Qui est-il ? Quelle est sa fonction ? En quoi représente-t-il une garantie de qualité du procès administratif ? Pourquoi les juges administratifs, mais aussi leurs homologues judicaires, les avocats et les associations, sont-ils opposés au projet de réforme visant à réduire le champ d’intervention du rapporteur public ?
1) Une spécificité du procès administratif
1-1 En France, il existe, à coté de la juridiction judiciaire, une juridiction administrative, composée de magistrats administratifs : tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et Conseil d’Etat.
Le procès administratif oppose un particulier (un individu, une société, une association…) à l’administration (Etat, notamment le préfet, collectivités territoriales, personnes publiques telles une université, un hôpital public …).
La juridiction administrative tranche les litiges nés de l’action administrative ; le juge administratif peut ainsi annuler des décisions prises par l’administration, ou encore indemniser un particulier du préjudice subi en raison d’une faute commise par l’administration.
Ex :
Contentieux de l’urbanisme : un maire refuse de délivrer un permis de construire ; le demandeur demande au juge administratif d’annuler ce permis.
Contentieux de l’environnement : le préfet autorise l’installation d’une activité polluante ; une association de protection de l’environnement conteste cette autorisation devant le juge administratif
Contentieux de la fonction publique : toues les décisions ayant trait à la carrière des fonctionnaires (nomination, mutation, avancement, discipline) sont des décisions administratives qui peuvent être contestées devant le juge administratif
Contentieux fiscal : une société ou un particulier conteste un redressement fiscal
Contentieux e la responsabilité hospitalière
Contentieux de l’occupation du domaine public : litige né du refus du maire d’autoriser un café à installer une terrasse sur le trottoir
Contentieux du séjour des étrangers en France
…
1-2 Le rapporteur public est souvent confondu avec le ministère public que l’on trouve devant la juridiction judiciaire. Il n’ont pourtant rien à voir…
Dans un procès pénal, le procureur est une partie au litige, puisqu’il représente les intérêts de la société, déclenche l’action publique et réclame une condamnation.
Le rapporteur public ne représente aucune partie, notamment pas l’administration, et n’a pas l’initiative du procès administratif. De plus, à la différence du procureur, il est totalement indépendant, il n’est pas nommé par le gouvernement (le rapporteur public est nommé par arrêté du vice-président du Conseil d’Etat, sur proposition du chef de juridiction), il n’est pas non plus placé sous l’autorité du gouvernement et ne reçoit aucune instruction.
2) La fonction du rapporteur public
Le rapporteur public est un juge administratif qui, en vertu de l’article L. 7 du code de justice administrative, a pour fonction d’exposer oralement, à l’audience, les questions juridiques soulevées par les affaires et proposer, pour chacune de ces affaires, une solution.
Concrètement, il est attaché à une formation de jugement (un « pool » de juges qui vont être amenés à trancher des affaires). Il intervient dans toutes les instances, à l’exception de quelques procédures d’urgence (référés, contentieux des arrêtés de reconduite à la frontière) qui obéissent à des règles particulières.
Il travaille à partir d’un dossier déjà préparé par un magistrat de la formation de jugement.
Il va donc examiner en parallèle ce dossier et rédiger des « conclusions », dans lesquelles il expose les faits du litige, analyse les questions juridiques soulevées, et propose in fine une solution, solution qui peut parfaitement être différente de celle qu’envisageait le magistrat ayant initialement préparé le dossier.
Au cours de l’audience, il lit ses conclusions, publiquement, en face à face avec ses collègues et les parties au procès. Depuis une réforme entrée en vigueur au 1er octobre 2009, l’avocat peut reprendre la parole après les conclusions du rapporteur public pour présenter des observations.
Après l’audience, le rapporteur public ne participera pas au délibéré (phase finale du procès au cours de laquelle les affaires sont tranchées par la formation de jugement). En effet, le rapporteur public ayant donné publiquement son avis sur l’affaire, il pourrait être perçu par l’une des parties comme un adversaire potentiel. De plus, sa position sur l’affaire étant déjà connue, il ne peut ensuite trancher l’affaire (principe du secret du délibéré).
