L’interview de Sophie Tissot pour Fildp


Quel bilan pouvez-vous dresser de votre action au cours du mandat qui s’achève ?

Sophie Tissot • Pour moi, le bilan est positif, et même très positif, puisque la revendication première de l’USMA, celle qui a justifié sa création en 1986 et qui constitue la toile de fond de toutes nos actions, a abouti. En effet, la reconnaissance du statut et de la qualité de magistrat ont été consacrés au niveau législatif par l’ordonnance du 13 octobre 2016 et la loi du 20 avril 2016. Ces deux textes ont procédé à un toilettage formel du code de justice administratif et, désormais, la terminologie de conseiller de TA-CAA a cédé la place à celle de magistrat de TA-CAA. Nous sommes, enfin, de par la loi, des « magistrats ».

Cette reconnaissance s’est accompagnée également d’une extension des compétences de notre conseil supérieur. Désormais, le CSTACAA est non seulement compétent pour établir  les listes d’aptitude et les tableaux d’avancement, mais également pour exercer le pouvoir disciplinaire envers les magistrats administratifs.

Et puis, alors que cela faisait de longues années que nous portions des revendications sur les conditions de travail, des avancées sont intervenues en la matière. Il a été, notamment, prévu de reconnaître cinq jours de droit individuel à la formation aux magistrats administratifs, à l’instar du droit reconnu aux magistrats judiciaires. Sur la charge de travail que l’on dénonce comme étant devenue insoutenable et intenable, nous avons, là aussi, commencé à être enfin entendus puisque le Conseil d’Etat a accepté, en 2017, de diligenter un diagnostic pour faire, d’abord, un état des lieux et pour se doter, ensuite, d’outils de mesure de la charge individuelle de travail des magistrats.

Ce bilan est donc encourageant. Mais il reste aussi du chemin à parcourir. Notre qualité de magistrat doit encore être constitutionnalisée et la défense des conditions de travail poursuivie. Et pour cela, le travail des représentants de l’USMA, au niveau national et en juridictions, doit continuer à être soutenu.

Quel regard portez-vous sur l’état du dialogue social aujourd’hui au sein des juridictions administratives ?

Sophie Tissot • Comme vous le savez, 2016 a été marquée par un progrès important puisque le Conseil d’Etat a pris conscience de la nécessité d’instaurer un véritable dialogue social. Il s’en est donné les moyens puisqu’il a organisé de manière régulière, tous les trimestres en 2016, des réunions tripartites. Les quelques évolutions positives, dont je viens de vous parler, résultent, pour beaucoup d’entre elles, de ce dialogue social avec le gestionnaire.  

Pour autant, cela reste encore un dialogue social en construction qui doit non seulement se renforcer au sein des instances représentatives, mais qui doit aussi être déconcentré. Nous souhaitons, notamment, que les instances représentatives se prononcent sur des critères objectifs quant au déroulement de carrière et en matière de charge de travail. Nous pensons également qu’il conviendrait de faire vivre le dialogue social au niveau local avec plus de concertation dans les juridictions elles-mêmes et une plus grande communication avec les magistrats.

Quelles sont vos dossiers prioritaires et les positions que vous entendez défendre dans le cadre des années à venir ?

Sophie Tissot • Nous avons encore plusieurs dossiers prioritaires qui convergent vers la revendication de moyens matériels et humains pour répondre aux défis de la justice du XXIe siècle.

L’USMA se doit d’accompagner les magistrats administratifs dans leur métier, au quotidien, c’est-à-dire faire prendre pleinement conscience au gestionnaire et aux chefs de juridiction de leurs conditions de travail. Actuellement, les tensions croissent parce que la charge de travail devient difficilement supportable pour un grand nombre de magistrats, voire intenable pour certains d’entre eux, et ce, dans des proportions qui deviennent inquiétantes.

D’importantes revendications devront aussi être entendues et, notamment, la nécessité de tenir compte de l’évolution de notre profession, de nos carrières qui seront de plus en plus longues et que l’on doit faire évoluer pour combattre le manque de plus en plus flagrant d’attractivité du métier de magistrat. Enfin, de nouveaux contentieux ont été confiés à la juridiction administrative, notamment avec le contentieux de l’état d’urgence, ce qui suppose que l’on renforce la sûreté et la sécurité des juridictions administratives pour une réelle protection des magistrats.

Il nous faudra mener de front tous ces combats et nos conditions de travail sont au cœur de toutes ces batailles parce qu’elles sont le préalable indispensable à la qualité de la justice que nous rendons.

Comment définiriez-vous votre conception de l’action syndicale ?

Sophie Tissot • L’action syndicale de l’USMA porte, depuis sa création, sur des valeurs et des revendications pour lesquelles la fonction de juger, la place du juge administratif dans la cité, son office et son rôle dans la garantie de l’Etat de droit demeurent essentiels. Dans ce cadre, l’USMA se veut et se doit de défendre les droits et les intérêts professionnels des magistrats afin de garantir le bon exercice de notre métier, c’est-à-dire obtenir des conditions optimales, en tout cas suffisantes.

De manière plus pragmatique, on agit pour garantir l’indépendance, l’impartialité et la dignité de la magistrature. Notre action vise aussi à préserver une qualité réelle de la justice administrative et à conserver l’essence même de cette justice dans ses principes comme dans ses moyens d’action.

Cette action implique deux choses. Il faut, d’une part, avoir des représentants au plus près des préoccupations quotidiennes des magistrats, et c’est chose faite depuis fin 2016 puisque nous avons construit un réseau quasi complet de délégués en juridiction. L’USMA porte les attentes de magistrats, c’est le socle de son action. Sans leurs retours, nous ne saurions agir.

Il faut ensuite des représentants qui peuvent jouer un rôle essentiel comme partenaire social, à la fois reconnu de la part du gestionnaire, mais également soucieux d’entretenir un dialogue exigeant et constructif avec lui.

Qu’est-ce qui vous distingue du syndicat concurrent ?

Sophie Tissot• Je ne suis pas là pour parler d’une autre organisation syndicale que la mienne, je peux juste vous dire ce qui fait notre singularité !

L’USMA se différencie notamment par une volonté farouche et un souci de demeurer fidèle à des valeurs qu’elle a toujours défendues et qui n’ont pas changé depuis sa création en 1986, notamment celle d’agir pour les magistrats.

Je vous rappelle aussi que l’USMA a, la première, revendiqué la reconnaissance du statut et de la qualité de magistrat, ainsi que le bénéfice de la prestation de serment et du port de la robe. Ces revendications fondent son identité.

Enfin, n’ayant jamais hésitée à être précurseur, l’USMA est volontaire et déterminée. Par exemple, nous n’avons pas hésité à dénoncer, à une époque où le sujet n’était pas évoqué, la charge de travail qui devenait problématique en juridiction et les conditions de travail qui mettaient en péril la santé des magistrats ainsi que la qualité des décisions rendues.

Et enfin, l’USMA, c’est aussi le syndicat qui, sans diluer son identité, sait reconnaître la nécessité d’appeler à des actions intersyndicales communes parce que, pour nous, l’union fait la force et qu’aucun dogmatisme ne dicte nos choix.

Qu’est-ce qui devrait pousser un magistrat à voter pour vous en juin prochain ?

Sophie Tissot• Il y a deux raisons qui m’apparaissent évidentes. Tout d’abord, parce qu’il partage  notre conception du métier de magistrat et de sa place dans la société. Ensuite, parce qu’il reconnaît que nous nous engageons sans relâche, sur le terrain, pour défendre des conditions de travail indispensables à une justice de qualité et dans l’intérêt de tous les magistrats administratifs.