboursement de frais professionnels, ces vacations sont assujetties aux règles relatives à la CSG et au RDS ».

[2]
 Source : bilan social 2018.

[3]
                   Qui, au passage, ne doivent pas voir la syndicalisation comme un risque pesant sur leur intégration. Cette syndicalisation est sans incidence de principe, le Conseil d’Etat ne pouvant être soupçonné de discrimination en la matière ayant une incidence sur l’intégration des détachés, et permet à ces derniers d’être défendus si les choses ne se passent pas comme ils l’auraient souhaité.