L’USMA s’oppose au « rapporteur public à géométrie variable » et à l’instauration de cette mesure par la procédure de l’article 38.Les développements qui suivent rappellent les raisons de cette opposition.
Rappel :
Le rapporteur public est un membre de la juridiction qui expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présente à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent.
C’est donc un magistrat indépendant de la formation de jugement qui examine chaque dossier.
Son rôle est déterminant, en interne, dans le processus d’élaboration des décisions juridictionnelles.
D’autre part, en proposant une solution personnelle qu’il expose aux parties à l’audience lors du prononcé de ses conclusions, il constitue l’une des garanties essentielles, pour le justiciable, que son dossier sera examiné sous toutes les coutures.
Il est désormais prévu que, dans certains contentieux (pour le moment : refus de séjour assortis d’une obligation de quitter le territoire et permis à points) il puisse choisir librement de prononcer ou pas ses conclusions lors de l’audience.
1. L’opposition de l’USMA au » rapporteur public à géométrie variable » tient aux insuffisances des politiques publiques ainsi qu’au mécanisme lui-même.
Ce sont les politiques publiques et l’absence de moyens qui sont à l’origine des difficultés rencontrées par les rapporteurs publics. Si nous admettons, aujourd’hui, d’engager le processus d’une disparition progressive du rapporteur public, ce sont d’autres politiques publiques et d’autres contraintes qui, demain, nous obligeront à de nouveaux reculs.
Il n’est pas juste de demander aux juridictions de réformer un système qui a fait ses preuves pour pallier les insuffisances du ministère de l’intérieur dans la gestion des problèmes posés par les permis à points ainsi que dans la réflexion sur les conséquences de la loi de juillet 2006 (OQTF) sur l’organisation des juridictions.
Le retour à une organisation des chambres avec deux rapporteurs en TA et trois en CAA limiterait, de facto, les conséquences de l’afflux de contentieux en matière d’OQTF.
Nous constatons qu’actuellement, si le système est proche de ses limites, il reste praticable, à tout le moins dans les juridictions où les décisions prises visent à faire vivre l’organisation de la juridiction à droit procédural constant. Dès lors renoncer à un principe aussi utile et structurant pour la juridiction administrative que la présence du rapporteur public dans tous les contentieux, plutôt que, là où le volume de contentieux obère sérieusement les conditions de travail des collègues, de réfléchir à une autre organisation, permettant de concilier ce principe avec les contraintes statistiques, ne nous paraît pas une solution souhaitable.
Les problèmes posés par les OQTF et les permis à points sont radicalement différents selon la taille et la localisation des juridictions. Il existe même une majorité de juridictions dans laquelle … aucun problème n’est relevé. C’est donc localement, dans chaque projet de juridiction et par une réflexion sur l’organisation du travail, que devrait être traitée la question de la place du rapporteur public dans les contentieux OQTF et permis à points, plutôt que par une mesure à caractère général sur l’ensemble du territoire.
S’agissant par ailleurs du mécanisme envisagé :
Les expériences passées ont montré qu’un système comme celui qui nous est proposé ne peut fonctionner correctement. Ainsi, aucun mécanisme ne peut réellement garantir que, dans quelques mois, sous la pression des statistiques et de l’organisation de la juridiction, les rapporteurs publics ne soient contraints de renoncer à conclure dans une écrasante majorité de dossiers.
Faire peser sur un seul magistrat la responsabilité de conclure ou de ne pas le faire, fera naître des tensions qui se révèleront rapidement ingérables non seulement dans les juridictions entre collègues mais également vis à vis des parties, à l’audience.
Il est en effet impossible d’expliquer sereinement aux requérants pourquoi certains d’entre eux bénéficieront de conclusions et d’autres pas et pourquoi, dans le nouveau système où les parties répondent au RP, certaines d’entre elles vont être privées de cette possibilité sur simple décision du juge.
Une telle discrimination est d’ailleurs, sans aucun doute, contraire au droit à un procès équitable tel qu’affirmé par l’article 6-1 de la CEDH et interprété par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
2. L’USMA s’oppose à ce qu’en l’espèce la procédure de l’article 38 de la Constitution soit utilisée
2.1 On rappellera le précédent intervenu lors de la codification opérée par l’ordonnance n° 2000-387 du 4 mai 2000
Avant la dernière codification, intervenue dans le courant de l’année 2000, le principe de collégialité était affirmé par l’article L. 4, alinéa 1, du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Et c’est le législateur lui- même qui énumérait les dérogations qu’il entendait donner à la règle.
Ainsi la loi du 25 juin 1990, avait transposé aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel, par l’instauration d’un article L. 9 au code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, les dispositions applicables au Conseil d’Etat permettant de statuer par ordonnance sur certaines questions. Cette liste figurait – initialement – à la suite de l’affirmation du principe, dans l’article L. 9.
