L’USMA, union syndicale des magistrats administratifs qui a pour objet pour ambition de défendre et promouvoir la carrière et les conditions de travail des magistrats administratifs, l’intérêt de leurs fonctions et plus généralement la qualité de la justice rendue, s’inquiète des dispositions figurant dans le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif.
L’exposé des motifs du projet de loi prévoit comme l’un des « objectifs prioritaires » de « simplifier le droit au séjour des étrangers en situation régulière ». La simplification des procédures et du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière doit aussi en faire partie. Nous tenons à rappeler, à cet égard, l’existence de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, que ce projet de loi ne poursuit manifestement pas, pas davantage qu’il ne le respecte.
Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance de l’avis de l’assemblée générale du CE N° 394206 du 15 février 2018 rendu public :
« le Conseil d’Etat ne peut que regretter que le projet ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroit d’efficacité. Pour s’en tenir au droit de l’éloignement, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne compte aujourd’hui pas moins de neuf catégories différentes de mesures d’éloignement, dont certaines se subdivisent elles-mêmes en sous-catégories, régies par des règles différentes. Le même constat peut être fait pour les régimes d’assignation à résidence applicables aux étrangers, dispersés en six catégories qui, chacune, comportent des nuances et des spécificités. (…). Enfin, le Conseil d’Etat note, pour le regretter, les difficultés inextricables qui envahissent, dans les matières traitées par le projet de loi, la définition des compétences respectives du juge de l’asile (la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ) et du juge administratif de droit commun (le tribunal administratif) : le Conseil d’Etat a dû, par plusieurs décisions ou avis contentieux récents, lever les incertitudes liées à l’absence de répartition claire des compétences entre ces deux juridictions, notamment lorsque la CNDA est saisie de décisions par lesquelles l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) oppose certains motifs d’irrecevabilité à la demande d’asile ou clôture le dossier en application de certaines dispositions du CESEDA. Les étrangers, les services en charge de la gestion de l’asile et du séjour et les juridictions ne peuvent que déplorer cette complexité toujours croissante, à laquelle le projet de loi, loin de remédier, ne fait qu’ajouter des couches supplémentaires ».
Les tribunaux administratifs, juges de première instance et juges de terrain, constatent chaque jour les difficultés d’application des mesures d’éloignement, souvent prises dans l’urgence par les services des préfectures, aux termes d’une application disparate du droit applicable selon les départements.
Cette évolution est d’autant plus regrettable qu’elle touche une population fragilisée voire marginalisée par ce droit devenu trop complexe, tant sur le fond des règles relatives au séjour, que sur le plan procédural et contentieux, faisant de plus en plus fréquemment obstacle à ce que le droit au recours puisse être effectivement mis en œuvre.
L’objectif de la précédente réforme, la loi du 7 mars 2016, 27ème loi relative à l’immigration depuis 1980, résidait principalement dans la réduction tant des délais de recours (48h, 15jours) que des délais de jugement (72h, 15 jours, 6 semaines) ; cette réforme n’a eu aucun effet positif sur l’effectivité de l’éloignement contraint des étrangers en situation irrégulière, et n’a fait que renforcer la complexité du dispositif juridique et contentieux, ainsi qu’alourdir la charge de travail des préfectures et des juridictions administratives et judiciaires.
Cette complexité, qui fait souvent échec à la procédure d’éloignement parce qu’elle favorise les vices de procédure ou les erreurs de droit susceptibles d’entraîner l’annulation de la décision, sans toutefois que l’étranger concerné bénéficie d’un droit au séjour susceptible de lui être reconnu, a des conséquences importantes en matière de gestion et de temps perdu. Elle a donc un coût.
Or, la simplification des procédures est souvent un gage d’efficacité et donc d’efficience.
« Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure… Qu’ont gagné nos législateurs à choisir cent mille espèces et faits particuliers et à y attacher cent mille lois ? (…). Les plus désirables, ce sont les plus rares, simples et générales (…) ». Montaigne, Essais, livre III, chapitre 13 (1580-1588)
Au nom des magistrats administratifs, pour une plus grande lisibilité des décisions que nous rendons et un renforcement de la qualité de la justice administrative française, nous demandons que cette réforme soit enfin l’occasion de simplifier les règles régissant l’entrée et du séjour des étrangers et le droit d’asile, et partant le contentieux en la matière.