Chers collègues,
Nous vous l’avons indiqué dans notre « mail de rentrée », l’USMA veut accroître la prise en compte de la situation des magistrats des TA et des CAA par le Conseil d’Etat, en favorisant une relation avec lui qui ne soit pas seulement celle qui existe avec un gestionnaire, mais aussi une relation, sinon entre égaux, tout au moins entre juges.
Mettant fin à une timidité institutionnelle qui voulait que les représentants syndicaux des magistrats des TA et CAA n’aient pas de contacts avec la section du contentieux, une délégation de l’USMA (Ophélie Thielen, Viviane André et Ivan Pertuy) a ainsi rencontré M. Combrexelle, président de la section du contentieux, le vendredi 31 août.
Nous le remercions, à titre liminaire, de nous avoir accueillis et de nous avoir proposé de nous rencontrer régulièrement pour évoquer la vie de nos juridictions.
La solitude du magistrat face au justiciable
La première préoccupation dont nous avons voulu faire part à M. Combrexelle tenait à la multiplication des situations dans lesquelles les magistrats administratifs statuent en qualité de juge statuant seul, alors même que l’enjeu est important pour les justiciables.
En appliquant des textes souvent complexes et des jurisprudences parfois subtiles (nous avons pris pour exemple les contentieux des étrangers et celui du RSA), le juge doit assumer seul des décisions qui ont des conséquences importantes pour le justiciable, présent en face de lui.
De telles difficultés devraient exclure le recours au juge unique dans de tels contentieux ou, toutefois, puisque le législateur est libre de ses choix, donner lieu à la mise en place de garde-fous et de bonnes pratiques telles que le renvoi, plus systématique, à la formation collégiale en cas de doute.
Aux dires des membres de la section du contentieux que nous avons rencontrés, il est de bon aloi au sein de la section de renvoyer à la formation collégiale lorsqu’un dossier présente une difficulté. Cela n’est pas du tout le cas dans nos juridictions où, au contraire, il est fait une chasse aux dossiers dits de « JU » dans les rôles collégiaux, pour répondre à la pression statistique, et où un collègue qui saisit la formation collégiale est au mieux pris pour un magistrat incapable de décider, au pire pour un dilettante.
- M. le président de la section du contentieux, affirmant sa conscience de ce que juger face à un justiciable peut, dans certaines circonstances ou affaires particulières, être un exercice difficile a rappelé la nécessité de préserver la possibilité de recourir à la collégialité, non seulement par les textes mais également dans les faits.
Des nouveaux outils d’éviction du justiciable ?
Nous avons ensuite évoqué les nouveaux outils d’instruction, notamment les demandes de maintien de requête à peine de désistement d’office ou l’obligation faite de maintenir sa requête au fond en cas de rejet du référé (prévu par le décret du 17 juillet dernier), ainsi que la vision extensive du caractère « manifeste » des irrecevabilités reconnues par ordonnance.
De nouveau, ces outils ne sont pas, en eux-mêmes, en cause. Il n’est pas inconcevable de réduire la pression contentieuse subie par les magistrats en ne leur laissant à juger que les dossiers qui ont encore un enjeu, une chance d’aboutir concrètement ou un intérêt pour le demandeur.
Pour autant, les ordonnances motivant longuement le caractère manifestement infondé sont fréquentes, le maintien de requête a été pratiqué souvent en masse et sans discernement, et a parfois piégé les justiciables les moins armés, c’est-à-dire sans avocat ou sans grand intérêt pour leurs avocats lorsqu’ils en ont un.
La mise en œuvre des nouveaux outils dans le contexte d’une pression contentieuse lourde est ainsi la source d’effets pervers qui abîment la mission du juge administratif et son image dans la société. De nouveau, comme pour le renvoi en formation collégiale, si l’outil n’apparaît pas contestable en soi, la pratique n’est pas encadrée et est souvent dommageable.
- M. le président de la section du contentieux a indiqué que ces difficultés concernaient l’ensemble de la juridiction administrative et que l’enjeu était de concilier, à tous les niveaux TA, CAA et section du contentieux, sa capacité à respecter des délais de jugement raisonnables au regard de la demande de justice et la qualité des décisions rendues.
Construire l’efficacité et le management de demain
Si les outils d’éviction des requêtes ont permis un nettoyage des stocks, les entrées demeurent et la pression statistique ne faiblit pas.
