L’USMA a été invitée par le Conseil d’Etat à présenter ses observations sur les pistes de réforme de la juridiction administrative qui pourraient faire l’objet de mesures concrètes dans le cadre du projet de loi Justice en préparation.
- Une réforme qui manque d’ambition
Si l’USMA constate, comme le Conseil d’Etat, que des réformes sont nécessaires pour préserver la qualité de notre justice, force est de constater que les pistes proposées ne répondent que très partiellement aux enjeux, alors qu’il y a en effet dans ce vecteur législatif dédié une occasion à saisir pour initier l’indispensable réforme de la juridiction administrative.
Recruter non pas des magistrats mais des juristes assistants, étendre le champ d’intervention des aides à la décision, accroître la mobilité des magistrats, sont des idées plus ou moins séduisantes mais ne se révèlent pas assez ambitieuses pour une gestion des ressources humaines adaptée à l’évolution de notre corps.
Simplifier le droit des étrangers, supprimer une partie des procédures Dalo, rétablir le droit de timbre ou créer une procédure de non-admission en appel n’apparaît pas comme une réponse satisfaisante au besoin de réinventer la juridiction administrative. Le décret Jade a d’ores et déjà exploré avec enthousiasme les possibilités de ne pas juger. Cherchons désormais des solutions pour juger, pour préserver la qualité de notre justice face aux défis constants auxquels elle fait face.
- Des idées novatrices à portée de main
Faire face à l’augmentation de la charge de travail
Si le nombre de magistrats administratifs a triplé en trente ans, l’augmentation du nombre d’entrées et la confiance du législateur ont conduit les magistrats administratifs, de la première instance à la cassation, à voir leur plan de charge augmenter plus rapidement que le nombre de cerveaux pour y faire face.
Le constat est partagé entre l’ensemble des magistrats de la juridiction administrative, de nos tribunaux et cours jusqu’au Conseil d’Etat : l’augmentation du nombre de dossiers jugés, les délais de jugement légalement contraints, la réduction des délais globaux de jugement et la complexité croissante du droit ont conduit peu à peu à une modification de nos métiers et à une intervention croissante de l’aide à la décision.
Si l’USMA est partisane d’une approche pragmatique de cette question, la négation du réel n’étant pas dans ses traditions, nous avons rappelé à de nombreuses reprises dans quelles conditions le recours à l’aide à la décision pouvait être profitable à notre justice.
Le recours croissant à l’aide à la décision ne présentera pas le risque de créer une justice à deux vitesses si le travail des aides à la décision est strictement et nationalement circonscrit à un contentieux de masse et si ce travail est soumis à un contrôle réel de magistrats impliqués.
Une première exigence qui pourra être satisfaite par une circulaire du secrétariat général déterminant les matières susceptibles d’être confiées à l’aide à la décision[1].
Une seconde exigence, structurelle, qui justifie la création de nouvelles fonctions permettant d’enrichir la carrière des magistrats et de les amener progressivement à exercer des fonctions de management avant de parvenir, le cas échéant, au grade de président.
Faire de la justice administrative, de la première instance à la cassation, une structure cohérente
L’enquête climat social a révélé ce que nous savions tous : il n’y a pas de sensation d’appartenance à une culture commune entre les tribunaux et cours et le Conseil d’Etat.
Les juridictions de première instance et d’appel ont progressé sur la voie de concrétisation d’une véritable magistrature administrative, même si l’étape décisive par laquelle les magistrats administratifs se verront attribuer les attributs symboliques de la fonction de juger que sont la robe et la prestation de serment n’a pas encore été franchie. A ce titre, il apparaît essentiel aujourd’hui de profiter du train des réformes annoncées pour ne plus différer le sujet du port de la robe, cher aux magistrats administratifs dans une large majorité, que l’aménagement symbolique des salles d’audience n’a certainement pas vocation à régler. Il s’agit là d’une réforme symbolique, que les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre à moindre coût, afin d’ancrer la justice administrative dans le concert de la théorie de l’apparence des juges.
Mais il faut désormais réinventer notre juridiction, en créant, comme l’USMA l’a toujours demandé, un corps de magistrats administratifs de la première instance à la cassation et, en attendant de voir cette réforme produire ses effets de cohérence, accroître les possibilités d’accès des magistrats administratifs à la cassation.
Préserver l’attractivité du corps
Le durcissement de nos conditions de travail, la première affectation contrainte, les perspectives de carrière réduites par le goulot d’étranglement de l’accès au grade de président, le peu de diversité des fonctions pouvant être exercées par les conseillers et premier conseillers, constituent autant de fardeaux qui grèvent le caractère attractif du corps de magistrat administratif.
La première des mesures préservant l’attractivité est salariale et l’USMA demande bien entendu une équivalence de traitement avec les autres corps issus de l’ENA. L’USMA demande également la mise en place d’un second mouvement de mutation annuel pour apporter plus rapidement des solutions aux situations difficiles que rencontrent certains de nos collègues.