De même la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et la procédure civile, pénale et administrative avait donné compétence à un magistrat statuant seul, en audience publique et après audition des conclusions du commissaire du gouvernement, pour rejeter les requêtes relevant de la première des exceptions prévues à l’article L. 4, à savoir l’objet du litige. Cette liste figurait – initialement – à l’article L. 4-1.
Lors de la codification intervenue par le biais de l’ordonnance n° 2000-387 du 4 mai 2000, un article L.222-1 a été ajouté dans le nouveau code :
« Les jugements des tribunaux administratifs et les arrêts des cours administratives d’appel sont rendus par des formations collégiales, sous réserve des exceptions tenant à l’objet du litige ou à la nature des questions à juger. »
Cet article affecte de partager les responsabilités entre le législateur et le pouvoir exécutif, conformément aux articles 34 et 37 de la constitution. Au législateur d’énoncer les principes et les conditions dans lesquelles il est possible d’y déroger, au pouvoir exécutif d’établir, dans ce cadre, la liste des matières qui relèvent des exceptions.
L’ordonnance du 4 mai 2000 en a, apparemment en toute logique, tiré les conséquence et a relégué dans la partie réglementaire du CJA, la liste des questions sur lesquelles il est possible de statuer seul, en audience publique et après audition des conclusions du commissaire du gouvernement figure (article R. 222-13) ainsi que celle des litiges sur lesquels il est possible de statuer par ordonnance (article R. 222-1).
Mais c’est précisément à ce stade que se situe un problème majeur !
En effet la formulation retenue par l’article L 222-1 pour encadrer le pouvoir exécutif dans sa tâche d’établissement de la liste des exceptions – objet du litige et nature des questions – permet d’englober l’intégralité du contentieux administratif.
Tous les litiges enregistrés chaque année par les juridictions administratives ont, à l’évidence, un objet, et toute les questions posées aux juges peuvent être catégorisées selon leur nature.
Il est évident qu’en ne précisant pas en quoi l’objet du litige ou en quoi la nature des questions pouvait justifier une dérogation au principe, le législateur n’a pas – loin s’en faut – épuisé sa compétence.
Sauf à considérer que la collégialité, loin d’être une garantie essentielle, n’est qu’une vague question de procédure et ne relèverait, dès lors, que de la compétence réglementaire, ce qui n’est en rien l’avis de l’USMA ! A tout le moins, dans cette acception, l’article L. 222-1 aurait-il vocation à disparaître purement et simplement, dès lors qu’aucune exigence de portée normative ne serait à fixer en la matière.
Il faut rappeler que si le Gouvernement avait été habilité par la loi n°99-1071 du 16 décembre 1999 à adopter par ordonnance la partie législative du code de justice administrative, cette loi n’en précisait pas moins que « Les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l’état du droit ».
Le contrôle de constitutionnalité d’une loi d’habilitation se heurtant de toute évidence à l’impossibilité de définir à l’avance le contenu de l’ordonnance, il était cependant assez illusoire d’attendre du Conseil constitutionnel qu’il exerce un contrôle poussé sur une telle disposition (CC 16 décembre 1999. 99-421 DC) et principalement sur la limite entre loi et règlement.
Et l’expérience montre malheureusement qu’une fois les ordonnances adoptées, il est aisé d’escamoter tout contrôle ultérieur par le Parlement et le Conseil constitutionnel. Le président du Conseil constitutionnel stigmatisait d’ailleurs lui-même le 3 janvier 2005, un recours immodéré aux ordonnances révélateur d’un « dérèglement juridique et politique ».
Cette crainte s’est malheureusement affirmée en l’espèce, dès lors que le Parlement a ratifié sans discussion le code de justice administrative par une disposition noyée dans une des nombreuses lois de simplification du droit (L.2003-591 du 2 juillet 2003 article 31) le Conseil constitutionnel n’ayant pas davantage, et manifestement pour les mêmes raisons, été amené à apprécier la constitutionnalité d’un tel transfert de compétence (CC 26 juin 2003 2003-473 DC).
En définitive, le choix de procéder à la codification par la voie d’une loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnance a, manifestement, en privant le Parlement d’un véritable débat sur le sujet évoqué ci-dessus, permis l’introduction dans le nouveau Code de justice administrative d’un mécanisme … résolument inconstitutionnel !
On ne peut imaginer qu’un débat au Parlement aurait laissé subsister une telle anomalie.
2.2 La très insuffisante rédaction des dispositions de l’article L. 222-1 a permis plusieurs extensions, par décret, des article R.222-1 et R. 222-13 qui établissent la liste des contentieux dérogeant à la règle de la collègialité.
La dernière en date a été instituée par le décret nº 2006-1708 du 23 décembre 2006 élargissant le champ d’application des ordonnances. Ce décret a été attaqué au contentieux, par requête enregistrée sous le n° 302 040. Les arguments ci-dessus évoqués ont été avancés par les requérants. Et balayés par le Conseil d’Etat, au motif que : « il résulte de ces dispositions qu’il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer les catégories de litiges susceptibles de faire l’objet d’une ordonnance ».
