CONTRIBUTION AUX TRAVAUX DU GROUPE DE TRAVAIL EVALUATION
24 mai 2019
L’évaluation est un moment crucial pour chacun d’entre nous.
Il s’agit du temps du bilan de l’année écoulée(parfois à courir après le temps) et du temps de la réflexion sur les perspectives professionnelles, entre statu quoou mobilité professionnelle (par un changement de chambre, de fonction, de juridiction ou de métier), ainsi que sur les souhaits et besoins du magistrat, en termes, notamment, de promotion éventuelle, à plus ou moins longue échéance, et de formation.
C’est un moment où chacun attend un regard bienveillant, mais honnête et sincère sur le travail fourni, en termes qualitatif et quantitatif, mais aussi sur l’implication dans la vie juridictionnelle, sur les qualités humaines et pas seulement techniques, ainsi que sur les perspectives professionnelles accessibles, au sein notamment de la juridiction administrative (souhait de rester ou non dans le corps, désir d’accéder ou non au grade de président, désir d’accéder ou non aux fonctions de chef de juridiction, discussion avec le chef de juridiction de la faisabilité des différentes options, etc.).
C’est également un moment où chacun attend de son chef de juridiction qu’il prenne véritablement le temps de la conduite de cet entretien, pour le rendre utile, constructif et personnalisé.
C’est heureusement très souvent le cas, mais dire que cela l’est toujours serait passer sous silence les entretiens au cours desquels le chef de juridiction se borne à indiquer le positionnement des croix adopté et à lire les évaluations littérales, sans aucune discussion avec le magistrat, ou lui annonce qu’il manque de rigueur, que sa rédaction n’est pas suffisamment claire ou qu’il a un peu trop défalqué, ou pas assez sorti de dossiers anciens, alors que son président de chambre n’avait évoqué aucune de ces difficultés au cours de l’année.
C’est là le premier écueil que l’USMA souhaiterait voir corrigé : nous demandons que soit systématisée la tenue de deux entretiens, le premier avec le président de chambre, le second avec le chef de juridiction, ainsi que l’a déjà recommandé le secrétariat général pour la campagne d’évaluation de l’année 2018, rejoint en cela par le groupe de travail « Carrières » présidé par Mme Massias.
Quoi de mieux, en effet, que d’obliger chaque président de chambre à réaliser avec chacun de ses magistrats un entretien, avant celui d’évaluation mené par le chef de juridiction, pour leur dire honnêtement ce qu’il lui a transmis comme éléments d’appréciation du travail accompli ?
Cette obligation aurait deux effets positifs :
– d’une part, elle conduirait naturellement les présidents de chambre à informer leurs magistrats, au cours de l’année, de ce qui ne va pas (les conduisant nécessairement à dire aussi ce qui va bien), pour ne pas avoir à assumer en fin d’année, devant le magistrat, une critique qu’ils auraient oublié de formuler. Chacun sera ainsi mis en mesure de progresser sur ses points perfectibles, et de prendre acte de l’attention portée à son travail en cours d’année, ce qui aidera ceux qui rencontrent des difficultés et motivera l’ensemble de la communauté juridictionnelle.
– d’autre part, elle éviterait que des collègues découvrent, lors de l’entretien annuel, que leur président de chambre porte une appréciation défavorable sur leur travail, alors même qu’il n’en a jamais rien dit auparavant. L’ambiance dans les chambres serait assurément plus sereine l’année suivante.
Cette évolution permettrait, plus fondamentalement, de replacer l’entretien annuel d’évaluation dans le contexte qui devrait être le sien, à savoir le point d’orgue d’une évaluation au long cours, tout au long de l’année judiciaire, ponctuée par des échanges, en tant que de besoin, entre le chef de juridiction et les vice-présidents, ainsi qu’entre les présidents de chambre et leurs magistrats, sur ce qui paraît très satisfaisant, satisfaisant et perfectible, s’agissant des compétences techniques et du savoir-être que l’on est en droit d’attendre de chacun.
S’agissant de l’entretien d’évaluation à proprement parler, pourrait être envisagé que soient renseignées, dans le compte-rendu d’évaluation, les heures de début et de fin(utile et réelle) d’entretien, permettant de garantir que le chef de juridiction a consacré à l’exercice le temps nécessaire et requis pour le magistrat.
