Contribution de l’USMA à l’étude relative a l’organisation des procédures contentieuses en matière de droit des étrangers et d’asile

Contribution de l’USMA à l’étude relative a l’organisation des procedures contentieuses en matiere de droit des etrangers et d’asile

AUDITION DE L’USMA 

DEVANT LE GROUPE DE TRAVAIL EN CHARGE DE CETTE ETUDE

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du groupe, 

Au nom de l’USMA, je vous remercie d’avoir bien voulu nous permettre de nous exprimer sur ce sujet essentiel pour la survie des juridictions administratives. 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit tant les juridictions administratives, qui croulent sous le poids d’un contentieux des étrangers devenu trop lourd, se trouvent aujourd’hui menacées aussi bien d’asphyxie que d’un syndrome dépressif.

Vous connaissez les proportions aujourd’hui atteintes par le contentieux des étrangers, sans qu’il soit utile de vous noyer sous une litanie de chiffres. Ceux-ci se borneraient à mettre en évidence le même phénomène : la surreprésentation extraordinaire du contentieux des étrangers par rapport à la proportion que les personnes concernées représentent effectivement au sein de la population. Si on s’en tient aux effectifs des populations concernées, il mobilise à l’excès les énergies des juridictions administratives. L’embolie menace aujourd’hui la quasi-totalité des juridictions administratives du fond.

Les magistrats administratifs pourraient se consoler de l’augmentation incessante de ce contentieux s’ils avaient l’impression d’être d’une quelconque utilité en tranchant ces litiges. Il n’en est rien ! 

L’effet de leurs jugements est bien souvent nul. Les décisions d’éloignement ne sont que très rarement exécutées, qu’il y ait annulation de la décision ou rejet de la requête, l’effet pratique de nos jugements n’est pas très différent : l’étranger reste sur le territoire, sa situation est périodiquement soumise à l’administration, celle-ci prend une nouvelle décision, elle-même déférée au juge. Comment ne pas s’interroger sur le sens de notre métier lorsque nous croisons, au cours d’une même année, deux, trois, cinq fois le même requérant, qui nous soumet autant de fois les mêmes questions ?

Les magistrats administratifs ne peuvent pas davantage compter sur le soutien du législateur, qui, en empilant successivement les réformes, a compliqué à l’infini le cadre dans lequel opère le juge. Aujourd’hui, pas moins de seize régimes procéduraux coexistent, rendant très difficile la détermination même de celui applicable, une même décision pouvant, au demeurant, relever de deux procédures différentes entre lesquelles il lui appartient de choisir. 

« Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure… Qu’ont gagné nos législateurs à choisir cent mille espèces et faits particuliers et à y attacher cent mille lois ? Ce nombre n’a aucune proportion avec l’infinie diversité des actions humaines. La multiplication de nos inventions n’arrivera pas à la variation des exemples. Il y a peu de relation de nos actions, qui sont en perpétuelle mutation, avec les lois fixes et immobiles. Les plus désirables, ce sont les plus rares, simples et générales (…) » Montaigne, Essais, livre III, chapitre 13.

Les attentes des magistrats administratifs sont donc fortes, à la mesure des espoirs qu’ils placent dans les travaux que vous menez. Nous regrouperons leurs espoirs selon qu’ils tendent vers une simplification du cadre procédural (I), une meilleure maîtrise des flux contentieux (II) (à défaut de pouvoir escompter sur un ajustement des effectifs), et une réflexion sincère pour lutter contre la vacuité de leur office face à ce contentieux (III).

L’USMA, sur chacun de ces thèmes, fera des propositions concrètes. Sur certains points, nous porterons également à votre connaissance certaines des propositions de nos collègues, qui méritaient d’être présentées ici comme des pistes exploratoires intéressantes, ne serait-ce que pour permettre aux membres du groupe de souligner les difficultés concrètes auxquelles peuvent être confrontés nos collègues et les réponses qu’ils aimeraient pouvoir y apporter.

  • L’espoir d’une simplification du cadre procédural :

L’effort de simplification intéresse d’abord les mesures d’éloignement, dont il conviendrait impérativement de réduire le nombre et de les simplifier :

L’avis de l’assemblée générale du CE N° 394206 du 15 février 2018 rendu public avait déjà « regretté que le projet [de loi] ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroit d’efficacité. Pour s’en tenir au droit de l’éloignement, le CESEDA ne compte aujourd’hui pas moins de neuf catégories différentes de mesures d’éloignement, dont certaines se subdivisent elles-mêmes en sous-catégories, régies par des règles différentes ».

