Le point sur…
Le bien-être au travail
Un constat récurrent de conditions de travail qui se dégradent
L’intensification du travail sous une pression statistique constante est source de conflits et de risques psycho-sociaux.
Ce risque est particulièrement élevé chez les magistrats, qui fournissent un travail exclusivement intellectuel, face à des écrans, de manière largement isolée et sans être encadré par des bornes horaires. En outre, les rapports interpersonnels se déroulent principalement dans le cadre « fermé » des chambres, ce qui peut être une source de difficultés graves et propres à notre métier.
Enfin, le statut de « haut fonctionnaire » des magistrats est utilisé par certains chefs de juridiction pour tenter de les convaincre qu’ils peuvent absorber sans limite les dossiers supplémentaires et de les dissuader de faire part de leurs difficultés.
Les présidents de chambre ne sont plus protégés de ces risques, compte tenu de la multiplication des exigences, notamment statistiques, à leur endroit. Lors d’un récent sondage, à la question « êtes-vous satisfaits de vos conditions de travail ? », ils arrivaient bons derniers en termes de satisfaction, derrière les rapporteurs publics et les rapporteurs. Ils étaient 84 % à noter une évolution négative à très négative de leurs conditions de travail dans les cinq dernières années. Voilà qui devrait interpeller.
Il peut sembler à certains chefs de juridiction que leur travail consiste à obtenir la plus grande productivité possible sans que les incidents et le mal être des collègues ne remontent au gestionnaire. Certains, parmi les plus soucieux du bien-être de leur équipe, nous interpellent voire se détournent de la présidence de juridiction.
Rien ne sert d’étouffer un mal être qui ressort périodiquement dans le cadre de sondages. Les entrées et sorties de dossiers ne sont pas les seules informations nécessaires à un gestionnaire. Nous pensons qu’il faut mettre en place des mécanismes permettant d’entendre et de traiter les principales difficultés avant que n’adviennent des situations dramatiques.
La proposition de l’USMA : trois outils pour de meilleures conditions de travail des magistrats administratifs
La cellule d’écoute
Nos revendications anciennes quant à la création d’une cellule d’écoute ont été entendues. Une expérimentation a été lancée pour permettre de traiter des signalements adressés par mail.
Depuis la création de cette cellule, l’USMA demande au gestionnaire d’élaborer une charte de confidentialité permettant de garantir à l’auteur d’un signalement le devenir de sa parole. Nous avons également fait des propositions quant au choix des « écoutants » internes et à leur formation. Enfin, nous avons souhaité que l’éventuelle « équipe d’intervention » n’ait pas une coloration exclusivement hiérarchique. Si nous ne souhaitons pas une cellule d’écoute externalisée, il nous apparaît difficile pour des collègues en souffrance de s’adresser sans réserve à une cellule comprenant notamment des chargés de fonctions de la MIJA et la cheffe ou le chef du département des politiques sociales et des conditions de travail de la DRH. Certes, il est utile que des autorités habilitées puissent éventuellement traiter des problèmes organisationnels dans les juridictions mais il est, en premier lieu, essentiel de garantir la confidentialité pour libérer la parole.
Le bilan des saisines doit être dressé fin mars 2021.
Vous trouverez sur le site intranet du CE les informations pour saisir cette cellule.
N’hésitez pas à prendre attache avec nous en cas de difficulté. Les courriels adressés à notre boîte aux lettres sont confidentiels et nous n’engagerons pas de démarche individuelle sans votre consentement.
La création d’un coach interne
L’USMA soutient également le projet de création de coach interne comme il en existe dans les ministères économiques et financiers, celui de l’intérieur, de l’environnement, des affaires sociales ou de l’agriculture, par exemple, mais aussi à la Ville de Paris ou à l’APHP.
Il ne s’agit bien sûr pas de promouvoir un management productiviste mais au contraire d’ouvrir un espace à la parole et à l’écoute sereine, de contribuer à l’apaisement des conflits et de faire remonter au gestionnaire d’éventuels éléments généraux annonciateurs de difficultés et de tensions à venir.
Le coach interne pourrait initier les magistrats et agents de greffe à des techniques de communication apaisée et de gestion des conflits. Il pourrait intervenir à la demande des chefs de juridiction ou, avec l’accord de ceux-ci, à celle des magistrats et agents concernés, pour tenter de comprendre et réduire les situations de tension au sein d’une équipe.
