Très chers collègues,
L’année qui commence est pleine de défis : de la disparition programmée d’une norme, dont nous ne savons pas très bien s’il faut la regretter, à la modification profonde de nos méthodes et conditions de travail, les raisons de nous inquiéter, d’imaginer ou de nous montrer combatifs sont nombreuses.
Le vœu d’un ancien vice-président du Conseil d’Etat : « jugez vite, nous jugerons bien », est presque réalisé. Écrasés sous les délais de jugement contraints et autres priorisations contradictoires, les obligations de quitter le territoire français en octobre, les dossiers anciens en décembre, les dossiers d’urbanisme toujours, nous avançons, tels des Sisyphe du droit, dans le déroulé d’une carrière qui, pour des raisons démographiques, ne déroulera pas très loin pour nombre d’entre nous.
Et notre grande maison historique, que nous nommons gestionnaire lorsqu’il s’agit de nos conditions de travail, ou Conseil d’État lorsqu’il est notre juge d’appel ou de cassation, nous apparaît, dans l’un et dans l’autre cas, de plus en plus lointain et peu conscient des défis que nous relevons pour préserver l’efficacité et la qualité de la justice administrative.
C’est ce que les résultats de l’enquête climat social ont mis en évidence : notre culture commune avec le Conseil d’État s’étiole, notre compréhension mutuelle s’abîme et notre objectif commun se trouble, quand la quantité de jugements et arrêts produits devient la seule manifestation de nos talents qui vaille à ses yeux.
Alors la nouvelle équipe de l’USMA, que nous vous avons présentée fin juin, vous propose d’agir dans trois directions :
– – accroître la place des magistrats des TA et CAA dans le cœur et l’esprit du Conseil d’Etat ;
– – lutter chaque jour à vos côtés en privilégiant une dynamique collective ;
– – promouvoir la place du juge administratif et de la juridiction administrative dans la société.
- Il n’est pas de sauveur suprême, même au palais royal
Il nous faut revenir dans l’histoire et nous rappeler aux bons souvenirs d’une institution qui, si nous abandonnions la qualité de nos jugements pour ne nous intéresser qu’à leur quantité, serait rapidement engorgée de recours et dont la part d’activité contentieuse, qui lui assure une place enviée au cœur du pouvoir, ne serait plus grand-chose sans nous.
Se rappeler aux bons souvenirs du Conseil d’Etat sans être vindicatifs, car il est temps que ce dernier assume son rôle de juridiction suprême, en faisant de nos contraintes les siennes.
Nous vous proposons donc de continuer à avancer, sous cet angle, les revendications traditionnelles de l’USMA : si le décor de la salle d’audience du Palais-Royal ne laisse que peu de doutes sur la qualité des acteurs qui y officient, le port de la robe des tribunaux jusqu’aux formations contentieuses du Conseil pourrait à la fois symboliser le lien qui nous unit au sein de la juridiction et permettre au magistrat qui officie dans la salle d’audience n°2 ou n°3 de n’importe quel tribunal, salle au sein de laquelle il ne manque en règle générale qu’un hygiaphone et un distributeur de tickets pour parfaire l’ambiance Urssaf, d’être regardé comme un juge.
Nous sommes des magistrats et devons être perçus comme tels, de la première instance à la cassation, même si le besoin de signe distinctif de la qualité de magistrat apparaît moins criant près des colonnes de Buren que dans la zone commerciale de Cergy-Pontoise. Nous devons être des magistrats, en apparence et dans la Constitution.
Réveiller notre gestionnaire et le contraindre à prendre conscience du joyau fragile qu’est l’unicité de notre juridiction, garante de l’unicité de la jurisprudence, sera notre premier axe d’action.
- Créer une dynamique collective, pas seulement pour courir après un ballon
Il est de bon ton de qualifier le corps des juges administratifs de réunion de personnalités individualistes.
Et pourtant. Pourtant quel meilleur exemple peut-on trouver de travail collaboratif décisoire (on décide à plusieurs) ou chacun, quel que soit son grade ou son rôle, expose ses convictions au jugement des autres, pour finir par prendre une décision dans un cadre égalitaire à l’issue d’un délibéré ?
Nous ne sommes pas individualistes. Le collectif est, pour une part, une contrainte, dans notre métier, puisqu’il nous oblige à prendre en compte, et même parfois à nous plier, à l’avis de l’autre contre notre conviction. Mais il est aussi, et nous le défendons chaque jour, une garantie de la qualité de notre justice.