–          OQTF 511-1

–          OQTF communautaires L. 511-3-1

–          Remises accords L. 531-1

–          Remises Schengen L. 531-2

–          OQTF Schengen non UE (L. 511-2 et L. 511-3)

–          transfert Dublin L. 742-3

–          Reconduite d’office Schengen L. 531-3

–          Expulsion

–          IjTF

Proposition de l’USMA : 

Faire un seul article pour les différents cas permettant une OQTF et un seul article pour les remises.

En tout état de cause, il serait souhaitable de rendre plus intelligibles les articles législatifs du CESEDA relatifs aux mesures d’éloignement fondées sur un texte communautaire ou européen :

Cela concerne les dispositions des articles L. 511-2 du titre 1er du CESEDA, qui sont relatives aux OQTF Schengen (renvoyant à la convention Schengen ainsi qu’au code frontière Schengen) celles de son article L. 531-1, relatives aux décisions de remises prises dans le cadre de l’Union européenne et celles de son article L. 531-2, relatives aux décisions de remises prises en application de la convention de Schengen. Elles méritent d’être reprises pour une meilleure compréhension du dispositif en matière d’éloignement. 

Proposition :

Récrire et rassembler les articles fondant une remise ou une OQTF sur un texte international ou communautaire.

L’effort de simplification doit également porter sur les délais de recours et sur les délais de jugements.

Aujourd’hui, le constat est unanime, tant pour les magistrats que les auxiliaires de justice et les services préfectoraux : la multiplicité des délais de recours et des délais de jugement est parfaitement inutile. Cette complexité n’est en effet nullement justifiée ni par la directive retour, ni même par la recherche d’une plus grande efficacité dans l’exécution effective des mesures d’éloignement. Pire : elle favorise parfois l’incompréhension des acteurs de la police de l’éloignement et participe à l’échec de l’exécution des mesures d’éloignement. 

Les délais de recours et de jugement actuels, en ce qui concerne les seules mesures d’éloignement, sont les suivants :

Mesures concernées

Délai de recours

Délai de jugement

OQTF et autres mesures d’éloignement (sauf expulsion) assortie d’une assignation ou d’une rétention

48 heures

Juge unique 96 heures

OQTF sans délai fondée sur les 3°, 5°, 7° et 8° du L. 511-1 I

48 heures

Formation collégiale 3 mois

OQTF sans délai fondée sur les 1°, 2°, 4° et 6° du L. 511-1 I

48 heures

Juge unique 6 semaines

OQTF avec délai fondée sur les 3°, 5°, 7° et 8° du L. 511-1 I

30 jours

Formation collégiale 3 mois

OQTF avec délai fondée sur les 1°, 2°, 4° et 6° du L. 511-1 I

15 jours

Juge unique 6 semaines

Remises Schengen/accords bilatéraux

2 mois

Droit commun

Transfert Dublin III

15 jours

Juge unique 15 jours

Arrêté de reconduite d’office Schengen

2 mois

Droit commun

Arrêté d’expulsion

2 mois

Droit commun

OQTF sans délai pour l’étranger détenu devant faire l’objet d’une libération proche

48 heures

Juge unique 8 jours

Soit au moins 8 procédures différentes pour les seules mesures d’éloignement, sans prendre en compte les contestations d’assignation ou d’interdiction de retour sur le territoire français.

Il convient de ramener à deux, voire trois, les délais de recours et les délais de jugement.

Propositions :

Délais de recours :

1) recours 48h pour toutes les décisions d’éloignement sans délai de départ volontaire (y compris pour les expulsions et les remises) ainsi que leurs décisions accessoires et les assignations déconnectées d’une mesure d’éloignement

2) Recours 30 jours pour toutes les décisions d’éloignement avec un délai de départ volontaire ainsi que leurs décisions accessoires prises en même temps et les autres décisions accessoires déconnectées d’une mesure d’éloignement (IRTF)

Délais de jugement :