Le rapporteur public est donc un magistrat qui a pour double particularité d’exprimer publiquement son opinion sur toutes les affaires et de ne pas trancher lesdites affaires.
3) Intérêts de cette fonction
La fonction de rapporteur public est une fonction sui generis à laquelle tant les membres de la juridiction administrative que les avocats, et, plus généralement, les parties, sont très attachés.
3-1 Tout d’abord, du point de vue de la formation de jugement, sa présence contribue à améliorer la qualité des décisions de justice :
le fait qu’un magistrat porte un regard neuf sur un dossier, mais aussi approfondisse les questions juridiques nouvelles ou complexes que peut poser une affaire, permet évidemment de limiter la marge d’erreur, de pousser la réflexion juridique et, au final, de garantir une justice de qualité ;
la présence du rapporteur public est aussi la garantie d’une collégialité effective, dès lors qu’en participant à l’instruction du dossier avec les autres magistrats de la formation de jugement, il apporte, à la lumière de sa vision du dossier, des réflexions de nature à alimenter le débat ;
le rapporteur public expose une affaire oralement ; or, le passage à l’oralité contraint le magistrat à contextualiser son analyse juridique, la rendre intelligible pour son auditoire, et, ce faisant, de tester la solidité juridique d’un raisonnement ;
le face à face avec les parties rappelle au juge qu’au-delà de mettre en œuvre des concepts juridiques, la justice administrative règle des litiges « humains » ; conclure sous le regard des parties va indéniablement conduire le rapporteur public à proposer à la formation de jugement une solution juridique non seulement fondée en droit, mais aussi équitable et juste.
3-2 De plus, le rapporteur public a un rôle pédagogique et doctrinal.
Il convient de préciser qu’une décision du justice n’est que la partie visible d’un iceberg.
Pourquoi ? En raison du mode de rédaction des décisions de justice françaises, qui s’appuie sur la forme d’un syllogisme.
Ainsi, une décision de justice est rédigée de manière très synthétique et affirmative ; si elle est motivée, elle ne fait cependant pas état des doutes ou hésitations que l’on pouvait avoir sur l’interprétation d’un texte ou la qualification de faits, elle tranche l’affaire. Et, les juges ayant tranché l’affaire étant tenus par le secret du délibéré (article L. 8 du code de justice administrative), ils ne pourront pas expliquer ensuite quelles ont été leurs hésitations et leur analyse de l’affaire.
Les conclusions du rapporteur public vont donc consister en un commentaire analytique des questions soulevées par une affaire.
Ainsi, il va faire état des différentes pistes juridiques possibles, tenter d’interpréter un texte ou de qualifier une situation en se référant aux travaux parlementaires, aux réflexions de la doctrine ou encore à de précédentes décisions de justice, rendre visible l’hésitation, envisager plusieurs hypothèses. Il peut même préciser quels arguments juridiques auraient pu être soulevés par les parties.
3-3 Enfin, la fonction de rapporteur public donne un visage « humain » à la justice administrative qui peut parfois paraître aride.
4) Amendement Zochetto sur la dispense de conclusions du rapporteur public
Le 14 décembre 2010 a été adopté au Sénat, dans le cadre de la proposition de loi sur la simplification et l’amélioration de la qualité du droit, un amendement introduisant dans le code de justice administrative un nouvel article L.732-1, qui permettrait, dans certaines matières, de dispenser le rapporteur public de prononcer ses conclusions, le Parlement laissant le loisir au pouvoir réglementaire de définir comme bon lui semble le champ d’application de cette disposition. Cette volonté de supprimer, dans certains contentieux, le rapporteur public, n’est pas nouvelle et vise, chacun le sait, les contentieux dits « de masse » (nombreuses requêtes déposées), notamment les contentieux du droit au logement et du droit des étrangers.