Il trouverait toute sa place dans la cellule de prévention des risques psycho-sociaux et serait en lien régulier avec le réseau des agents de prévention, les membres du CHSCT et les médecins de prévention. Le coach, de par son expérience et sa position, pourrait recueillir la parole de présidents de chambre ou de juridiction.
Cette piste nous paraît très prometteuse.
L’évaluation à 180° des chefs de juridiction
Parce que les résultats statistiques ne sauraient être l’unique critère d’évaluation d’un chef de juridiction, qu’ils ne reflètent évidemment ni ses qualités humaines ni l’état de son équipe, nous proposons au gestionnaire de se doter des moyens de savoir comment chaque chef de juridiction est perçu, dans sa qualité de manager, par sa communauté juridictionnelle.
L’évaluation à 180° consiste à entendre un panel d’acteurs, principalement des membres de la juridiction, sur la perception qu’ils se font du chef de juridiction et de retraiter, avec la distance nécessaire, ce qui en ressort. Ces informations seraient utiles à l’intéressé, utilisées comme support dans son entretien d’évaluation et pour le choix des profils les plus adaptés à l’encadrement.
Un tel projet a fait l’objet d’un rapport rendu par M. Canivet concernant les juges judiciaires.
L’USMA demande une réflexion similaire afin de mettre en place une évaluation à 180° des chefs de juridiction, respectueuse de ceux-ci.
Changer de paradigme : la qualité de vie au travail
Le gestionnaire s’est doté en octobre 2020 de lignes directrices de gestion. Le thème de la qualité de vie au travail y est décliné en deux axes : « Conciliation vie professionnelle et vie personnelle » et « politique de santé et de sécurité au travail ». Le premier tient en quelques lignes relatives au collectif juridictionnel et au fait de tenir compte des moyens et de l’expérience du magistrat dans la fixation de ses objectifs. Le second, pour indispensable qu’il soit, n’est pas la qualité de vie au travail. L’USMA a remis en cause ce manque d’ambition : la qualité de vie au travail (QVT) ne se limite ni à un simple vœu ni à une prise en charge très perfectible des situations les plus dramatiques.
La QVT constitue une démarche positive de prise en compte du bien être dans chacune des décisions. Elle suppose un renversement complet de paradigme de gestion : il s’agit de ne plus chercher à obtenir le plus décisions possible sans que des incidents ne soient connus mais de créer les conditions d’un travail harmonieux. Cette démarche est loin de nuire à la « productivité », le secteur privé et une partie du secteur public la promeuvent en constatant qu’elle réduit les pertes d’énergie et jours d’arrêt de maladie.
Or, comme nous le relevions en CSTA durant le débat sur les lignes directrices de gestion, le nombre de congés de maladie ordinaire des magistrats est passé de 200 en 2016, à 236 en 2017, 279 en 2018 et 307 en 2019. Cette augmentation spectaculaire n’est pas liée à l’augmentation des effectifs mais à la multiplication des arrêts alors même que, du fait de notre organisation de travail, il est plutôt rare que les collègues déclarent des journées d’arrêts.
La QVT s’appuie sur l’expertise des professionnels quant à leur propre travail et à leur capacité à identifier des marges de manœuvres et des moyens d’améliorer les organisations. Cette démarche est d’autant plus nécessaire quand les organisations se transforment. Elle appelle à des modifications managériales pour sortir d’un système hiérarchique descendant et aller vers une organisation plus transversale et plus souple qui permet des prises de décision nourries également des expériences de terrain. Elle n’est pas limitée à certaines personnes désignées, elle est l’affaire de tous.
L’accord national interprofessionnel de 2013 précise que : « Les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la Qualité de vie au travail qui en résulte » (article 1er).
Ce qui est vrai pour l’employé de n’importe quelle entreprise l’est plus encore pour des magistrats chargés de rendre la justice. L’USMA demande que la façon dont sont gérés le corps et les juridictions change et que la réflexion s’ouvre. Une gestion pyramidale ne correspond pas à la façon dont l’USMA envisage un corps de magistrats. Notre organisation de travail va dans le sens d’une perte d’autonomie croissante et d’une gestion peu responsabilisante dont nous ne voulons pas. Osons la qualité de vie au travail !
Pour aller plus loin : site de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)
N’hésitez pas à nourrir nos réflexions sur ce sujet par vos remarques et vos retours d’expérience.