  1. a) Formation collégiale 3 mois, par principe, pour toutes les décisions, y compris celles assorties d’une assignation longue durée (6 mois renouvelables, actuellement L. 561-1) ainsi que les décisions fixant le pays de renvoi à la suite d’une interdiction judiciaire du territoire français et les décisions accessoires
  2. b) juge unique 96h pour toutes les décisions assorties d’une mesure de rétention ou d’assignation « courte durée »(actuellement L. 561-2) ainsi que les assignations courte durée déconnectées
  3. c) Toutefois les OQTF dites sèches, sans délai de départ volontaire et non assorties d’une mesure de rétention ou d’assignation, ne sont enrôlées et jugées que lorsque qu’elles sont susceptibles de faire l’objet d’une exécution d’office à bref délai, soit que le préfet prononce une assignation courte durée ou une rétention, soit que le préfet justifie pouvoir exécuter sa décision parce qu’il est en possession d’un laisser-passer consulaire ou d’un document de voyage valide pour le pays de retour etd’un moyen de transport vers cette destination. A défaut, le président du TA ou la magistrat qu’il désigne disposera de la faculté de refuser par une décision non susceptible de recours, sans audience et sans procédure contradictoire, la demande d’enrôlement du préfet.

Ces propositions permettent la suppression des formations de juge unique 15 jours, de juge unique 6 semaines, vont réduire le nombre de contentieux inutiles et redonnent à la formation collégiale de droit commun sa véritable place.

Il faut néanmoins tenir compte de la particularité de la situation créée par les détenus, à propos desquels le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer l’exécution des mesures d’éloignement les concernant en évitant les mesures de rétention ou d’assignation à résidence imposées à l’étranger. (cf en ce sens les décisions DC n° 2018-741 du 19 octobre 2018 et DC n° 2018-770 du 6 septembre 2018). Le Conseil constitutionnel a en effet estimé qu’en prévoyant pour eux un délai de recours de 48 heures, tandis que le juge devait statuer sur leurs recours dans un délai de 72 heures (régime antérieur à la loi du 10 septembre 2018), le législateur n’avait pas opéré une conciliation équilibrée entre le droit au recours effectif et l’objectif poursuivi. 

Dès lors, il conviendra de s’assurer du respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui implique une petite adaptation du droit commun à la spécificité de leur situation.

Propositions :

Afin de respecter ces décisions du Conseil constitutionnel, le droit commun de l’éloignement devrait prévaloir : délai de recours 48h pour les OQTF sans délai et formation collégiale 3 mois. Le préfet devrait prendre la mesure d’éloignement durant la détention. Il ne pourrait placer l’étranger en rétention que s’il justifie, devant le JLD, de circonstances indépendantes de sa volonté qui font obstacle à l’exécution d’office de l’éloignement dès la levée d’écrou et si l’étranger présente une menace à l’ordre public. 

Si le préfet justifie pouvoir exécuter sa décision parce qu’il est en possession d’un laisser passer consulaire ou d’un document de voyage valide pour le pays de retour et d’un vol à destination du pays de retour de l’étranger et qu’en cours d’instance, l’étranger détenu est susceptible d’être libéré avant que le juge statue, dans ce cas, le préfet en informe le TA, qui statue sur l’OQTF selon la procédure d’urgence JU dans un délai de 8 jours.

Enfin, les régimes d’assignation à résidence devront également faire l’objet d’un regroupement en vue d’une vaste simplification.

Pas moins de 6 régimes d’assignation, éclatés dans le CESEDA, existent actuellement :

  • l’assignation ordonnée par le juge des libertés et de la détention, prévue à l’article L. 552-4 du CESEDA ;
  • l’assignation dite de « longue durée », prévue à l’article L. 561-1, lorsque l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français, ne peut regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays ;
  • l’assignation de « courte durée », prévue à l’article L. 561-2, lorsque l’étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable) – dispositions auxquelles renvoient par ailleurs l’article L. 742-2 pour les demandeurs d’asile ;
  • l’assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion, prévue aux articles L. 523-3 à 5 du CESEDA ;
  • l’assignation à résidence du demandeur d’asile faisant l’objet d’une mesure d’expulsion, d’une peine d’interdiction du territoire, d’une interdiction administrative du territoire, et dont la demande d’asile est en cours d’examen ou a été présentée postérieurement à la notification de cette mesure, peine ou interdiction, prévue à l’article L. 571-4 du CESEDA.

L’USMA appelle de ses vœux un regroupement de la codification de ces régimes procéduraux, dans un seul titre, pour une meilleure lisibilité.

Propositions :

Regrouper tous les cas d’assignation et les modalités procédurales et contentieuses dans un seul titre.

