Sur la collégialité et l’inexpérience d’un juge unique :
RAPPORT DE L’INSPECTION DES SERVICES JUDICIAIRES : « condition du traitement judiciaire de l’affaire Outreau »
page 132 « 5.3.2 Favoriser le travail en équipe L’inexpérience professionnelle de M. Burgaud et la solitude inhérente aux fonctions de juge d’instruction figurent parmi les critiques les plus fortes qui ont été formulées. Pour sa part, la mission a relevé le manque de méthode de ce magistrat lors de l’instruction de l’affaire d’Outreau. Elle a également souligné la faible ancienneté de ses deux collègues de l’instruction à l’époque où cette procédure était en cours. Il lui apparaît dès lors nécessaire que s’engage une réflexion pour favoriser le travail en équipe des juges d’instruction. Une telle réforme aurait l’avantage de permettre des regards croisés sur les orientations d’enquête et sur les éléments à charge et à décharge. Elle complèterait également, par des contacts avec des collègues plus expérimentés, la formation des magistrats récemment affectés dans les fonctions de juge d’instruction. »
page 142 « Les appréciations critiques portées sur la conduite de l’information par M. Burgaud doivent être relativisées pour plusieurs raisons. D’abord, il convient de rappeler que celui-ci, issu de l’ENM, avait à peine six mois d’ancienneté dans la magistrature lorsque, par le hasard de la permanence, lui a été confiée cette procèdure qui venait alourdir un cabinet déjà en charge d’affaires complexes, en tout cas nécessitant un fort investissement de la part du jeune magistrat qui ne s’est pas démenti jusqu’à son départ. Quelle qu’ait été la qualité de laformation qui lui a été donnée, il est permis de penser qu’il n’était pas totalement préparé à affronter une affaire unanimement qualifiée de « hors normes ».
*
Rapport de la COMMISSION D’ENQUETE DE L’ASSEMBLEE NATIONALE sur les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau .
Page 353 « Si la commission d’enquête s’est accordée à reconnaître la nécessité de mettre l’accent sur l’exercice collégial des fonctions de magistrat, cette structure lui est apparue particulièrement s’imposer pour les magistrats instructeurs. Deux facteurs essentiellement l’en ont convaincue : la jeunesse des magistrats à l’issue de leur scolarité et le caractère souvent très individualiste de leursméthodes de travail, dénoncé souvent même sans complaisance par ces derniers ».
Page 356 « On pourrait également concevoir de ne confier les fonctions de magistrat-instructeur qu’à l’issue non d’une période probatoire mais d’un certain temps passé en juridiction. Ainsi au Conseil d’État les fonctions de commissaire du gouvernement ne sont assumées que par des maîtres des requêtes en fonctions depuis huit ans dans la juridiction et ne sont pas dévolues à des auditeurs sortant de l’ENA »
Commentaire : Le commissaire n’est jamais celui qui signe le jugement : ni au CE, ni en TA ni en CAA. S’il faut huit ans pour devenir commissaire au CE, combien en faudrait-il pour les commissaires dans les juridictions du fond et combien en faudrait-il pour les juges uniques, responsables des jugements ?
page 361 « Plusieurs avantages peuvent être prêtés à cette collégialité : la possibilité d’avoir des regards croisés sur les orientations des enquêtes et d’instituer des débats sur l’opportunité des mesures privatives de liberté ; la consécration de l’autorité des équipes à l’égard des services d’enquête et une plus grande facilité à réorienter les investigations ; la dépersonnalisation des dossiers et un accès plus commode au dossier pour la défense en raison de la création de secrétariats communs. En dehors de ces intérêts multiples pour la procédure, on pourrait attendre d’une telle réforme, en termes d’administration de la justice, plus de continuité dans la prise en charge des procédures, une gestion plus rationnelle des formations, une synergie des compétences et la possibilité de dégager plus facilement des solutions en cas de divergences au sein du collège que dans le cas de la seule cosaisine. »
Sur la formation, les recrutements et la carrière des magistrats
Rapport de la COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE
Développer les formations avec des avocats (page 444) :
« Pour concrétiser cette proposition, votre commission a souscrit à une suggestion du bâtonnier Iweins. Celui-ci a rappelé à la commission qu’« actuellement, il y a deux mois de stage dans un cabinet d’avocat, ce qui ne permet pas de donner grand-chose à faire d’intéressant aux stagiaires. Si l’on veut que les magistrats sachent ce qu’est la vie d’un avocat – car ils n’en ont souvent aucune idée -, qu’ils comprennent la difficulté qu’il y a à constituer un dossier, à recevoir des clients qui vous racontent parfois des histoires, il faudrait porter ce stage à six mois, voire à un an ».. La commission propose de porter la durée de ce stage de deux mois à un an avec un exercice plein et entier des fonctions d’avocat tout en demeurant rémunéré par l’ENM ; il serait au surplus intégré dans le « tronc commun » de la formation dispensée à l’ENM et perdrait son caractère « complémentaire ».