4-1 Le motif « officiel » de cette réforme est le suivant : le rapporteur public doit pouvoir se concentrer sur les affaires complexes.
Ce motif est éminemment contestable, à plusieurs points de vue. D’une part, tout rapporteur public « calibre » déjà ses conclusions en fonction de la difficulté posée par une affaire. Ainsi, lorsque l’affaire est « simple », les conclusions sont courtes et ne prennent que peu de temps au rapporteur public.
Le gain de temps serait donc résiduel.
D’autre part, si l’objet réel de cette réforme était de recentrer l’effort du rapporteur public sur les affaires les plus difficiles, alors pourquoi la cantonner à certains types de contentieux ?
Il existe, dans chaque contentieux, des affaires plus ou moins difficiles, plus ou moins techniques…et les contentieux relatifs au droit au logement et au droit des étrangers ne sont pas des contentieux « simples par nature » ! Ils mettent au contraire en jeu des droits et libertés fondamentaux, dans lesquels l’appréciation des faits peut s’avérer particulièrement délicate, et requièrent la mise en œuvre de nombreux textes (nationaux et européens), textes de surcroit marqués par une grande instabilité qui demande au juge un travail de veille et d’actualisation permanent (le droit des étrangers a ainsi connu des réformes législatives en 2003, 2007, 2009…et un projet de loi est à nouveau en discussion !).
Or, un contentieux, aussi « massif » soit-il en termes de quantité de requêtes, n’a pas vocation à devenir un sous-contentieux, à être privé de la garantie que constitue le rapporteur public.
Le seul dénominateur commun des contentieux visés par la réforme n’est pas leur degré de difficulté, mais bien leur part quantitative dans les affaires enregistrées devant les juridiction.
A notre sens, le nombre élevé d’affaires ne doit pas conduire à une justice d’abattage.
4-2 Quel est le motif officieux de cette réforme ?
Supprimer le goulot d’étranglement que représente le rapporteur public dans une logique de justice productiviste.
Il est demandé à la juridiction administrative d’absorber, à effectifs constants, un nombre toujours plus élevé d’affaires. Ainsi, chacun des magistrats d’une formation de jugement est appelé à inscrire, à chaque audience, un nombre toujours plus important de dossiers, notamment s’agissant des contentieux dits « de masse »…
Cette exigence de productivisme accru rencontre toutefois un obstacle de taille : le rapporteur public.
En effet, ce dernier est appelé à conclure sur l’ensemble des affaires inscrites par chaque magistrat de la formation de jugement ; autrement dit, exiger de chaque membre de la formation de jugement d’inscrire à chaque audience 3 affaires supplémentaires, c’est aussi exiger du rapporteur public de conclure du 9 ou 12 affaires supplémentaires par audience (les formations de jugement comportent entre 3 et 4 magistrats).
Le rapporteur public se retrouve alors submergé de dossiers.
On ne peut raisonnablement lui demander d’en faire encore davantage…et, par ricochet, on ne peut encore accentuer la pression statistique sur les membres de la formation de jugement…à moins, évidemment, de dispenser le rapporteur public de conclure sur toutes les affaires…
4-3 Enfin, les modalités de mise en œuvre de la dispense sont particulièrement contestables.
La réforme prévoit ainsi que le rapporteur public décide lui-même de conclure ou non sur certaines affaires…
On comprendra aisément le risque de justice à plusieurs vitesses qu’implique une telle modalité de mise en œuvre :
certains rapporteurs publics auront tendance à se dispenser de conclure sur un maximum d’affaires…d’autres continueront à conclure sur toutes les affaires ;
d’une juridiction à une autre, la « politique suivie sera différente ;
résultat : d’une formation de jugement à l’autre, pour des affaires dans lesquelles les requérants pourront objectivement estimer être dans des situations semblables … leurs garanties ne seront plus les mêmes !!!