Si les assignations longue durée (L.561-1) et courte durée (L.561-2) sont distinguées, il convient de placer en premier l’assignation de principe qui est celle de 45j (courte durée).

Les modalités pratiques devront être regroupées dans un seul article.

  • L’espoir d’une meilleure maîtrise des flux contentieux :

En premier lieu, il convient de renforcer les moyens pour l’administration d’identifier les étrangers et permettre l’amélioration du taux d’exécution des OQTF :

Les difficultés essentielles auxquelles sont confrontées les juridictions administratives leur échappent très largement, dès lors qu’elles trouvent leur origine dans le choix politique de prendre le plus systématiquement possible des mesures d’éloignement sans se soucier du caractère effectivement exécutable de ces mesures.

Pour autant, les juridictions administratives ne sauraient être les otages d’une politique de gestion des flux migratoires qui n’a pas les moyens de ses ambitions.

Aujourd’hui, la cause principale de l’échec des OQTF tient à l’impossibilité d’identifier l’étranger, de déterminer sa nationalité et d’obtenir de son consulat un laisser-passer consulaire. 

Les « documents justifiant leur état civil et leur nationalité » tels qu’exigés par les dispositions de l’article R. 311-2-2 du CESEDA sont, pour certaines nationalités, souvent apocryphes. Les préfectures n’arrivent généralement pas à obtenir des vérifications de ces documents via les consulats français. Enfin, ces « documents justifiant leur état civil et leur nationalité » ne sont pas sécurisés et ne comportent pas de photographie d’identité ce qui ne permet jamais d’avoir la certitude qu’ils concernent la personne qui les présente. Cette difficulté est particulièrement prégnante s’agissant de l’identification des étrangers se disant « mineurs isolés »

La généralisation de l’exigence de produire un passeport, en général électronique (bande MRP), qui répond aux spécifications définies par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) dans le DOC9303, voire biométrique, permettrait d’avoir une identification quasi certaine de l’étranger et réduirait la fraude à l’identité. 

Si une telle mesure échappe largement à la problématique que pose le contentieux de l’éloignement, elle permettrait néanmoins à l’administration de détenir une copie du document de voyage, en cas de refus de séjour et d’OQTF, et de prouver l’identité et la nationalité de l’étranger, facilitant ainsi grandement l’obtention du laisser-passer consulaire. 

Outre les efforts de sécurisation du territoire, une telle mesure participerait de l’amélioration du taux d’exécution des OQTF, qui était encore inférieur à 15% en 2016 et 2017. 

Indirectement, les pouvoirs publics s’engageraient ici dans une politique visant à mieux contrôler les flux contentieux générés, évitant ainsi aux juridictions d’être saisis plusieurs fois de la légalité des mesures d’éloignement que l’administration n’a, pour l’heure, pas les moyens de mettre en œuvre.

Proposition :

Modifier l’article R. 311-2-2 en ce sens :

L’étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour présente, sauf s’il est demandeur d’asile ou s’il bénéficie de la qualité de réfugié, un document de voyage en cours de validité ainsi que les documents justifiant de son état civil et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants.

Si l’étranger est dans l’impossibilité de présenter un document de voyage, en raison de sa perte ou de son vol, et qu’il justifie ne pas pouvoir en obtenir un en France en raison de l’absence de consulat de son pays, il peut présenter tout autre document officiel justifiant son identité et sa nationalité pourvu que ce document soit sécurisé et présente une photographie d’identité.

En second lieu, l’USMA demande aux pouvoirs publics de donner aux juridictions administratives les moyens exigés par la demande de justice croissante en la matière.

Il est totalement inconcevable et tout bonnement insupportable que les pouvoirs publics puissent subordonner l’efficacité des politiques migratoires conduites par le Gouvernement au fait pour le juge de statuer rapidement et de manière définitive (cf lettre de mission) sans jamais se soucier des moyens accordés à la juridiction administrative.

C’est pourtant la réalité vécue au sein des juridictions administratives.

Voilà plusieurs décennies que le contentieux de l’éloignement ne donne lieu à aucune étude d’impact sérieuse relative au fonctionnement des juridictions administratives. 

Or si le manque de discernement des pouvoirs publics pouvait s’accompagner de quelques circonstances atténuantes dans les années 2000, lorsque les prévisions annonçaient que le régime des OQTF n’augmenterait pas les flux contentieux générés par les reconduites à la frontière, le principe de réalité nous a rattrapé depuis longtemps. Depuis une vingtaine d’années, chaque réforme a, par sédimentation, engendré une hausse du contentieux qui ne s’est pas accompagnée des moyens supplémentaires suffisants pour les juridictions administratives.