Nous vous proposons ainsi que l’USMA continue à porter l’idée d’une justice exercée collectivement et soutienne la mise en place de dispositifs de nature à créer de la solidarité entre les magistrats :
– – d’abord, en s’opposant avec toute la vigueur nécessaire à la tentation convergente du pouvoir réglementaire et de notre gestionnaire de nous faire juger plus vite, à moyens humains constants, en nous faisant juger seul. Nous avons marqué clairement notre opposition, à chaque étape d’adoption du projet de loi asile et immigration, à une extension du champ du juge statuant seul. Nous devrons, avec votre aide et en collaboration avec les autres représentants des professions du droit (juges judiciaires, avocats), aiguiser nos arguments et nous faire entendre, d’autant plus que, désormais, il s’agit de nous faire juger seuls et par vidéo-audience ;
– – ensuite, en défendant nos collègues au sein des juridictions, tant par l’intermédiaire de nos délégués, ou par notre intervention directe lorsque cela est nécessaire, que par la mise en œuvre d’une communication fiable et régulière sur les enjeux, débats et avancées obtenues au niveau national, pour permettre aux magistrats de débattre, soutenir et obtenir des avancées dans leurs tribunaux et faire valoir les effets pervers de certains nouveaux outils ou de certaines réformes de procédure ;
– – en plaidant, enfin, pour une gestion collective de la quantité de travail assumée par les magistrats. L’USMA ne peut se borner à défendre une norme dont nous déplorons chaque année qu’elle conduise des collègues au burn-out ou, parce qu’ils perdent de vue le sens même de la fonction de juger, à la mésestime de soi. Nous voulons ainsi effectuer un accompagnement attentif et exigeant du gestionnaire dans ses expérimentations d’abandon de la norme, pour que les magistrats ne soient plus la variable d’ajustement de l’insuffisance de moyens budgétaires. L’USMA plaide pour une détermination ascendante et collective de la charge de travail, qui sorte de l’isolement nos collègues en difficulté et portera une attention particulière à la question de la prévention des risques psycho-sociaux, occultée dans nombre de juridictions, alors qu’elle est un enjeu essentiel du bien-être de nos collègues.
- Aide-toi, le ciel t’aidera
Notre troisième axe de travail est une ambition : nous souhaitons faire, à l’extérieur de la juridiction, la promotion de notre corps et de nos missions. Notre action doit également être tournée vers la société civile, car la place qui sera faite au magistrat administratif dans l’imaginaire collectif, en tant que gardien des libertés publiques en particulier et, plus généralement, en tant que pacificateur de conflits, au même titre que le juge judiciaire, sera un point d’appui évidemment indispensable pour faire aboutir nos revendications statutaires.
Nous ne pouvons pas attendre du seul Conseil d’Etat qu’il fasse la promotion de ses juridictions subordonnées, alors qu’il craint en réalité de n’être plus qu’une juridiction. Nous devons réfléchir à notre implication dans la société en tant que magistrats et faire exister les juges administratifs dans le débat public.
- Oser affirmer notre différence dans l’intérêt de tous les magistrats, syndiqués ou non
L’USMA est porteuse depuis de très nombreuses années de nombre d’idées novatrices au sein de la juridiction, qui acquièrent souvent un potentiel majoritaire et sont alors portées par les deux syndicats réunis.
Nous ne vous dirons pas qu’il nous suffit que nos idées soient majoritaires. Mais nous voulons que l’USMA occupe la place qu’elle mérite. Et son mérite viendra de notre travail et de notre efficacité à vos côtés, chaque jour. De notre capacité à mener des débats au sein des juridictions sur l’ensemble des sujets qui vous concernent, à recueillir votre avis et à vous donner envie d’avoir envie et de soutenir nos combats.
Mais, en attendant, nous serons aux côtés de chacun et chacune d’entre vous, quelle que soit son appartenance ou sa non-appartenance à un syndicat ou à un autre, quelle que soit sa voie d’accès au corps, y compris par détachement, chaque jour ou au moment les plus tendus de vos carrières et, notamment au moment de de l’avancement au grade de président ou de la période d’évaluation.
Nous sommes d’ailleurs à votre disposition pour vous apporter notre soutien, individuellement ou collectivement, si la fixation de vos objectifs n’est ni partagée ni réaliste, comme nous vous l’avions proposé dans notre message du 21 juin, également annexé à ce courriel.
L’année commence sur les chapeaux de roues : nous avons rendu fin août des observations (document « l’essentiel » en PJ) sur un nouveau projet de décret de modification du code de justice administrative (celui du 17 juillet était à peine sorti du four) et préparons nos contributions pour les groupes de travail qui nous auditionnent le 28 septembre.
Mais nous sommes là pour vous. Vous pouvez nous écrire à la présente adresse mail pour toute remarque, suggestion, objection, et même invective (en demeurant mesurés s’il vous plaît !) sur la présente adresse courriel.
Elles seront toujours les bienvenues et nous y répondrons.
Vous pouvez par ailleurs solliciter un rendez-vous particulier, soit physique à notre permanence rue de Richelieu (à 10 minutes du palais royal), soit téléphonique [adressé à la présente adresse mail ou à Ivan Pertuy (ivan.pertuy@juradm.fr) ou Ophélie Thielen (ophelie.thielen@juradm.fr)], pour toute difficulté que vous rencontrez.
Bonne rentrée à vous.
Ivan Pertuy, président de l’USMA