Compte-rendu de l’entretien avec la MIJA – 21 janvier 2020

Une délégation de l’USMA, composée de M. Emmanuel Laforêt, membre du conseil syndical, et de M. Olivier Di Candia, Président de l’USMA, a rencontré M. Christophe Devys, Président de la MIJA le mardi 21 janvier 2020.

A cette occasion, l’USMA est revenue sur les sujets suivants :

I- L’évaluation des chefs de juridiction : l’occasion manquée d’une évaluation à 180 ° ?

Si l’USMA se félicite des avancées par le groupe de travail présidé par le président Hoffmann sur l’évaluation des magistrats administratifs, elle ouvre également l’opportunité d’une véritable réflexion sur l’expérimentation d’une évaluation à 180° de nos chefs de juridiction. L’USMA a sollicité que cette réflexion s’ouvre enfin.

Cette méthode d’évaluation permettrait de dresser un inventaire des compétences managériales de chaque chef de juridiction, et de leur impact sur le fonctionnement de la juridiction présidée, en donnant la parole à ceux qui les vivent au quotidien, c’est-à-dire à l’ensemble de chaque communauté juridictionnelle au sein des TA et des CAA. 

Une telle évolution nous paraît nécessaire dès lors qu’il est admis que c’est, fondamentalement, de la qualité du management des chefs de juridiction que dépendent le bon fonctionnement de l’institution, la cohésion de la communauté juridictionnelle, le bien-être de ses membres et la qualité de la justice rendue. 

Or les magistrats ne disposent en définitive d’aucune information sur la manière dont sont recueillies les données permettant de renseigner les critères d’évaluation, s’agissant notamment de la valeur professionnelle des chefs de juridiction, alors même que les items tels que « capacité à animer une juridiction et à assurer la cohésion de la communauté juridictionnelle », « capacités d’écoute et de dialogue », ou « exercice de l’autorité », paraissent de prime abord délicats à apprécier à leur juste valeur sans prendre l’attache de ceux qui sont les premiers concernés par l’exercice de ces compétences. 

On peut même s’étonner que les appréciations n’aillent que de « bon » à « excellent ». Les difficultés rencontrées dans certaines juridictions laisseraient supposer que le point de vue collectif des membres de la communauté juridictionnelle pourrait donner lieu à d’autres appréciations. 

Faute de se doter des moyens de percevoir la façon dont chaque chef de juridiction est perçu dans sa qualité de manager par sa communauté juridictionnelle, nous pensons qu’il manque une composante essentielle au président de la MIJA pour pouvoir procéder à l’évaluation des chefs de juridiction. Si la dimension de gestionnaire importe, nous ne pouvons accepter que les chefs de juridiction soient évalués exclusivement à partir des données et résultats statistiques, lesquels ne sauraient refléter les qualités humaines d’un chef de juridiction. 

Permettre une pleine et entière évaluation des chefs de juridiction dans toutes les composantes attendues d’eux, c’est nécessairement ouvrir une réflexion sur la manière dont sont collectés, auprès de la communauté juridictionnelle, leur investissement auprès d’elle, leurs qualités humaines et aptitudes professionnelles. 

Il nous paraît ainsi essentiel que le président de la MIJA dispose également de ces informations pour évaluer les chefs de juridiction. En effet, les visites de la mission d’inspection, qui n’ont pas pour objet une telle évaluation, ne pourraient en tout état de cause, compte tenu de leur périodicité, pallier ce déficit. 

Notre proposition ne viserait pas à se substituer ni même à compléter l’évaluation conduite par le président de la mission d’inspection, mais constituerait un support essentiel de cette évaluation. 

Nous privilégions une évaluation à 180°, compte tenu de la structure et du positionnement des chefs de juridiction, au sein de leur juridiction : le panel d’acteurs consultés doit selon nous principalement reposer sur les membres de la juridiction. (accessoirement, pourrait être envisagé une consultation régulière des partenaires extérieurs principaux, que sont les autorités préfectorales, les élus des collectivités ou établissement territoriaux principaux, les représentants des barreaux, les universités, les représentants des compagnies d’experts et de commissaires enquêteurs et, le cas échéant, toute autorité spécifique au ressort de la juridiction, mais telle n’est pas la proposition de l’USMA). 