Le discours ambiant, dans les juridictions, a consisté à prendre en charge les flux contentieux générés par chacune de ces réformes à partir de sujétions supplémentaires à la charge des magistrats administratifs et des agents de greffe, sans jamais se soucier de la question de savoir si le temps qu’ils y consacraient n’excédaient pas le temps de travail pour lequel ils étaient rémunérés.

Aucun outil fiable ne permet de mesurer si le système d’organisation mis en place dans chacune des juridictions est à la hauteur de la demande de justice occasionnée.

Pire : certaines juridictions ont été invitées à créer des dispositifs d’aide à la décision, constitués d’assistants du contentieux, d’assistants de justice et désormais, de juristes assistants, sans qu’aucune réflexion ne soit menée sur le bon dimensionnement de ces dispositifs, largement mis à contribution sur le contentieux de masse que représente le contentieux des étrangers.

L’an dernier, un gel brutal de ces recrutements a pourtant profondément obéré le fonctionnement de ces dispositifs d’aide à la décision et, par voie de conséquence, celui des juridictions.

Enfin, le volume des permanences générées par le contentieux des étrangers est aujourd’hui tel, dans certaines juridictions, qu’il oblige les magistrats à s’insérer dans des dispositifs qui ressemblent de plus en plus à des astreintes qui ne disent pas leur nom. Il conviendrait a minima de faire un audit des situations et de s’interroger sur les moyens vitaux pour les juridictions qui font face à cette hausse du contentieux.

Il est essentiel aujourd’hui de doter les juridictions de moyens suffisants pour organiser leurs permanences et structures internes propres à prendre en charge les volumes de dossiers engendrés par le contentieux des étrangers, selon des dispositifs offrant une formation, un encadrement, et des débouchés suffisants à ces dispositifs.

Proposition : 

L’USMA demande que le Conseil d’Etat justifie, chaque année, à travers son rapport d’activité, des organisations et des moyens effectivement mis en œuvre par les juridictions pour absorber le contentieux des étrangers devenu tentaculaire.

Par ailleurs, il ne serait pas inutile, dans le but de faire l’économie de quelques dossiers contentieux, de préciser la notion d’exécution d’office de l’OQTF au 5° de l’article L. 561-1 du CESEDA :

Bien souvent le principe de l’exécution d’office d’une mesure d’éloignement n’est pas connu des préfectures, qui s’obligent systématiquement à placer l’étranger en rétention et sollicitent le juge des libertés et de la détention alors que la mesure pourrait être exécutée dans la journée. 

Bien souvent également les préfectures imaginent qu’une OQTF devient caduque après un an, s’obligeant à reprendre une nouvelle OQTF alors que la précédente est définitive et exécutoire d’office. Les juges judiciaires eux-mêmes, parfois, se méprennent sur cette notion d’exécution d’office en exigeant un régime de rétention pour l’acheminement vers l’avion, parfois même pour seulement 3 ou 4 heures. De même, en cas de refus d’embarquement, les parquets ne poursuivent pas le délit constitué si l’étranger n’est pas sous le régime de la rétention.

Or, la circonstance qu’une OQTF a été dépourvue d’exécution pendant plus d’un an, si elle fait actuellement obstacle à ce que l’étranger soit placé en rétention, ne prive pas de tout effet cet arrêté ni même ne fait obstacle à son exécution d’office (cf en ce sens CE, 15 juillet 2004, Monsieur P.,  n° 265330). Comme l’a indiqué Mme De Silva dans ses conclusions sous cette décision : « La loi ne crée nullement, un lien juridique nécessaire entre exécution de l’arrêté de reconduite à la frontière et placement en rétention administrative : il résulte au contraire des termes de la loi que l’ARF est susceptible d’exécution forcée sans qu’il soit nécessaire que l’étranger fasse l’objet d’un placement en rétention administrative. (…) La rétention administrative ne correspond, aux termes de la loi, qu’à un cas particulier de l’exécution forcée, celui dans lequel le départ immédiat de l’étranger n’est pas possible. Nous pensons que la loi n’a pas entendu instaurer, en droit, une caducité de l’ARF passé un délai de non-exécution d’un an. Les dispositions prohibant tout placement de l’étranger en rétention administrative sur le fondement d’un ARF pris plus d’un an auparavant n’impliquent nullement qu’il n’y ait plus lieu, pour le juge de la reconduite, de statuer sur cette décision administrative, lorsque ce délai d’un an est écoulé ».

