Projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif: l’avis défavorable de l’USMA

L’USMA présente les observations suivantes sur les dispositions impactant les juridictions administratives.

1) sur les modifications statutaires des juges de la CNDA

– Le II de l’article 6 apporte des ajustements aux dispositions statutaires du CJA applicables aux magistrats affectés à la CNDA.

Le 1° aligne les modalités d’accueil des magistrats de l’ordre judiciaire sur les fonctions de président à la CNDA par la voie du détachement sur les dispositions applicables aux présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Le 2° prévoit, en conformité avec la garantie d’inamovibilité des magistrats, de supprimer la limitation actuelle à trois ans du mandat des présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel affectés à la CNDA.

Ces modifications n’appellent aucune remarque.

2) Sur l’examen du caractère suspensif du recours devant la CNDA

Le législateur prévoit que dans certaines procédures accélérées (pays sûrs, réexamen rejeté, menace grave pour l’ordre public) le recours CNDA n’aura plus de caractère suspensif. Cette procédure existait déjà à l’époque de l’admission au séjour au titre de l’asile (APS asile) avant la réforme de 2015 sur l’asile.

Ce qui change c’est l’intervention du juge administratif en juge statuant seul lorsque l’étranger est frappé d’un OQTF et qu’une procédure sur le L. 512-1 est enclenchée (juge statuant seul 72h).

Le juge statuant seul 72h pourra suspendre l’exécution de l’OQTF jusqu’à l’expiration du délai de recours CNDA (15 jours) ou, si celle-ci est saisie jusqu’à la date de lecture de la décision CNDA.

Cela implique que le juge statuant seul statue en premier lieu sur la légalité de l’OQTF, mais saisi de conclusions de l’étranger en ce sens, il pourra suspendre son exécution d’office.

Le juge statuant seul en 72h pourra également être saisi pour suspendre l’OQTF lorsque dans les mêmes procédures accélérées, l’étranger assigné ou retenu, est frappé d’une OQTF notifiée avant la décision de rejet de l’OFPRA et qui ne peut plus faire l’objet d’un recours. Cette saisine du JU72h suspend l’exécution de l’OQTF.

L’étranger doit saisir le JU72h dans les 48h suivant la notification de la rétention ou de l’assignation.

Si la suspension est accordée il est mis fin à la mesure de rétention ou d’assignation (sauf menace grave à l’ordre public L. 723-2 III 5°)

Cette nouvelle procédure relativement complexe rajoute donc une nouvelle saisine du juge statuant seul en 72h et un nouveau contrôle.

La difficulté est principalement liée à la condition pour accorder la suspension : l’étranger doit présenter des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la Cour.

Outre que la condition « éléments sérieux » est très vague, cela implique que le juge statuant seul en 72h préjuge dans l’urgence quasiment du fond de la décision de rejet du directeur de l’OFPRA.

Jusqu’à présent, le juge administratif n’a la compétence nécessaire ni pour apprécier les pièces (qualité, authenticité) ni les craintes exprimée (conflits intra-étatiques, géopolitique…) justifiant une protection au titre de l’asile. Les juge statuant seuls n’ont ni la formation, ni la documentation que peut avoir la CNDA.

Il s’agit dès lors de créer une nouvelle charge pour le juge administratif à effectifs constants et alors même que le projet de loi n’en a pas déterminé l’impact sur les juridictions administratives.

2°) sur la video-audiences

L’USMA a toujours été réservée sur la mise en place de vidéo-audience au regard de la qualité de la justice rendue. Nous sommes notamment attachés au respect des droits de la défense, compte tenu du lien d’audition du requérant et des contacts établis avec l’avocat et l’interprète, mais également la communication des pièces nouvelles au magistrat.

Par ailleurs, une expérimentation des vidéo audiences a été proposée au TA de Melun et dans l’attente des retours de cette expérience, l’USMA se montre opposée à toute nouvelle extension de ce dispositif.

3) Le délai pour statuer est porté à 96h suivant l’allongement donné au JLD.

Ce délai ne tient pas compte de la spécificité de la double intervention du JLD et du juge administratif. Il ne permet pas de résoudre les difficultés liées à cette double intervention et crée un nouveau délai parmi les 4 délais existants déjà.