Développer le recrutement sur titres après avis de la commission d’avancement : aujourd’hui fixé au 5è des promotions d’auditeurs, la commission propose de faire passer cette proportion au 1/3.(page 454)
Imposer une mobilité : « Le directeur de l’ENM, Michel Dobkine, a plaidé à titre personnel pour une mobilité statutaire obligatoire pour les magistrats : « qui conduirait les magistrats à quitter, deux fois trois ans , le corps judiciaire pour exercer leurs talents ailleurs et s’enrichir au contact d’autres réalités sociales, économiques, associatives, administratives. Ce serait une réforme aux conséquences considérables. Comme d’autres, les magistrats passeraient un certain temps qui dans un conseil général, qui dans un Samu, qui dans l’enseignement, qui à l’APHP… »1 On ne peut que se ranger à cette idée, qui nécessite de modifier les règles du détachement issues de l’article 76-2 du statut. Le détachement pourrait avoir lieu après six ans d’exercice de la profession de magistrat et être d’une durée de deux ans. (page 455)
Déontologie et discipline : (pages 524 et 525 : les conclusions de la COMMISSION D’ENQUETE)
68. Introduire un code de déontologie dans le statut des magistrats qui ferait référence notamment aux principes directeurs de la procédure civile et pénale, et dont la méconnaissance manifeste serait susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire.
69. Améliorer l’évaluation des magistrats pour en faire un moyen d’apprécier leurs qualités professionnelles et un outil de vérification de leurs aptitudes.
70. Développer une culture de contrôle interne en incitant les premiers présidents et les procureurs généraux à exercer leurs responsabilités hiérarchiques et leur pouvoir d’évaluation.
71. Développer les contrôles externes en permettant à tout justiciable contestant le fonctionnement du service de la justice de déposer des requêtes auprès des délégués du Médiateur de la République, ce dernier saisissant, le cas échéant, le Conseil supérieur de la magistrature, instance disciplinaire. Commentaire : la commission trouve anormal que « Pour 1000 juges, le taux de sanction applicable en France est le plus bas avec celui de l’Angleterre et du Pays de Galles ». Elle en conclut implicitement que ces chiffres révèlent « l’absence d’une réelle politique disciplinaire ». Page 491.
72. Permettre aux juridictions ayant condamné définitivement l’État pour dysfonctionnement de la justice de saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
73. Faire sanctionner par le CSM la méconnaissance des principes directeurs de la procédure civile et pénale.
Commentaire : N’est on pas déjà dans la sanction de l’acte de juger ?
74. Rénover le CSM en établissant une composition paritaire entre magistrats et non magistrats et en procédant à l’élection directe des représentants des magistrats. Confier la vice-présidence du CSM alternativement à un membre du collège magistrats et à un membre du collège non magistrats.
Commentaire : s’il existe toujours une formation pour le siège et une formation pour le parquet, les magistrats deviendront minoritaires. Qui seront les non magistrats ?
Doter la justice de moyens dignes de sa mission : (page 509 et suivants)
LA COMMISSION D’ENQUETE DE L’ASSEMBLEE NATIONALE préconise, en s’appuyant sur une étude du Conseil de l’Europe, de faire passer le budget de la justice par habitant de 28,35 euros à 40 euros et de hisser la part de la justice à 3 % du budget de l’Etat. Commentaire : Ces chiffres englobent-ils la justice administrative ? Compte tenu de notre nouveau rattachement budgétaire, la réponse est vraisemblablement négative.