En effet, c’est seulement si l’établissement de la liste, qui relève du pouvoir règlementaire, n’est pas conforme aux critères dégagés par le législateur, que le décret peut être frappé d’illégalité.
Or cette situation est rendue impossible, comme il a été précisé, par l’absence de détermination de véritables critères dans l’article L. 222-1.
Tout contentieux sur la légalité d’une tel décret est donc voué à l’échec en l’absence de possibilité pour le juge de contrôler la conformité de la loi à la constitution. Et ce, quand bien même le pouvoir exécutif inclurait dans les exceptions l’immense majorité du contentieux. On relèvera d’ailleurs que ça n’est pas loin d’être déjà le cas dès lors que 65 % des requêtes introduites devant les juridictions administratives sont traitées par un juge unique.
De fait, le législateur, lors de la dernière codification, a bien été dessaisi de l’une de ses prérogatives, sans qu’il ait été possible d’y remédier par la voie juridictionnelle.
Sans doute l’exception d’inconstitutionnalité introduite dans notre système juridictionnel permettra-t-elle, à l’avenir, de remédier partiellement à cette situation.
On peut l’espérer s’agissant de la violation d’un droit matériel garanti par la constitution et le droit constitutionnel dérivé. En l’espèce le rapporteur public à géométrie variable contrevient, au moins, au principe du contradictoire, à celui de l’égalité des citoyens et au droit à un procès équitable …
Encore faudra-t-il, toutefois, pour que l’exception d’inconstitutionnalité aboutisse, que la demande passe le filtre … du Conseil d’Etat !!!
2.3 Il est désormais prévu de légiférer par ordonnance pour réformer le code de justice administrative, notamment en y introduisant le dispositif sus-évoqué de « rapporteur à géométrie variable ».
Rappelons que le principe selon lequel un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présente à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent, est affirmé par l’article L. 7 du code de justice administrative.
Les projets de textes visant à mettre en oeuvre la réforme de la justice administrative voulue par le Vice-président du Conseil d’Etat ont été examinés par le conseil supérieur des TA CAA dans sa séance du 17 février 2009.
Il est notamment prévu d’ajouter au code de justice administrative un article L. 732-1, ainsi libellé :
« Le rapporteur public expose ses conclusions, à l’audience, sauf dans les cas où l’objet du litige ou la nature des questions à juger permettent de l’en dispenser. Un décret en Conseil d’Etat fixe la liste de ces litiges. »
L’exposé des motifs du projet de loi indique très clairement que « le nouvel article L.731-2 reprend ainsi le même dispositif de dérogation que celui prévu par l’article L. 222-1 ».
Dont acte.
Cet exposé prend d’ailleurs le soin, préalablement, de rappeler que des dispositions législatives ont d’ores-et-déjà dispensé « certaines matières » des conclusions du rapporteur public.
Dont acte .
Il est néanmoins proposé, très exactement dans le cadre du même système dérogatoire que celui qui a été qualifié ci-dessus de contraire à la Constitution … que le pouvoir exécutif fixe librement la liste, par décret, des matières qui se verraient dispensées de conclusions .
Il ne fait aucun doute que le mécanisme de l’article L. 732-1 est tout aussi inconstitutionnel que celui de l’article L. 222-1.
Pour les mêmes raisons, à savoir qu’il revient à la loi et à elle seule de définir en quoi l’objet du litige ou en quoi la nature des questions pourrait justifier une inscription sur la liste des dérogations par le pouvoir réglementaire.
Rappelons enfin que la circonstance que le juge ait la faculté de choisir, dans certains contentieux, de conclure ou de ne pas le faire , comme il semble désormais en être question avec l’instauration du « rapporteur public à géométrie variable », ne change évidemment rien à l’argumentation ci-dessus exposée.
En effet un dispositif aux termes duquel le pouvoir exécutif fixe librement la liste, par décret, des matières dans lesquelles le juge peut, discrétionnairement, se dispenser de conclusions, est tout aussi contraire à la Constitution (principe d’égalité des citoyens devant la loi, droit à un procès équitable …) que celui dans lequel toutes les requêtes relevant de ces matières sont automatiquement dispensées de conclusions.
Il est évident que dans une telle hypothèse, la loi devrait, a minima préciser :
en quoi l’objet du litige ou en quoi la nature des questions pourrait justifier une inscription sur la liste par le pouvoir réglementaire ;
en quoi l’état du dossier pourrait justifier la décision du juge ou de la formation de jugement de ne pas prononcer de conclusions.
L’USMA souhaite donc éviter que l’utilisation de la procédure de l’article 38 de la constitution permette de réitérer, qui plus est en les renforçant, les erreurs commises en 2000.
En tout état de cause, l’existence et le périmètre d’intervention du rapporteur public méritent, s’il devait y être touché, un débat au Parlement.