Par ailleurs, l’impossibilité de placer en rétention ou d’assigner un étranger qui fait l’objet d’une OQTF de plus d’un an n’est pas justifiée lorsque l’on admet que l’étranger pourra toujours saisir le juge administratif et faire valoir des circonstances de fait ou de droit nouvelles faisant obstacle à la mesure lors de la notification des droits.

En effet, le Conseil d’Etat juge régulièrement que lorsqu’une OQTF a été dépourvue de mesure d’exécution pendant une durée anormalement longue, caractérisée par un changement de circonstances de fait ou de droit, et que ce retard est exclusivement imputable à l’administration, l’exécution d’office d’une reconduite à la frontière doit être regardée comme fondée non pas sur l’arrêté initial, même si celui-ci est devenu définitif, mais sur un nouvel arrêté de reconduite à la frontière, dont l’existence est révélée par la mise en œuvre de l’exécution d’office et qui doit être regardé comme s’étant substitué à l’arrêté initial. 

(Cf CE, Préfet du Val d’Oise c/ M. E, 27 avril 2001 n° 222552 B ; CE, Préfet des Yvelines c/ Mme N., 1er avril 1998 n° 169280 ; CE (référés) Mme L., 8 mars 2016 n° 397206).

Le juge administratif peut donc contrôler la mesure d’éloignement révélée par la mise à exécution d’une précédente mesure. Le référé est d’ailleurs possible.

Le Conseil d’Etat juge d’ailleurs que dans l’hypothèse où les modalités selon lesquelles il est procédé à l’exécution d’une mesure relative à l’éloignement forcé d’un étranger qui emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l’intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement de l’article L. 512-1 du CESEDA, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s’attachent normalement à sa mise à exécution, la procédure particulière de saisine du juge prévue au III de l’article L. 512-1 du CESEDA n’est plus exclusive. (cf CE (référés), 11 juin 2015, Ministre de l’intérieur c/ M. K. n° 390704 ; cf également CE, 13 décembre 2013, M. B., n° 367533).

Propositions :

– supprimer « prise moins d’un an auparavant » du 5° du I du L. 561-1 permettant une rétention et assignation sur la base d’une OQTF de plus d’un an (évitant aux préfet de prendre des OQTF chaque année pour le même étranger)

– indiquer que le préfet peut mettre à exécution d’office la mesure d’éloignement sans rétention ou assignation sous réserve que la durée de l’exécution corresponde au délai d’acheminement normal de l’étranger pour quitter le territoire et que ce délai ne peut être supérieur à 8h

Il importe de rationaliser le contentieux de l’asile, tout en maintenant sa spécificité :

La CNDA est devenue, par sa taille, une immense juridiction dont la gouvernance s’avère de plus en plus difficile. Par ailleurs, les expérimentations menées auprès des CAA de Lyon et de Nancy pour rapprocher les lieux de résidence des étrangers du juge de l’asile ont tourné court, en raison des modalités pratiques des audiences mises en place (visio-audiences, avec une formation de jugement à Montreuil, et un étranger, assisté de son avocat, en province).

Il devient pourtant indispensable de créer des antennes de la CNDA en province pour rapprocher le contentieux de l’asile du lieu de résidence des demandeurs d’asile.

Propositions :

Déconcentrer les audiences de la CNDA dans les régions. 

Cette déconcentration pourrait être expérimentée dans certaines régions avant une éventuelle généralisation du dispositif.

La spécificité du contentieux de l’asile doit être réaffirmée, y compris en supprimant la procédure devant le juge du TA de suspension de l’OQTF lorsqu’un étranger a exercé un recours contre le rejet de sa demande d’asile par l’OFPRA. 

La procédure de suspension de l’OQTF, telle qu’elle est prévue à l’article L. 743-3 du CESEDA, est vécue par les magistrats comme un outil qui les fait dangereusement basculer vers l’office du juge de l’asile, sans en avoir les moyens ni la culture.

On pourra à ce titre examiner la portée de l’avis rendu par le CE, 16 octobre 2019, M. A n° 432147). Il importe de conserver la spécificité du juge de l’asile.