Mais il existe d’autres choses à inventer :
– Pour les premiers conseillers, un premier accès à des fonctions de management, qui serait l’occasion de vérifier leur aptitude à occuper des fonctions de président, par la création de cabinets de juge, véritables équipes d’aide à la décision, structurées formées et encadrées, placées sous le contrôle du magistrat dans les conditions que nous avons rappelées.
– Pour les présidents, par la création, d’une part, de postes de premiers vice-présidents dans les tribunaux comptant au moins 3 chambres et/ ou des postes de vices présidents en charge des référés et expertise dans les juridictions les plus importantes.
– Par la disjonction, d’autre part, du grade et de la fonction de président. Le fait de découpler le grade de vice-président des fonctions de président de chambre permettrait de répondre à ces difficultés en bénéficiant à la fois des avantages de la linéarité de carrière et de ceux d’une réelle gestion des ressources humaines. L’accès au grade de vice-président résulterait du déroulement normal de la carrière, comme l’accès au grade de premier conseiller.
Former mieux et former tout le monde
Pour faire face à l’exigence de préservation de la qualité de notre justice, la juridiction administrative doit se doter d’une véritable école de la juridiction administrative chargée de la formation initiale et continue des magistrats, de la formation aux changements de fonction et au management mais également de la formation des agents de greffe et des agents d’aide à la décision. Une école en capacité de délivrer des formations de qualité à l’ensemble des acteurs de nos juridictions, y compris au sein des juridictions.
- La position de l’USMA sur les pistes de réforme proposées
- Accroitre la force de travail
L’USMA ne cessera de revendiquer des effectifs supplémentaires de magistrats pour permettre à la justice administrative de faire face aux défis qui sont les siens.
1.1 permettre le recrutement de magistrats temporaires
L’USMA n’est pas favorable à cette proposition qui tendrait à recruter des magistrats hors des règles statutaires actuelles. L’objectif affiché d’enrichir les modes de recrutement, alors que l’accès au corps s’effectue déjà par l’école nationale d’administration, un concours externe et un concours interne dédiés, un tour extérieur et des intégrations après détachement, n’est pas vraiment compréhensible. C’est l’attractivité du corps qu’il faut renforcer, pas les possibilités d’accès. Et s’il s’agit de faire face à un besoin ponctuel de magistrats, le dispositif des magistrats délégués répond à cette exigence, à la condition de rendre plus souples ses modalités d’activation.
Ajoutons que si un dispositif comparable existe chez les magistrats judiciaires, ce n’est que dans le cadre de fonctions compatibles avec une technicité rapidement acquise. Les fonctions d’assesseurs en TA-CAA consistent uniquement en des fonctions de rapporteur qui, par nature ne peuvent être occupées par des magistrats temporaires.
1.2 élargir les possibilités de recours aux magistrats honoraires
L’USMA n’est pas opposée à voir certains de nos collègues continuer à servir la juridiction, même si nous préférons bien entendu, n’en déplaise à nos ainés, que des postes soient ouvert au concours.
Pour autant, à l’instar de ce que nous proposons pour les magistrats gardés en surnombre, il nous semble que des critères de sélection doivent être mis en place tenant à l’aptitude et aux qualités requises (pour éviter des demandes de magistrats ayant rompu le lien avec le contentieux depuis un trop grand nombre d’années) et une vérification de l’aptitude physique avec la production d’un certificat médical.
Enfin, il nous semble que l’avis du chef de la juridiction d’accueil doit être requis.
1.3 favoriser le recours aux aides à la décision pour les TA-CAA et le Conseil d’Etat
Nous l’avons dit l’USMA est partisane d’une approche pragmatique de cette question.
L’USMA est ouverte à la réflexion sur un dispositif de type « cabinets de juge », portant création de véritables pôles d’aide à la décision, à la condition de faire de cet outil le véritable corollaire de l’allègement de la charge de travail des magistrats, contrepartie nécessaire du recentrage de leur activité.
En revanche, l’USMA est opposée en l’état à un accroissement du recours au dispositif d’aide à la décision tel qu’il s’est anarchiquement développé dans nos juridictions.
L’USMA demande donc que le recours accru aux agents d’aide à la décision s’accompagne :
– d’une détermination nationale précise du rôle des agents d’aide à la décision et des matières qui peuvent leur être confiées ;
– de la création de postes de magistrats encadrant les pôles d’aide à la décision ;
– d’un recrutement fondé sur des critères harmonisés au niveau national et confié localement à une commission composée de magistrats ;
– d’une réelle formation initiale préalable des agents d’aide à la décision au CFJA.