Et force est de constater que si certains outils sont mis à jour, de plus en plus performants et très utiles au travail quotidien (guide du rapporteur, Ariane), d’autres appartiennent à un autre siècle. Tel est notamment le cas du Poste rapporteur, application totalement obsolète mais encore très utilisée par les magistrats et les aides à la décision pour la fiabilité des informations de base directement extraites de Skipper, le logiciel de traitement et d’enregistrement des requêtes.
Vos représentants de l’USMA ont donc plaidé pour une réflexion approfondie sur ce qui pourrait constituer aujourd’hui une aide à la décision fiable et performante permettant de recentrer les magistrats sur leur cœur de métier. Nous avons évoqué les pôles d’aide à la décision, encadrés par un premier conseiller dont seraient ainsi testées les aptitudes managériales, que nous appelons de nos vœux, ainsi que la création d’un Poste rapporteur plus ergonomique et plus performant.
Créer un lien plus fort et moins hiérarchique entre la section du contentieux et les tribunaux et cours
Mentionnant quelques exemples de maladresses que certains d’entre vous reconnaîtront (un auditeur du Conseil d’Etat expliquant à un aréopage de magistrats expérimentés, dont des présidents de chambre, comment rédiger une note du rapporteur, les propos introductifs critiques ou dévalorisant de conclusions du rapporteur public de la section du contentieux sur une demande d’avis), nous avons plaidé pour des échanges moins formels et plus réguliers entre la section du contentieux et les TA et CAA.
Le fossé qui demeure, au regard des résultats de l’enquête « climat social », entre la section du contentieux et les TA et CAA, doit être résorbé.
Au lieu et place des visites de la section du contentieux, avec questions préparées préalablement et réunion de l’assemblée générale des magistrats en salle d’audience, pourraient être préférées des rencontres moins formelles et plus spécialisées.
Un échange entre les magistrats de tribunaux et cours en charge d’un contentieux avec un des rapporteurs publics officiant dans la chambre correspondante du Conseil, par exemple, ou encore la délivrance de formations délocalisées par un membre de la section, d’ores et déjà très appréciées pour les rares formations ainsi mises en place.
Pourrait également être envisagé un accueil de magistrats au sein de la section du contentieux aux aspects plus actifs qu’un stage d’observation, soit en formation initiale, soit au cours de la carrière.
- M. le président de la section du contentieux est en accord sur ce point : il faut accroître et entretenir les liens entre les TA et CAA et la section du contentieux. Si le fossé n’est plus aussi grand qu’il l’a été, par les efforts combinés notamment de l’ancien et de l’actuel vice-président du Conseil d’Etat, efforts qui se traduisent dans les faits, il reste en effet un manque de connaissance de ce que font les magistrats des tribunaux et cours par les membres de la section et, inversement, par les magistrats de ce qui est fait au Conseil.
Or, l’interdépendance de la section du contentieux et des tribunaux et cours est évidente, tant en termes de qualité de la justice rendue que de satisfaction de l’exigence de justice. La jurisprudence se construit autant au sein de la première que des seconds. Il faut donc inventer des modalités de rencontre régulière, d’information mutuelle et d’enrichissement réciproque.
Construire une vraie carrière pour les magistrats
Nous avons enfin abordé la conduite de la carrière des magistrats administratifs, sa longueur prévisible pour les magistrats entrés très jeunes dans le corps et le pyramidage, qui réduira le nombre de magistrats pouvant prétendre à l’accès a grade de président.
Nous avons exposé notre souhait de voir les fonctions diversifiées et l’accompagnement à la mobilité rendu plus efficace. Nous avons également plaidé pour une modification des textes permettant aux magistrats officiant en province d’effectuer leur mobilité en collectivité territoriale, l’incompatibilité à leur retour en juridiction devant relever d’une incompatibilité objective, et non de principe.
- M. le président de la section du contentieux a indiqué être favorable, d’une part, à ce que les textes soient revus s’agissant des incompatibilités subséquentes aux détachements au sein des collectivités territoriales, et d’autre part à ce que soient développées,concrètement, les possibilités de détachement au sein des directions déconcentrées de l’Etat, pour favoriser les mobilités en province. La mobilité permet notamment la connaissancede l’action administrative, qui est un élément essentiel de la formation des magistrats administratifs.