Proposition:

Transformer la procédure de « suspension de l’OQTF » en demande de rétablissement du caractère suspensif du recours devant la CNDA ; ce recours serait confié à un juge unique de cette cour, qui pourrait éventuellement statuer sur pièces dans un délai de 96h. Cette demande de rétablissement du caractère suspensif du recours CNDA serait suspensif de l’exécution d’office de l’OQTF.

Il convient également de supprimer tant les décisions préfectorales de maintien en rétention que le recours juridictionnel qui lui est associé, que prévoient les dispositions de l’article L. 556-1 du CESEDA, lesquelles permettent à l’autorité administrative d’ordonner le maintien en rétention administrative d’un ressortissant étranger ayant présenté une demande d’asile durant cette rétention, dès lors et sous réserve qu’elle estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement préalablement prise à son encontre. 

Cette décision s’ajoute en effet à la décision de prolongation de la rétention qu’a prise le JLD, et crée un contentieux dénué d’intérêt juridique et sans incidence positive possible pour la situation de l’intéressé.

Proposition :

Suppression de la décision préfectorale de maintien en rétention et du recours juridictionnel qui lui est associé (article L. 556-1 du CESEDA)

Enfin, la maîtrise du flux contentieux pourrait passer par l’instauration d’un recours administratif obligatoire.

Ce RAPO dans un délai bref serait obligatoire pour l’ensemble des refus de titre de séjour que ces derniers soient ou non accompagnés d’une OQTF. La décision prise sur recours administratif préalable obligatoire se substitue à la décision initiale, et le préfet saisi se prononce sur la situation de fait et de droit existant à la date de sa décision.

Proposition :

RAPO pour l’ensemble des refus de titre de séjour que ces derniers soient ou non accompagnés d’une OQTF

  • L’espoir d’une réflexion sincère sur l’office du juge pour lutter contre un sentiment d’inutilité

L’USMA considère qu’il n’est pas opportun de modifier l’office du juge administratif et qu’un passage de celui-ci en plein contentieux entrainerait plus de difficultés qu’il n’apporterait de solutions.

Les débats ont été nourris sur l’opportunité de modifier l’office du juge administratif mais aux yeux d’une majorité des collègues, les risques de scléroses des juridictions administratives en cas d’une telle transformation de son office sont réels si l’on s’efforce de mener une réflexion sincère sur cet office.

Il est vrai que l’appréciation de la légalité de la décision à la date du jugement permettrait d’apporter une solution définitive des situations qui ont évolué depuis l’intervention de la décision. Mais ces situations sont relativement rares, compte tenu notamment des délais de jugement extrêmement réduits, et la jurisprudence du Conseil d’Etat permet en tout état de cause d’en tenir compte.

L’opportunité laissée au juge du plein contentieux de délivrer lui-même le titre de séjour rencontre comme obstacle pratique la vérification de la menace pour l’ordre public et celui de l’interdiction de la polygamie en France, également d’ordre public. Par ailleurs, cette police administrative, sensible et médiatisée, qui touche à la souveraineté nationale, s’accommode mal d’une immixtion du juge dans la sphère administrative de décision.

Enfin, il n’est pas exclu que, par facilité ou simplicité, l’administration développe une attitude ouvertement déresponsabilisée, au détriment du juge, en se déchargeant de sa tâche d’étude des demandes de titres et en généralisant les refus implicites pour laisser le juge prendre la décision de refus ou d’admission au séjour.

Pour autant, une prise en compte de l’évolution de la situation de l’étranger par le juge administratif, postérieurement à la décision, n’est pas impossible, même dans le cadre du recours en excès de pouvoir.

Le juge peut déjà mentionner, le cas échéant dans les motifs de son jugement, que l’arrêté litigieux, légal à la date où il a été pris, ne pourra être exécuté eu égard au fait que l’intéressé est ultérieurement entré soit dans une des catégories d’étrangers protégés contre les mesures d’éloignement soit dans une des catégories d’étrangers qui peuvent prétendre de plein droit à la délivrance d’un titre de séjour en application de la jurisprudence Diaby selon laquelle lorsque la loi prescrit que l’intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu’il puisse légalement être l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière. (cf en ce sens CE, 21 mars 2003, M. E n° 208541 ; CE, 7 avril 2006, Préfet du Val d’Oise c/ Mme E n° 274713). 