1.4 favoriser la mobilité des magistrats administratifs
L’USMA est tout à fait favorable à cette proposition et suggère d’évoluer vers une incompatibilité non plus subjective mais objective. Dans la logique du conflit d’intérêts, il serait possible de prévoir des déports par juridictions en raisonnant par matière ou par département selon la taille de la juridiction. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le nombre de magistrats concernés par les incompatibilités actuelles.
L’USMA a également proposé de créer des postes au détachement en regroupant les présidences de chambres disciplinaires des ordres médicaux et para-médicaux par grande région sur le modèle des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux.
De manière générale depuis des années, l’USMA demande à ce que la mobilité des magistrats administratifs soit prise en charge et accompagnée de manière plus efficace par la direction des ressources humaine du Conseil d’Etat, laquelle doit se montrer pro-active et être en capacité de répondre aux interrogations des magistrats. Si la création d’un bureau dédié mérite d’être saluée, l’enjeu de la mobilité dans la carrière des magistrats mérite un effort supplémentaire.
1.5 modifier le régime des magistrats et membres du Conseil d’Etat maintenus en activité
L’USMA est tout à fait favorable à cette proposition, qui conditionne le maintien en activité à des vérifications que nous souhaitons voir également appliquées aux magistrats honoraires, à savoir un réel contrôle des aptitudes, professionnelles et physiques, et l’assentiment du chef de la juridiction d’accueil.
- Réformes de procédure
2.1 Rétablissement d’un droit de timbre
L’USMA est opposée à cette réforme, comme à toutes celles ayant pour objet ou effet, direct ou incident, de limiter l’accès au juge. La réforme de la justice administrative et l’accroissement de son efficacité et de la capacité de ses membres à juger pleinement et correctement les affaires qui leur sont soumises, dans des délais raisonnables, ne pouvant et ne devant passer par un mécanisme visant à dissuader les justiciables potentiels de les saisir.
2.2 Suppression de la procédure des OQTF 6 semaines
L’USMA est favorable à cette proposition, comme à toute proposition visant à simplifier le contentieux en la matière.
Il conviendrait de favoriser une unité des recours et des procédures, les OQTF devant par principe, sauf quand elles sont assorties d’une mesure privative de liberté, relever d’une formation collégiale, jugeant en 3 mois.
2.3 Allongement du délai imparti au juge de l’éloignement pour statuer sur les recours des étrangers placés en rétention administrative ou assignés à résidence
L’USMA est favorable à ces propositions, dans une certaine mesure : un tel allongement ne serait acceptable que pour permettre d’attendre la décision du JLD nécessairement saisi d’une demande de prolongation du placement en rétention ; il s’agirait alors d’officialiser la pratique prévalant de certaines juridictions consistant à attendre de savoir si l’étranger est maintenu en rétention pour enrôler le dossier dans le cadre des permanences. Mais, bien entendu, l’USMA reste réservée s’il s’agit d’allonger de manière déraisonnable le délai de jugement du recours d’un justiciable privé de liberté ou dont la liberté d’aller est venir est entravée par une assignation à résidence.
2.4 supprimer la procédure du DALO injonction
L’USMA est favorable à cette proposition
2.5 allonger la durée de l’expérimentation médiation préalable obligatoire
L’USMA est favorable à cette proposition
2.6 modifier les critères de détermination de la partie devant supporter les frais irrépétibles pour tenir compte de l’évolution de l’office du juge administratif
L’USMA n’est pas favorable à cette proposition, qui ne paraît pas nécessaire, en l’état des textes, et qui ne trouve surtout aucunement sa place dans un ensemble de pistes de réforme visant à améliorer, dans le cadre de la loi de programmation pour la justice, les moyens et conditions de travail du juge administratif, dans la perspective d’améliorer la qualité de la justice rendue.
Les textes permettent de laisser à chaque partie les frais exposés, et l’USMA reste défavorable à la proposition consistant à mettre à la charge de la partie gagnante les frais exposés par son contradicteur, y compris dans l’hypothèse où la partie gagnante ne le serait qu’à la faveur d’une modification de l’état du droit postérieur à la décision contestée ou aux faits de l’espèce.
2.7 créer une procédure de non-admission en appel
L’USMA est opposée à cette proposition, par principe, dès lors qu’il s’agit de créer une limite supplémentaire au principe du double degré de juridiction, aux termes de décisions qui ne seraient absolument pas motivées, s’il s’agissait de reprendre le mécanisme existant en cassation.
L’USMA y est d’autant plus opposée que la mise en œuvre d’une telle procédure risquerait de fort mal s’articuler avec la montée en puissance des ordonnances prises sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative à propos des requêtes d’appel manifestement dépourvues de fondement.
[1] Cette circulaire n’exclura pas, bien évidemment, que des contentieux complexes soient confiés à certains aides à la décision aux fins de formation de futurs collègues, mais il n’y a pas dans cette hypothèse à attendre un gain de temps mais, au contraire, un investissement supplémentaire des magistrats volontaires à ce titre.