L’objectif de ces entretiens était, notamment, de faire le point sur les besoins des juridictions administratives au moment où les premiers arbitrages budgétaires pour l’année 2011 vont être rendus et où les tendances pour la période 2012-2015 vont se dessiner. Outre l’accroissement tendanciel du contentieux, nous y avons évoqué les conséquences, insurmontables en l’état, du projet de loi immigration.
Perspectives budgétaires et besoins à venir de la juridiction administrative
1. Quelques chiffres suffisent à caractériser la croissance exponentielle de la charge de travail supportée par les juridictions administratives.
Il suffit, pour s’en convaincre de se référer aux statistiques dont de la décennie 2000-2009. Ainsi, en 2000 le délai prévisible moyen de jugement en TA était de 2 ans et atteignait, en CAA, 3 années. Pendant 10 ans on a vu les entrées augmenter de façon sensible : + 47 % en TA sur la période et + 75 % en CAA.
Malgré cela les sorties, sur la période 2000-2009, ont explosé de façon spectaculaire de 67 % en TA et 147 % en CAA.
Le délai prévisible moyen de jugement a été ramené à 11 mois et quelques jours en TA et 1 an (et 8 jours) en CAA en 2009. Et l’effort des magistrats administratifs se poursuit puisqu’en 2009, le taux de couverture des entrées par les sorties est de 108 % en TA et 100% en CAA.
Ces évolutions, même corrigées de la hausse des effectifs, traduisent l’effort considérable consenti par les magistrats et les greffes en termes de charge de travail. Et encore ne disent-elles rien du renforcement particulièrement net de la difficulté moyenne des dossiers traités par les collègues.
Nous sommes cependant arrivés à un stade ou toute augmentation devient insurmontable et se traduit mécaniquement par une baisse sensible de la qualité du travail juridictionnel
2. En 2009 l’augmentation continuelle de la charge de travail a été dénoncée avec vigueur par les membres du corps :
elle était, directement et indirectement, au cœur du mouvement de grève du 4 juin ;
le processus d’élaboration des projets de juridiction, qui a eu lieu après que les conférences de gestion aient assigné aux juridictions leurs objectifs quantitatifs, a montré que la tendance risquait d’être renforcée et a suscité de vives réactions du corps.
D’où l’intérêt qui s’attache au renforcement des effectifs des juridictions.
En effet on peut prévoir sans grand risque de se tromper que les entrées vont « rebondir » ces prochaines années, phénomène qu’il vaut mieux anticiper.
3. Plusieurs facteurs y contribueront, parmi lesquels on peut citer, sans prétendre à l’exhaustivité :
la mise en œuvre de nouvelles procédures, comme les calendriers de l’instruction et le traitement des QPC ;
la montée en puissance du DALO, notamment dans les grandes métropoles, et le démarrage du RSA dont l’évolution du contentieux, compte tenu du nombre de bénéficiaires, devra être surveillée attentivement ;
la poursuite de la hausse tendancielle du contentieux, en dépit de la « pause » observée en 2009 ;
A eux seuls, ces différents éléments justifient non seulement la poursuite du programme de créations d’emplois prévu pour la période 2009-2011 mais encore son accentuation.
4. Les effets prévisibles de la future loi immigration en termes de charge et d’organisation du travail
En l’état, les juridictions administratives ne sont pas en mesure de faire face à l’évolution qui se profile.
Tout d’abord, de nouvelles décisions vont devoir être jugées, en particulier l’interdiction de retour sur le territoire français, et l’absence de délai de départ volontaire. Ces nouvelles décisions et l’argumentaire qui accompagnera leur contestation constitueront, en, soi, une nouvelle source d’accroissement de la charge de travail.
Mais ce projet ne se contente pas de transposer. Il envisage de donner au juge administratif une place quasi monopolistique, au cœur de la procédure d’éloignement.
En effet, si le projet de loi va à son terme, nous allons être appelés à juger, en 48 h, lorsqu’un étranger faisant l’objet d’une OQTF aura été interpellé et placé en rétention :
l’arrêté de rétention,
l’OQTF,
le refus d’octroi d’un délai de départ volontaire,
le pays de destination
et l’interdiction de retour !
Un contentieux de l’urgence renforcée auquel les juridictions administratives, au moins dans les grandes métropoles, n’auront absolument pas les moyens de répondre de manière satisfaisante !
D’autre part, le JLD n’interviendra plus, s’il y a lieu, qu’au-delà de 5 jours.
L’inversion prévue de l’ordre d’intervention des juges va, assurément, entraîner une hausse sans précédent de la contestation des arrêtés de rétention devant nous. Il est en effet plus que probable que les justiciables vont vite comprendre l’intérêt qui s’attachera, désormais, à contester systématiquement cette décision. Rappelons que dans le système actuel nous ne sommes saisis que d’environ 10 000 de ces arrêtés, sur les près de 60 000 à 80 000 qui sont pris chaque année.
Cette évolution se doublera nécessairement d’une intensification de l’argumentation qui nous sera soumise, ce qui accroitra d’autant la charge de travail.
Enfin rien ne permet, pour le moment, d’écarter l’hypothèse de la saisine du juge administratif dans le cadre d’un référé-liberté afin de statuer sur la légalité des conditions d’interpellation.
Sauf à considérer que le référé-liberté n’est pas ouvert … à un étranger privé de liberté dont l’éloignement peut être imminent !
Cette éventualité deviendra en effet particulièrement prégnante lorsqu’il s’avèrera possible d’exécuter la mesure d’éloignement sitôt (le cas échéant) la décision du TA rendue, sans passer par la prolongation de la rétention par le JLD.
C’est donc une programmation comparable à celle que les juridictions administratives avaient connue au début des années 90 avec l’instauration du juge de la reconduite à la frontière que les pouvoirs publics doivent envisager.
Or on relève, à ce stade, l’absence totale d’étude d’impact du projet de loi immigration en termes d’emplois pour la juridiction administrative.
L’USMA, sur ce thème, va poursuivre et intensifier ses actions de sensibilisation et de mobilisation des acteurs institutionnels.