4°) Des nouvelles décisions et de nouveaux contrôles crées

– Un nouvel alinéa à l’article L. 513-4, crée une nouvelle assignation à résidence pour l’étranger frappé d’une OQTF avec délai de départ. L’assignation est prévue durant la durée de départ volontaire. Cette assignation pouvant être contestée devant le JA ajoute une nouvelle procédure. La question qui se pose est la nature du contentieux. Le dernier alinéa du L. 512-1 prévoit que l’assignation ou la rétention fait basculer la compétence juge statuant seul 6 semaines en juge statuant seul en 72H (III du L. 512-I alors applicable).

Qu’en est-il lorsque à une OQTF avec délai est ajoutée cette nouvelle assignation ?

– L’article L. 531-1 du CESEDA  instaure une interdiction de circulation en France pour les remises Schengen à l’instar des interdictions de circulation en France pour les OQTF spéciales ressortissants communautaires L. 511-3-1. Les conditions sont les mêmes que l’IRTF.

Il s’agit d’une nouvelle décision que le JA aura à connaître.

– l’article L. 571-4. créée une nouvelle procédure d’assignation ou rétention lorsque l’étranger demandeur d’asile est frappé d’une expulsion ou IjTF et qui va relever du JA.

IV- Appréciation globale du projet de loi : l’absence de toute simplification des mesures d’éloignement et de leurs procédures contentieuses

On ne peut que regretter cette l’absence de toute simplification des mesures d’éloignement et de leurs procédures contentieuses.  

On constate que dans de nombreuses préfectures la loi du 7 mars 2016 n’est toujours pas assimilée et surtout toujours pas comprise. Les décisions des préfets mélangent encore les délais de recours et les fondements du L. 511-1. Les préfets mélangent également les différentes assignations pour lesquels d’ailleurs existent de nombreuses zones d’ombre quant à la procédure contentieuse.

L’objectif de la loi du 7 mars 2016, à savoir réduire tant les délais de recours (48h, 15j) que les délais de jugement (72h, 15j, 6 semaines), n’a démontré aucun effet positif sur l’effectivité de l’éloignement contraint des ESI. Il n’a fait que renforcer la complexité du dispositif juridique et contentieux et d’alourdir la charge de travail des préfectures et des JA.

La multiplicité des mesures

Il existe actuellement pas moins de 9 catégories d’éloignement dans le CESEDA (sans compter  les sous catégories des OQTF (RTS/OQTF, OQTF sans délai, OQTF avec délai…) qui ont des procédures différentes) :

  • OQTF 511-1
  • OQTF communautaires L. 511-3-1
  • Remises accords L. 531-1
  • Remises Schengen L. 531-2
  • OQTF Schengen non UE (L. 511-2 et L. 511-3)
  • transfert Dublin L. 742-3
  • Reconduite d’office Schengen L. 531-3
  • Expulsion
  • IJTF

On ne peut que regretter que pas moins de 6 régimes d’assignation soient créés et dispersés dans le CESEDA !

Assignation JLD L. 552-4

Assignation de longue durée L. 561-1 (étranger justifiant de son impossibilité…)

Assignation  de courte durée L. 561-2 (étranger ne pouvant quitter immédiatement…)

Assignation du demandeur d’asile L. 742-2

Assignation nouvelle L. 513-4 (créée pour l’étranger frappé d’une OQTF avec délai de départ)

Assignation nouvelle Art. L. 571-4. (lorsque l’étranger demandeur d’asile est frappé d’une expulsion ou IjTF)

Il serait souhaitable que l’ensemble des assignations soit regroupé dans un seul titre du code permettant d’avoir une vision d’ensemble des cas permettant l’assignation d’un étranger, une procédure contentieuse et administrative commune ainsi qu’une partie commune sur les droits et obligation de l’assigné.

Et il serait surtout souhaitable que les procédures d’éloignement soient enfin simplifiées afin de les rendre plus compréhensibles pour tous et, sans doute, plus efficaces pour l’éloignement des étrangers en situation irrégulière.

En somme, le projet de loi qui nous est soumis, loin de simplifier notre office, y ajoute de nouvelles décisions à juger et de nouveaux délais.

C’est pour ces raisons que les représentants de l’USMA font dès lors part de leur avis défavorable sur ce projet de loi.