Proposition :

Cette jurisprudence pourrait être transposée dans le CESEDA au L. 512-4 :

« Lorsque, saisi d’un moyen en ce sens, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne, constate que l’arrêté litigieux, légal à la date où il a été pris, ne pourra être exécuté eu égard au fait que l’intéressé est ultérieurement entré soit dans une des catégories d’étrangers protégés contre les mesures d’éloignement (L. 511-4) soit dans une des catégories d’étrangers qui peuvent prétendre de plein droit à la délivrance d’un titre de séjour, il en informe l’administration dans son jugement ».

Pour aller plus loin, un pouvoir d’injonction pourrait être institué. Celui-ci serait d’une nature particulière, puisqu’il s’opposerait au principe selon lequel une injonction doit être la conséquence nécessaire de l’annulation de la décision. (CE, 20 juin 2012, Ministre de l’intérieur c/ Mme K, n° 346073)

Le code de justice administrative ajouterait au chapitre 6 livre 9 une injonction de prendre une mesure d’exécution en pareille situation.

Plusieurs mesures pourraient également être prises pour faciliter la tâche matérielle du juge unique 96 heures :

Parfois, la complexité du contentieux des étrangers permet difficilement de rendre le jugement sur le siège. Un assouplissement de cette règle de lecture sur le siège serait la bienvenue pour permettre de fluidifier les audiences chargées, sécuriser les jugements et faciliter la résolution de nouvelles questions de droit, le cas échéant par demande d’avis ou par une question préjudicielle.

Proposition :

Modifier le R. 776-27 du CJA

Le jugement est prononcé à l’audience si l’étranger est retenu, au jour de celle-ci, par l’autorité administrative. 

A moins qu’un procès-verbal d’audience signé par le juge et par l’agent chargé du greffe de l’audience ait été établi, le jugement mentionne les moyens nouveaux soulevés par les parties lors de l’audience. 

Le dispositif du jugement assorti de la formule exécutoire prévue à l’article R. 751-1 est communiqué sur place aux parties présentes à l’audience, qui en accusent aussitôt réception. 

En cas d’annulation de la seule décision refusant à l’intéressé le délai de départ volontaire, la notification du jugement lui rappelle son obligation de quitter le territoire français dans le délai qui lui sera fixé par l’autorité administrative.

Les premier et quatrième alinéas ne sont pas applicables lorsque le dossier présente une difficulté sérieuse. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné doit alors communiquer le dispositif du jugement par tous moyens dans les 24h suivant l’audience. Il en informe les parties présentes à l’audience. Si le représentant de l’Etat n’est pas présent à l’audience, il est informé par tous moyens et sans délai de la communication différée du dispositif. 

Peut-être serait-il également judicieux d’intégrer dans le CESEDA la faculté de convoquer les audiences du juge unique 96 heures par SMS ou téléphone. Le greffier de l’audience attesterait dans une fiche que l’étranger a été convoqué par téléphone ou par SMS avec la date et l’heure de cette appel ou SMS.

Proposition :

Afin de faciliter les tâches matérielles du greffe dans la convocation des audiences du juge unique 96 heures, insérer dans le code la faculté de convoquer de telles audiences par SMS/texto ou téléphone.

Enfin, s’agissant des étrangers malades, le CESEDA gagnerait sans doute à préciser les règles de la charge de la preuve et intégrer celles régies par le principe du secret médical dans le CESEDA.

Proposition:

Inscrire dans le code, pour le contentieux des étrangers malades, les principes jurisprudentiels dégagés par les CAA et le CE en ce qui concerne les règles de dévolution de la charge de la preuve et celles relatives au principe du secret médical pour faciliter leurs compréhensions par les services de préfectures.

Enfin, pour conclure, nous souhaitons porter à votre connaissance les contributions de certains de nos collègues. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’USMA fait néanmoins le choix de présenter oralement au groupe de travail celles des propositions mettant en lumière une chose essentielle, aux yeux de nos collègues : la difficulté première à laquelle ils sont confrontés repose bien sur l’insuffisance du taux d’éloignement effectif. Ils cherchent donc à apporter des solutions propres à réguler par la voie du contentieux cette difficulté. 

On voit bien à travers les exemples présentés au groupe de travail que les magistrats administratifs font des propositions visant à ne plus se voir instrumentaliser pour trancher des litiges dans lesquels ils se sentent inutiles, et c’est là leur point commun avec les suggestions portées par l’USMA.

C’est là l’attente fondamentale qui pèse sur les épaules des membres du groupe. Nous formons le vœu que cette occasion rare de changer les choses ne soit pas une nouvelle occasion manquée.