Pourrait également être inséré un résumé des échanges tenus, s’agissant tant de l’évaluation proprement dite que des perspectives professionnelles et vœux du magistrat, en termes d’évolution de carrière, à brève, moyenne et longue échéance.
Devrait également être renseigné, dans le compte-rendu d’évaluation, l’évolution envisagée du coefficient de part variable attribué au magistrat, ce qui obligerait les chefs de juridiction à respecter leur obligation de notification de cet élément au cours de l’évaluation (ou au plus tard lors d’une entrevue dédiée ou par l’envoi d’un mail, une fois l’ensemble des entretiens menés, pour harmonisation éventuelle entre les magistrats de la juridiction).
L’USMA appelle de ses vœux qu’une place accrue soit accordée aux objectifs qualitatifs. Elle demande en outre que les objectifs quantitatifs assignés ne soient plus que des objectifs de chambre, véritablement pensés et réfléchis, en termes de faisabilité, par l’intégration et la prise ne considération de la structure du stock, des matières à délais contraints, de l’expérience des magistrats et du caractère supportable de la charge de travail pour le rapporteur public.
La pratique pourrait désormais être la suivante : chaque chambre, au cours d’une réunion annuelle devant se tenir au plus tard en septembre de chaque année, entre le président de chambre, les rapporteurs et le rapporteur public voire, le cas échéant, le greffier, devrait déterminer, sous la responsabilité du président de chambre, les objectifs de la chambre, en termes de sorties, tenant compte, notamment, des impératifs généraux de priorité donnée aux dossiers les plus anciens et de traitement des dossiers à délais contraints.
L’évaluation annuelle serait le moment où serait vérifiée la contribution de chacun, à titre individuel, auxdits objectifs et priorités, n’excluant pas un éventuel rappel à l’ordre en cours d’année par le président de chambre, à destination d’un magistrat s’écartant sensiblement des objectifs de la chambre, sans raison objective.
Cette pratique de fixation des objectifs, moins anxiogène et davantage responsabilisante des magistrats, n’exclurait bien entendu pas qu’un magistrat ayant un nombre de dossiers sortis objectivement insuffisant, qu’il ne pourrait expliquer par leur complexité, leur ancienneté ou une quelconque spécificité, pourrait se le voir reprocher, indépendamment de la question de savoir si sa chambre a, collectivement, rempli les objectifs qu’elle s’était assignée.
S’agissant du contenu même de l’évaluation, il nous semble que si les croix à avancement automatique à l’ancienneté, pratique répandue si ce n’est généralisée, ne sont pas une solution satisfaisante, tant en terme d’objectivité, de transparence et de motivation, leur suppression pure et simple n’en est pas nécessairement une non plus.
Les évaluations du magistrat sont en effet un élément important de l’appréciation portée sur ses qualités, au stade notamment de l’établissement du tableau d’avancement au grade de président, et la lecture d’évaluations en style exclusivement littéral ne rendra pas aisée les comparaisons.
Certes, le groupe de travail « Carrières » a recommandé la suppression de l’évaluation par cotation, précisément d’ailleurs sous réserve de l’harmonisation des pratiques relatives aux évaluations littérales. Pour autant, une telle harmonisation paraît délicate voire impossible, sauf à risquer d’aboutir, à terme, à des appréciations littérales pré-remplies, stéréotypées, présentant donc le même travers que les croix.
Fondamentalement, la limite de l’évaluation annuelle réside dans la pratique travestie qui en est faite, que toute le monde regrette mais dont personne n’arrive à sortir, basée sur l’idée qu’un magistrat débutant est nécessairement moyen, qu’un magistrat expérimenté est nécessairement bon, et que, sauf exceptions, les années passant, l’ensemble des croix doivent, peu ou prou, nécessairement augmenter pour arriver au maximum, après un certain nombre d’années dans le corps.
Or, il nous semble qu’une grille pourrait être réfléchie permettant de faire redescendre les croix, le cas échant, sans remettre en cause les compétences acquises et effectives d’un magistrat. Par exemple, la croix correspondant à la technicité juridique pourrait redescendre, si cela est avéré, en cas notamment de changement de matière, et, le cas échéant, être compensée par une croix dans une rubrique « capacité à appréhender une nouvelle matière », laquelle augmenterait à chaque changement de matière.
