« Pour l’unité de tribunal », par Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation

Pour l’unité de tribunal », par Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation

mardi 31 octobre 2017

 Un tribunal unique composé de formations spécialisées : les juridictions multiples existantes ont déjà la pratique de cette formule, qu’il est nécessaire de développer encore afin de rendre notre organisation juridictionnelle plus simple et intelligible pour nos concitoyens. 

Les questions de compétences matérielles créent souvent un procès dans le procès qui vient polluer son véritable objet : trancher une difficulté de fond. C’est pourquoi, le justiciable doit pouvoir s’adresser à un interlocuteur unique organisé pour orienter sa demande. Il y a dans cette évolution, non seulement une simplification pratique, mais aussi la fin des erreurs et des querelles de compétences qui ont une lourde part dans l’image de trop grande complexité du système judiciaire.

On peut déplorer que le tribunal d’instance, auquel on n’a pas su transmettre les nouveaux contentieux de proximité (famille et délits les moins graves, notamment), et que l’on a dépouillé de plus anciens (départition prud’homale, tutelles des mineurs), soit aujourd’hui devenu ainsi une juridiction largement obsolète. Mais les subtilités fréquentes des affaires souvent difficiles qu’il traite ne justifient pas que celles-ci soient séparées du contentieux général. C’est en réalité la question de l’adaptation des sites judiciaires aux vastes contentieux de proximité de notre époque qui est posée aujourd’hui, à travers la création de sites dédiés à la place des tribunaux d’instance.

Cependant, le tribunal d’instance ne doit pas être le seul concerné par la création d’un tribunal de première instance à compétence élargie.

Les tribunaux de commerce, les conseils de prud’hommes et les tribunaux administratifs ont aussi vocation à rejoindre tôt ou tard le cadre commun de la justice. Leur accès, leur organisation et leur fonctionnement s’en trouveront harmonisés et simplifiés. Certes, la généralisation de l’échevinage dans les juridictions commerciales et sociales ne sera pas réalisable à brève échéance. Toutefois, afin de stabiliser pleinement leur image dans la construction judiciaire, l’échevinage devra être programmé dans le cadre d’un pilotage de la justice maîtrisé sur la durée, de façon à échapper aux changements d’orientation gouvernementale très fréquents en matière de politique judiciaire, notamment à l’ égard des juridictions composées de non professionnels.

Il restera à choisir les sites des tribunaux de première instance. Leurs ressort sera a priori départemental, même si cette structure a beaucoup vieilli et peine à répondre aux évolutions démographiques, de façon à favoriser l’unité de direction territoriale. Il est souhaitable que le plus grand nombre des sites des juridictions actuelles, ainsi réunies dans l’unique tribunal de première instance, soient préservés partout où les contentieux de proximité les plus volumineux pourront y être traités utilement.

Une direction souple au niveau déconcentré de ces sites devrait permettre de moduler en temps réel la situation des implantations et de leurs compétences au rythme de l’évolution locale des contentieux, notamment par l’effet de « l’open data » dont on attend, à plus ou moins long terme, une forte décélération de la demande en justice, précisément dans les contentieux répétitifs. Cette modulation est appelée à suivre le rythme de l’adaptation, avant tout, des barreaux à la nouvelle justice participative où se trouve probablement l’avenir des techniques de conciliation qui se cherche depuis tant d’années.

Le nombre des cours d’appel devrait, de la même manière, épouser pour l’essentiel la nouvelle organisation administrative (le découpage régional est parfois mal adapté au structures judiciaires, telles, par exemple, les régions Bretagne et Pays de la Loire), de façon à former, là encore, un ensemble lisible par les citoyens, et la préservation des anciens sites des cours reconfigurées pourrait également être privilégiée, notamment pour sectoriser les types de contentieux dans des unités dédiées, et éviter le surdéveloppement d’un site unique. Là où des extensions ou créations immobilières seraient cependant nécessaires, il conviendrait alors de veiller à ce que la nouvelle architecture judiciaire réponde efficacement à des directives adaptées aux nécessités opérationnelles de la justice qui relèvent, avant tout, de l’appréciation des professionnels eux-mêmes.

Enfin, on ne peut passer sous silence l’avenir du traitement procédural des contentieux complexes dont le jugement est indifférent, non seulement à la comparution, mais aussi à la localisation des parties, ou du juge, et pour lesquels il faudra imaginer des formes de dématérialisation avancées : la territorialité de la compétence, la présence matérielle du tribunal sur un site géographique donné, le déroulé de l’audience et du délibéré, sont des notions elles-mêmes appelées à évoluer rapidement dans les matières indifférentes à la proximité du juge et du justiciable.

Mais, tout ceci ne se conçoit pas sans une modification profonde de la gouvernance de la justice dans son ensemble, fondée sur les idées majeures de la programmation et de la permanence.

Ceci implique que l’emprise du politique sur l’organisation de la justice soit desserrée afin de mettre en place des mécanismes neutres et purement techniques, répondant aux exigences de la prévision de l’action judiciaire sur le long terme.

Ce sujet, déjà positivement abordé dans la réflexion du Sénat1, a été traité à la Cour de cassation par une commission animée par le professeur Bouvier2, et la conjonction de ces travaux devrait contribuer utilement à fournir une orientation pour une nouvelle gouvernance de la justice.

Bertrand Louvel