Notre proposition ne vise pas à ce que les magistrats et les personnels de greffe deviennent, même indirectement, évaluateurs de leur chef de juridiction, mais que leur point de vue soit recueilli pour l’évaluation des qualités dont eux-seuls sont les témoins, en vivant au quotidien leur mise en œuvre. 

A l’instar des travaux conduits par nos homologues judiciaires, nous sollicitons qu’un groupe de travail propose les modalités selon lesquelles une évaluation à 180 ° puisse être mise en œuvre à titre expérimental au sein des juridictions administratives.

Plus globalement, un tel processus permettrait au président de la MIJA et au chef de juridiction concerné de comprendre comment chaque membre de la juridiction perçoit son management et son organisation, de prendre conscience des marges de progression et d’amélioration, de lever parfois certains malentendus et distorsions entre le but poursuivi par le chef de juridiction à travers certains choix managériaux, et la perception qu’ont de ces mêmes choix les membres de la communauté juridictionnelle. 

II- Les conditions nécessaires pour que la « cellule écoute » entende : 

L’USMA s’est longtemps battue seule pour qu’une cellule d’écoute pour les personnels soumis à un stress ou une souffrance au travail soit mise en place. Cette revendication vient d’aboutir au lancement d’une expérimentation d’un an. Nous nous en réjouissons. A l’aune des objectifs de la cellule, nous avons exprimé quelques réserves quant à la composition de la cellule.

Les objectifs de cette cellule :

* Instaurer une confiance préalable à la prise de contact. 

* Ouvrir la possibilité d’exprimer une souffrance au travail en délocalisant le problème et en s’adressant à des personnes formées de l’écoute.

* Traiter la difficulté dans le respect de l’auteur du signalement initial, s’il apparaît que cette souffrance découle d’une organisation ou de relations anormales de travail. 

La composition de cette cellule d’écoute :

La DRH du CE annonce la création d’une cellule nationale, composée du médecin de prévention du CE, des chargés de fonctions d’inspection et de mission de la MIJA, de la ou du chef(fe) du département des politiques sociales et des conditions de travail de la DRH et d’assistants de prévention volontaires (magistrats et agents de greffe). 

Il nous semble que deux écueils doivent être évités : 

D’un côté, une personne en souffrance n’est évidemment pas en capacité de contacter, même indirectement, la direction des ressources humaines ou les services d’inspection pour faire part de sa difficulté. De l’autre, il ne s’agit pas non plus de proposer un appel vers un n° vert externalisé, sans contrôle du prestataire, propice aux stériles abus de langage et sans aucun suivi. 

L’USMA souhaite, pour l’expérimentation, une cellule d’écoute interne et non qu’il soit fait appel à un prestataire. En revanche, eu égard aux objectifs évoqués, il peut sembler délicat d’y associer, en première intention, le service des ressources humaines ou la MIJA. 

Le vivier « d’écoutants » :

Il faut trouver une composition qui assure un recueil efficace de la parole en permettant d’instaurer la confiance avant toute prise de contact. 

La situation du corps nous semble plus susceptible de révéler des dysfonctionnements engendrant la souffrance que des cas relevant directement du soin (contrairement aux cellules mises en place lors d’événements traumatiques). 

En outre, nombre de collègues peuvent être rebutés par une approche médico-sociale. 

Enfin, il apparaît plus facile de former des magistrats ou agents à l’écoute que d’apprendre à un médecin ou une assistante sociale le fonctionnement du corps. 

Au final, des agents et magistrats, particulièrement sensibles à ces questions et dûment formés, nous semblent les plus à même de recueillir cette parole. 

En l’état, le choix de s’adresser aux assistants de prévention paraît donc judicieux. Cependant, l’objectif étant de « délocaliser » la difficulté, les assistants de prévention ne doivent pas intervenir localement et en bout de chaîne, comme cela est envisagé, mais constituer un « vivier » de personnes potentiellement intéressées par ce type de fonctions, qui interviendraien en premier et dans une juridiction qu’elles ne connaissent pas. 

Enfin, il apparaît que les présidents de chambre constituent l’une des catégories qui ressent le plus douloureusement la dégradation de ses conditions de travail. S’estimant tenus d’un devoir de loyauté à l’égard du chef de juridiction, ils ont très peu d’occasion d’exprimer leur mal être. Il faudra être particulièrement vigilants afin qu’ils puissent s’adresser en confiance à la cellule. 