En d’autres termes, l’évaluation pourrait comprendre des rubriques de compétences conjoncturelles et des rubriques de compétences structurelles, les premières pour l’année écoulée, les secondes pour mettre en évidence la capacité grandissante du magistrat à occuper ses fonctions et, à terme, celles de fonctions de président.
Les croix, qui présentent l’avantage indéniable de constituer un canevas homogène d’appréciation, seraient en tout état de cause toutes complétées par des appréciations littérales récapitulatives après chaque rubrique de compétences, qui n’étaient que trop rarement sérieusement et utilement renseignées, avant l’appréciation littérale générale.
Il nous semble également que les items d’évaluation devraient être repensés, pour être personnalisés aux fonctions exercées, et pour désormais véritablement inclure l’appréciation de compétences non juridiques mais essentielles à la fonction de magistrat et à la qualité de la vie juridictionnelle.
Aujourd’hui, s’agissant des conseillers et premiers conseiller, les items sont regroupés en 3 rubriques : aptitude à l’exercice des fonctions juridictionnelles (étendue des connaissances, précision des connaissances, sens de l’application du droit, qualité de l’expression écrite et orale, sens de la collégialité et capacité à décider), aptitudes professionnelles générales (compréhension du contexte de l’activité contentieuse, aptitude au changement, respect de l’organisation collective du travail et autonomie et sens de l’organisation) et manière de servir (efficacité et puissance de travail, sens du service public, implication dans la vie de la juridiction, qualités relationnelles dans et à l’extérieur de la juridiction).
La grille d’évaluation pourrait d’ores et déjà distinguer entre rapporteur, rapporteur public, président de chambre et président assesseur en cour.
Ainsi, l’évaluation d’un rapporteur devrait inclure une appréciation beaucoup plus précise et détaillée :
- de la qualité des raisonnements, de la rédaction et des recherches,
- de la rigueur de l’analyse juridique,
- de la précision et de l’étendue des connaissances,
- de la capacité à identifier, synthétiser et hiérarchiser les questions juridiques posées par chaque dossier, à construire sur cette base une solution juridiquement pertinente et à les présenter à la formation de jugement,
- de la conduite, dynamique et active, de l’instruction et la gestion de son stock (s’agissant des dossiers anciens et prioritaires notamment),
- des capacités et marges de progression éventuelles en termes de capacité, à participer au débat collégial et au délibéré, à trancher le cas échéant, à accepter la contradiction, la mise en minorité, etc. qualités autant professionnelles que de savoir-être,
- de l’efficacité et de la puissance de travail, en termes qualitatifs et pas seulement quantitatifs,
- de sa capacité à prendre en considération le contexte de son activité, pour proposer des solutions à la fois juridiquement fondées et logiques et efficientes,
- de sa capacité à appréhender aisément et rapidement une nouvelle matière ou de nouveaux outils d’instruction.
Celle d’un rapporteur public devrait quant à elle être axée sur ce qu’est véritablement sa fonction, à savoir :
- l’apport qu’il constitue en termes d’aide de la formation de jugement, la sécurisation des solutions adoptées,
- ses qualités oratoires,
- la précision et la clarté de ses raisonnements,
- la rigueur de son analyse,
- sa capacité à assurer l’unité et l’harmonie de la jurisprudence de la chambre, etc.
Celle d’un président de chambre pourrait être davantage axée sur l’appréciation, dès lors que l’on peut supposer les compétences purement techniques et juridiques acquises :
- des compétences managériales (les critères d’appréciation pouvant être le management par l’exemple, la disponibilité, l’encadrement et la motivation d’une équipe, l’organisation d’une chambre en tant qu’entité dynamique et collective, l’écoute des besoins, l’anticipation des difficultés éventuelles, la capacité à protéger le bien-être des magistrats et à absorber la pression statistique, la coordination du travail de chambre, la coordination du travail entre les magistrats et le greffe),
- des capacités en termes de formation et de transmission du savoir, de révision, d’animation du débat collégial, de manière active, mesurée et équilibrée (incluant également la sécurisation des décisions et, en tant que de besoin, des magistrats de la chambre et la capacité à identifier et aider à résoudre les points perfectibles de chacun),
- de gestion des stocks entre les magistrats.
