Rapprocher le droit de la fonction publique de celui du droit du travail, c’est opérer un véritable Big Bang au sein de la fonction publique, qui constitue, chacun le sait un monde à part dès lors qui régnait depuis la loi du 19-10-1946, un « compromis durable » ; elle ne pouvait donc être attaquée frontalement et il convenait d’essaimer les évolutions.
Aussi, si les fonctionnaires ont encore aujourd’hui du mal à admettre qu’ils ne sauraient continuer à constituer « un monde clos » distinct de celui du salariat, l’attraction exercée par le droit du travail s’accroît et l’évolution paraît inéluctable ; c’est de ce mouvement que naîtra la loi du 5 juillet 2010 (L. 2010-751 du 5-07-2010) relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la FP.
Ainsi, alors que le champ du dialogue social entre le Gouvernement et les organisations syndicales était jusqu’à présent circonscrit par l’article 8 de la loi du 13 juillet 1983, la loi de 2010 tentant de le rénover, en a réformé les modalités, constituant en cela une « étape de la mise en œuvre » des fameux « Accords de Bercy » conclus le 2-06-2008 entre le ministre du Budget, le secrétaire d’Etat chargé de la FP et 6 des 8 organisations syndicales représentatives de la FP (représentant 75 % des personnels) : le texte de 2010 s’efforce d’aligner le cadre juridique de la négociation collective dans la fonction publique sur celui applicable dans les entreprises en élargissant notamment les champs de la négociation.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’une révolution, la FP n’est pas prête ; mais le mouvement est en marche avec pour objectif d’aboutir à une modification des équilibres tant au sein des acteurs publics, de ce dialogue, qu’au sein de ses institutions dont certaines vont voir disparaître ce fameux paritarisme.
Si les commissions administratives paritaires (CAP) demeurent – comme leur dénomination l’indique – paritaires, en revanche, les comités techniques paritaires (CTP) ne le seront plus, afin de faire disparaître un certain formalisme institutionnel qui semblait nuire à l’expression même du dialogue social.
Cet exemple n’est pas – vous vous en doutez – présenté par hasard : il sert, en effet, notre propos, nous permettant de nous interroger sur le paritarisme tel qu’il pourrait exister au sein de la Juridiction Administrative.
A priori, nous ne voyons pas pourquoi, la loi de 2010 nous serait étrangère ; nous ne voyons pas davantage pourquoi, un paritarisme ne pourrait avoir existé au sein des instances représentatives de la J°A et enfin, pourquoi ce paritarisme ne pourrait à l’instar des Comités Techniques disparaître ?
A cet égard, il faut avouer que la Juridiction administrative est très en avance sur son temps : la pratique n’a pas seulement devancé les objectifs du législateur, elle les a – semble-t-il – pressentis : le Conseil d’Etat ne s’est jamais prêté à un réel tête-à-tête avec notre organisation syndicale : aucun paritarisme n’a jamais vu le jour et la loi de 2010 aidant, il n’est pas prêt de naître.
Se pose alors la question de l’existence même du dialogue : pour exister doit-il être paritaire ?
Si nous le pensons et le souhaitons, vous vous en doutez, ce n’est de toute évidence pas l’avis du Conseil d’Etat, notre interlocuteur institutionnel privilégié.
Nous pensons, en effet, que le dialogue impose « l’égalité des armes» : en son absence, il n’y a plus dialogue mais discussion et là le terrain est différent, beaucoup moins intéressant.
Cette absence de dialogue doit-elle être imputée au Conseil d’Etat ? Oui mais non, pourrions-nous dire paraphrasant certains journalistes.
Tenant sa mission de Cour Suprême, le Conseil d’Etat ne saurait – sans appréhension et réflexion – se soumettre aux négociations envisagées, espérées et attendues de nous.
Héritière de l’ère napoléonienne, la Haute Assemblée n’est pas une institution comme les autres : conseillère du Prince, elle ne peut s’inscrire que dans un processus où organisant le fonctionnement de la juridiction administrative, elle doit en être tout autant le réalisateur, le metteur en scène, l’acteur et le public : elle prépare les textes organisant le fonctionnement de la juridiction administrative, elle les impose et les met en œuvre, puis si nécessaire elle en devient le juge : administrateur et juge de l’administration active, elle l’est également de notre juridiction administrative dite « administration passive », le qualificatif recouvrant alors véritablement tout son sens : la passivité est de mise et le dialogue est inexistant.
Conscient de cette impossibilité, soucieux de pallier ces incohérences et de remédier à certains de ses manques, le Conseil d’Etat, alors même qu’il demeure garant de la toute-puissance étatique et ne parvient pas à s’abstraire de son essence même, va tenter de faire naître un embryon de dialogue : c’est ce dialogue « appauvri » qui s’exprime lors de la réunion de certaines instances représentatives telles que le Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail ou le Conseil Supérieur des Tribunaux Administratifs et Cours Administratives d’Appel.
