L’USMA S’OPPOSE A L’ARTICLE 40 DE LA PROPOSITION DE LOI n° 1890 DE SIMPLIFICATION ET D’AMELIORATION DU DROIT

Cet article a pour objet de permettre aux collectivités territoriales de consulter, pour avis, les tribunaux administratifs sur des questions de droit relevant de leur compétence

L’USMA rappelle qu’il est anachronique que les fonctions consultatives fassent encore partie des missions dévolues aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel : les juridictions ne sauraient être les conseils de l’exécutif , qu’il soit déconcentré ou territorial.

Le maintien, et a fortiori l’extension, de cette « dualité fonctionnelle », héritage du 19ème siècle et de la fonction consultative, auprès du gouvernement, du Conseil d’Etat, n’est en rien souhaitable. Instaurer ce nouveau mécanisme auprès des collectivités territoriales aura pour effet de mettre en danger l’indépendance et l’impartialité des juridictions administratives alors même que la priorité doit être de les renforcer, notamment par une évolution du statut de leurs membres.

Nous affirmons, en dépit de stupéfiantes dénégations (voir annexe point 2) que, très souvent, dans le système actuel, lorsque des avis sont rendus aux préfets, ils entraînent des difficultés pour les formations de jugement appelées à statuer sur les contentieux nés de l’application desdits avis. C’est pourquoi nous demandons depuis plusieurs années la suppression des missions consultatives des juridictions.

Par ailleurs la charge de travail consistant, à terme et même avec le « filtre » de la co-saisine par le préfet, à rendre des avis à l’ensemble des collectivités locales ne saurait être supportée par les juridictions, qui luttent actuellement pour maintenir des délais de jugement raisonnables.

L’USMA dénonce, une fois de plus, le transfert de charges opéré du ministère de l’intérieur vers les TA CAA : si le contrôle de légalité et le conseil aux collectivités ne sont quasiment plus effectués par les préfectures, il n’appartient pas aux TA CAA de se substituer à ces dernières.

Cette dévolution est contraire aux principes de valeur constitutionnelle d’indépendance et d’impartialité de la justice.

Elle est, d’autre part, incompatible avec les exigences européennes, notamment au regard de la notion de libre concurrence entre prestataires de service en droit communautaire.

Or cette dévolution se fait au détriment des prestataires de services naturellement à la disposition des collectivités locales, au premier rang desquels se trouve la profession d’avocat.

Cet article a, contre toute attente, été adopté en première lecture à l’assemblée nationale.

L’USMA ne ménagera pas ses efforts, désormais, pour faire retirer cette disposition Vous trouverez ci-dessous :

 les débats ( !) en séance plénière à l’Assemblée nationale ;

 une analyse de l’euro-compatibilité de cette disposition.

1. Discussion en séance plénière à l’Assemblée nationale

Article 40 (…) M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. L’article 40 initie une procédure originale qui ne manque pas de susciter des interrogations parmi les magistrats des tribunaux administratifs. En effet, si on en vient à proposer une telle disposition, c’est que le contrôle de légalité n’est plus ce qu’il était. On en vient aujourd’hui à proposer de solliciter le juge administratif pour essayer de sécuriser les décisions des collectivités locales. Je rappelle que celles-ci sont au nombre de 36 000, sans parler des EPCI, et qu’une telle disposition conduirait à un surcroît de travail manifestement impossible à assumer.

J’ajoute que les préfets ont déjà la possibilité de demander des avis aux tribunaux administratifs. Ils utilisent très peu souvent cette possibilité, et les trois quarts des avis rendus créent des problèmes inextricables au contentieux. La formation de jugement doit faire des contorsions pour arriver à se caler sur l’avis qui a été sollicité dans une situation complexe et qui a parfois été rendu par des magistrats du même tribunal.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. C’est totalement inexact !

M. Jean-Michel Clément. Il sera impossible d’appliquer cet article, d’une part, en raison du manque de moyens au niveau des magistrats de l’ordre administratif et, d’autre part, parce que cela créerait une dualité dans les juridictions entre le juge qui rendra l’avis et celui qui statuera au contentieux. Ce qui paraissait comme une bonne idée est inapplicable.

2. Un dispositif juridiquement inadapté, notamment au regard du droit de la concurrence

Certes les activités de conseil de l’Etat sont considérées, à ce jour, comme des prestations hors du champ des activités concurrentielles (CE, 29 avril 1970, Soc. Unipain, n°77935 ; CJCE, 18 novembre 1999, Teckal SRL c/ commune de Viano, n°C-107/98).

Le Conseil d’Etat a ainsi récemment réaffirmé l’exclusion des activités de conseil de l’Etat du champ des activités concurrentielles : CE Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, n°275531, sur la création de la « mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat ».

Selon le CE la création de cet organisme « se borne à mettre en oeuvre la mission d’intérêt général, qui relève de l’Etat, de veiller au respect, par les personnes publiques et les personnes privées chargées d’une mission de service public, du principe de légalité ». En conséquence, « aucune des attributions confiées à [cet organisme] n’emporte intervention sur un marché ». Elles ne constituent dès lors pas « des prestations de service au sens du droit communautaire ».

Pour autant cette ligne jurisprudentielle n’est pas applicable au cas d’espèce.

En effet l’arrêt précité semble essentiellement se fonder sur le fait que l’activité ne poursuit pas de but lucratif.

Or il a été par la CJCE que lorsque les éléments de solidarité sont limités et le régime facultatif (contrairement à l’espèce précitée), l’organisme, même à but non lucratif, exerce une activité économique : CJCE, 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurance et autres, C-244/94.

L’absence de but lucratif d’un intervenant n’est donc pas un obstacle à l’exercice d’une activité économique au sens communautaire du terme.

D’autre part, concernant les activités de conseil aux collectivités territoriales il existe bien un marché.

En effet il ne saurait être soutenu que le système économique dans lequel interviennent et se font concurrence toutes les professions et tous les acteurs à même de fournir des conseils juridiques aux collectivités territoriales … ne constituerait pas un marché !

Les collectivités choisissent d’ailleurs déjà, sur ce marché, les prestataires qui leur conviennent.

A cet égard, l’artifice de la co-saisine du préfet est inopérant.

Le dernier alinéa de l’article 40 dispose en effet : « La question (…) fait l’objet d’une délibération motivée de l’organe délibérant de la collectivité (…). Elle est ensuite transmise au représentant de l’Etat (…). L’organe exécutif de la collectivité et le représentant de l’Etat saisissent conjointement le tribunal administratif ».

Le préfet serait donc, tout autant que la collectivité, le demandeur de la prestation de service.

Cette manipulation est artificielle : le destinataire final de la prestation demeure bien la collectivité.

Le dispositif de l’article 40 est donc contraire au droit de la concurrence.