Celle d’un président assesseur pourrait combiner les items des rapporteurs et des présidents, afin d’être adaptés à leur rôle particulier de magistrats rapporteurs en Cour, tout en prenant en considération une évolution de leur fonction et de l’augmentation de leurs responsabilités en termes de management de leur chambre.
Enfin, celle d’un chef de juridiction devrait dorénavant valoriser la capacité à contribuer au rayonnement de la juridiction, à l’organisation de la juridiction autour du collectif, à préserver le bien-être de ses magistrats et de ses agents, à contribuer au déroulement de leur carrière, à identifier et proposer à la promotion les magistrats les plus méritants (cette notion ne pouvant plus renvoyer qu’aux seules compétences techniques), à s’assurer que les présidents de chambre investissent et améliorent leurs compétences managériales, à être disponible et à l’écoute de chacun.
Au-delà de l’appréciation de la manière de servir, l’évaluation annuelle devrait également inclure et valoriser une appréciation du savoir-être du magistrat : à l’égard de ses collègues de chambre et du tribunal, à l’égard de son président ou de ses magistrats, de son rapporteur public, de son greffe, en termes notamment d’écoute et de respect des contraintes de chacun, ainsi qu’à l’égard du justiciable.
L’évaluation de l’implication dans la vie de la juridiction peut se décliner sous plusieurs angles : disponibilité, volontariat pour les commissions et les groupes de travail, participation aux moments de convivialité, initiation de ces moments.
Ces items existent déjà, pour certains, mais sont trop souvent sacrifiés ou marginalisés dans l’évaluation.
Si les items peuvent ne pas distinguer en fonction de l’expérience de chacun dans le corps, les appréciations littérales, permettant d’éclairer ces items renseignés, pourraient utilement être axées sur des attentes spécifiques, qui varient nécessairement en fonction de l’ancienneté dans le corps.
L’évaluation devrait également être le moment privilégié pour que chaque magistrat puisse discuter avec son chef de juridiction de la construction de son parcours professionnel.
Il devrait s’agir d’un temps particulier d’échanges, donnant lieu à synthèse dans le compte-rendu d’évaluation, portant à la fois sur les souhaits et besoins à court terme ou plus ou moins long terme(formation, mobilité, diversification des fonctions par la participation à des colloques, la dispense de cours – au CFJA ou à l’université – ou la prise en charge des fonctions de juge de référé, de l’encadrement d’un pôle d’aide à la décision, etc.), et sur la faisabilité du parcours professionnel envisagé, dans et en dehors du corps, dans le cadre de la mobilité voire d’un second détachement : selon la mobilité envisagée si elle n’a pas été accomplie, selon si le magistrat désire ou non accéder à terme au grade de président, selon s’il désire ou non devenir un jour chef de juridiction, il appartient au chef de juridiction de discuter avec l’intéressé des forces, faiblesses et points perfectibles de son parcours, et de rechercher les modalités de valorisation des acquis, dans la perspective de la mobilité éventuelle puis de l’accès au grade de président.
Ce moment de l’évaluation pourra également devenir l’un des moments privilégiés entre les mains du chef de juridiction, pour connaître mieux leurs magistrats, afin notamment de pouvoir les « vendre » dans une optique de rayonnement de leur juridiction (colloques, rencontres), ainsi que dans la perspective de création d’un réseau local pour d’éventuelles mobilités.
Enfin, repenser l’évaluation des magistrats permet d’ouvrir une réflexion sur l’expérimentation d’une évaluation à 360°, s’agissant de l’ensemble des membres de la communauté juridictionnelle, dès lors que le renseignement de certains items ne peut véritablement être envisagé que si leur avis ou sentiment est recueilli, même informellement, auprès des tiers à la personne évaluée, qui travaillent quotidiennement avec elle.
Cela ne constituerait qu’une modalité d’évaluation, servant de support, sur certains items, à l’appréciation par le chef de juridiction de certaines des qualités et aptitudes de chacun de ses magistrats (rapporteur, rapporteur public, président assesseur et président de chambre), ou par la mission d’inspection de certaines des qualités et aptitudes du chef de juridiction.