Pour ne prendre comme exemple que ce dernier, il s’avère qu’en pratique, au sein du Conseil supérieur, le dialogue n’est que de pure forme : au dialogue se substitue une « discussion » qui se limite aux mesures individuelles concernant les magistrats administratifs : sur ces mesures, le syndicat conserve un certain pouvoir d’action, si ce n’est un pouvoir d’action « certain », surtout s’il a au préalable entamé quelques pourparlers informels ; ainsi, quelques décisions proposées pourront quelquefois et à la marge, être modifiées mais attention, quelle que soit notre marge d’action, notre capacité de proposition, le Conseil d’Etat gestionnaire décidera seul : le dernier mot n’est jamais syndical.
Mais alors quelquefois, ne faut-il pas lutter, tenter de convaincre, se battre, comme le chantait si bien C. NOUGARO et nous sommes aujourd’hui à Toulouse, il n’y a pas que les mémés qui aiment la castagne ?
Certes, la Haute Assemblée ne veille pas seulement au service public mais au-delà, au service de l’Etat et au conseil de son gouvernement : de par les raisons même de son existence, du fait de son bicéphalisme consubstantiel, se refusant à dépasser ses contradictions internes, elle met irrémédiablement un frein à tout dialogue.
Parce que le Conseil d’Etat est à la fois notre gestionnaire et notre juge, les données sont plus complexes que pour tout autre dialogue syndical : il nous faut en effet discuter avec celui qui gère nos carrières, celui qui organise notre profession et celui qui jugera des recours que nous pourrions introduire contre ces modalités particulières de gestion ou d’organisation : tout ceci est pour le moins complexe et c’est selon nous un euphémisme !
C’est certainement à ce stade que l’action syndicale se doit de se questionner.
Il importe que la parole circule, que les idées s’échangent et que les revendications s’inscrivent dans une volonté d’agir portée par la tête du syndicat : logiques de co-gestion, participative ou d’opposition, plus ou moins ferme, sont alors concevables mais attention, l’organisation syndicale ne demeure légitime qu’en tant qu’elle représente : ce qui lui impose non seulement d’être élue – mais cela est d’évidence – mais encore de dire et de faire ce que l’on espère et attend d’elle : ce sont ses moyens d’actions qui sont alors mis en cause ainsi à l’instar d’Octavio Paz pouvons-nous dire que le dialogue social doit être « non pas un simple « dire » mais « un faire qui est un dire » ».
Une fois ces modalités dépeintes, il nous incombe bien sûr de les mettre en œuvre – en musique – et la encore, la réalité dépend de nos interlocuteurs : si la discussion ou le dialogue sont possibles, la présence syndicale se légitime et la logique – tout au moins – participative peut s’imposer.
C’est également à cet endroit que peut s’immiscer un autre dialogue syndical – non celui, difficile, avec notre gestionnaire mais celui – parfois tout aussi difficile d’ailleurs – avec nos homologues.
A plusieurs, la lutte serait-elle plus aisée ? Rien n’est moins sûr et, en tout état de cause, il faut au moins parvenir à être deux : là encore, les stratégies se confrontent souvent, s’opposent quelquefois, se retrouvant cependant sur les sujets les plus graves : la lisibilité de l’action syndicale troublée par la recherche d’un consensus quelquefois délicat s’en trouve alors gênée : cette recherche de partenaires est difficile et le syndicalisme est le plus souvent une bataille solitaire.
Se pose alors la question fatidique : que faire lorsque l’irréalité, l’impossibilité ou le refus de tout dialogue sont patents : tous les moyens permettant de mener à bien l’action syndicale sont-ils envisageables soit dit autrement la fin justifie-t-elle les moyens ?
Selon l’USMA, certainement : du moins et d’évidence, les moyens légaux : ceux que notre syndicat utilise prioritairement lorsqu’il se trouve acculé parce que la discussion n’a pas abouti : la grève et le recours contentieux ; il convient toutefois d’avouer que ces méthodes trouvent rapidement leurs limites et personne ne sera dupe : en effet, si la grève « réveille » et si le recours contentieux agace, ni l’un ni l’autre ne parviendront à modifier le sens des décisions prises paraphrasant à nouveau C. NOUGARO, nous pourrons dire « qu’alors même que notre cartable serait bourré de coups de poing, celui qui cogne, ne gagne pas … toujours ». .
L’action syndicale a, dans la Juridiction administrative, ses limites : celles que le Conseil d’Etat, a, lui seul fixées : de dialogue, il n’est, à ce jour, pas question au sens le plus classique du terme, tel que traditionnellement entendu au sein de la FP.
Si ainsi que l’écrivaient E. MARC et Y. STRUILLOU (dans leur art. intitulé : « La loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique : une mutation inachevée du système de relations professionnelles) : « Tout dialogue est une dialectique entre le pouvoir et la parole. Dans le vaste champ des relations sociales, (…), la finalité de la circulation de la parole (…) est la prévention et la gestion de toute forme de conflit ou de violence. (…) », la Haute Assemblée estime – semble-t-il – jusqu’à ce jour que forte de sa conception régalienne de gestionnaire de notre Juridiction, le dialogue n’a pas sa place au sein de cette institution, quitte à renoncer à prévenir ou à gérer tout risque de conflit.
Le dialogue syndical, par A. Baux, 2013, à l’occasion du colloque dédié aux 60 ans des TA auquel participaient les membres de l’ union syndicale des magistrats administratifs