Nous proposons, en outre, un projet de coach interne qui pourrait s’articuler très utilement avec cette cellule, particulièrement pour l’écoute des difficultés des présidents de chambre. 

La formation des assistants de prévention :

Le courriel adressé aux assistants de prévention révèle que la voie de signalement, pour le moment envisagé, est un formulaire à adresser par courriel. Il nous semble cependant évident que ce message sera nécessairement suivi d’un appel téléphonique d’un membre de la cellule d’écoute à l’auteur du signalement. Il convient donc de former ces personnes à l’écoute active. 

Cette formation est essentielle et ne peut s’improviser. De l’avis de personnes sensibilisées à ces questions, une seule journée paraît trop courte. Il en faudrait au moins trois sur des périodes séparées par exemple d’un mois, pour pratiquer entre temps. Ensuite, ils auront besoin de temps d’échange réguliers avec leurs homologues pour partager leurs expériences et leurs difficultés. Ce contenu est, bien sûr, indicatif et à affiner en lien avec des professionnels. 

Si l’on extrapole le nombre de saisine de la cellule existante au sein du CE au corps des TA et CAA, on peut imaginer environ 70 signalements annuels. Afin de bénéficier de la formation la plus poussée et d’une certaine pratique, il serait pertinent de ne retenir qu’un faible nombre de personnes, particulièrement investies. Un groupe restreint permet aussi une diffusion, utile pour la confiance, de l’identité de la dizaine de membres de la cellule. 

Les informations recueillies par la cellule : 

La charte de confidentialité 

L’indispensable confiance préalable impose la définition d’une charte très claire, garantissant l’anonymat de l’appelant et imposant le secret à l’écoutant. Ce secret ne peut, sauf infraction pénale, être levé que par l’auteur du signalement. 

On peut aussi imaginer qu’il soit partiellement levé, toujours avec l’accord des personnes concernées, mais en leur conservant l’anonymat s’il y a plusieurs témoignages concordants. Cette levée partielle pourrait être utile à l’égard de la DRH et de la MIJA. 

L’auteur d’un signalement a également le droit de savoir quel suivi il est envisagé de donner à sa parole. 

Quoi qu’il en soit, la définition d’une charte de confidentialité nous apparaît incontournable et nous demandons à être associés à son élaboration. 

Les interventions possibles

Le CHSCT a souhaité que, à l’image de ce qui se pratique au CE, cette cellule puisse rechercher la solution adaptée au problème avec la plus grande souplesse possible. Nous souscrivons à cette démarche. 

Saisie d’un signalement et avec le consentement de son auteur, cette cellule pourra s’orienter librement, à l’image d’un urgentiste régulateur, vers la mesure la plus adaptée. Elle en informera l’auteur du signalement. Deux grandes orientations paraissent envisageables : 

* soit au niveau de la juridiction (contact avec le chef de juridiction, déplacement au sein de la juridiction, entretiens, préconisations portant sur l’organisation du travail…), 

* soit au plan médical. 

S’il faut intervenir au niveau de la juridiction, il conviendra d’informer la MIJA et les RH. Si l’intervention est plus médicale, elle relève tout naturellement du médecin de prévention du CE. 

L’éventuelle équipe d’intervention locale ne doit pas avoir une coloration trop hiérarchique ou mission d’inspection. Il nous semble qu’elle doit comporter en majorité des personnes formées au recueil de la parole, donc des écoutants de la cellule et, au besoin, des coachs internes, avec éventuellement un membre de la MIJA ou des RH. 

Les assistants de prévention locaux peuvent également être associés, si cela est opportun, au suivi de la mesure prise.

La MIJA a indiqué être sensible à cette question des coachs internes et l’expérimentation pourrait évoluer en ce sens. L’USMA s’en réjouit.

III- Un mot sur le rapport de la MIJA relatif aux juridictions de la tarification sanitaire et sociale :

L’USMA n’est pas opposée par principe au transfert du contentieux de la tarification sanitaire et sociale aux juridictions de droit commun. Elle appelle néanmoins de ses vœux la réalisation d’une étude d’impact sur cette option, qui apparaît la plus pertinente à la MIJA, afin que le transfert de ce contentieux relativement lourd s’accompagne de dotations budgétaires visant à créer les emplois que requiert son traitement au profit des juridictions appelées à recevoir ces nouveaux flux.