28 février 2019
Compte rendu de visite
Tribunal administratif de Lille
Une délégation de l’USMA (Ivan Pertuy, Ophélie Thielen) s’est rendue au tribunal administratif de Lille ce 28 février. Nous remercions chaleureusement l’ensemble des magistrats présents pour l’accueil qu’ils nous ont réservé.
Situation du tribunal
Situation générale
Le ressort du tribunal couvre les départements du Nord et du Pas de Calais.
Le tribunal est composé de huit chambres et 38 magistrats. Une neuvième chambre, qui n’a pas encore été officiellement installée, sera mise en place à compter du 1erseptembre 2019.
Points positifs du tribunal
Un collectif juridictionnel actif et un tribunal tourné vers l’extérieur. Les magistrats sont particulièrement intéressés par la vie collective de leur juridiction, vie collective entretenue avec constance par l’organisation de rencontres conviviales régulières et par la mise en place de nombreux groupes de travailsur des sujets variés (allant de la dématérialisation à la décoration des couloirs et des jardins du tribunal).
Le tribunal est tourné vers l’extérieur, souvent évoqué dans la presse locale, pas seulement au titre de son activité juridictionnelle, mais aussi en tant que tel (voir les articles de La voix du norden PJ). Les projets d’aménagement des jardins ont été élaborés par des étudiants du lysée horticole de Lomme et deux audiences solennelles ont été organisées avec un réel succès.
Des locaux adaptés. L’Institut de Chimie de Lille, érigé en 1894, devenu tour à tour siège de l’Institut Régional d’Administration de Lille et Bourse du travail, est désormais loué par la commune de Lille au Conseil d’Etat pour accueillir le tribunal administratif. Le bâtiment a été rénové à cette occasion et les locaux, qu’ils soient dévolus aux personnels ou à l’accueil du public, sont à la fois porteurs de la solennité nécessaire, élégants, accessibles à tous et fonctionnels.
Le tribunal est situé à 20 minutes des gares et à 800 mètres de la première station de métro. Il est excentré par rapport au vieux Lille, situé plus au Nord, et se restaurer honorablement peut conduire à marcher un peu. Les magistrats bénéficient de tickets restaurant.
Une chambre dédiée aux urgences. Une chambre centralisant l’ensemble des contentieux urgents a été mis en place en septembre 2017, regroupant quatre magistrats dédiés (et volontaires), et permet aux autres chambres de concentrer leurs efforts sur la résorption du contentieux ancien. Seules les OQTF 3 mois demeurent traitées dans les chambres de fond (trois dossiers par magistrat et par audience en moyenne).
Dématérialisation, mais avec raison. Le tribunal ne s’est pas jeté à corps perdu dans la dématérialisation et les magistrats conservent la possibilité de travailler sur un dossier papier imprimé par les personnels de leur greffe. Le travail d’élaboration des jugements est en revanche dématérialisé. Un modèle que l’USMA aimerait voir généralisé.
Du renouveau chaque année (1).De nouveau magistrats et de nouveaux personnels de greffe arrivent régulièrement dans le tribunal, soit du fait de départs, soit du fait de l’augmentation du nombre de chambres, sans atteindre l’ambiance très agréable, conviviale, et même solidaire, qui règne au sein du tribunal.
Des formations en interne. Le tribunal est doté d’une salle dédiée aux formationspermettant, sous l’égide du groupe de travail « formation » du tribunal[1], l’organisation de formations au sein du tribunal, par des intervenants internes ou extérieurs.
Points négatifs du tribunal
Un nombre insuffisant de magistrats. Le stock de dossiers de plus de deux ans demeure à un niveau élevé (12,8% en 2018), du fait de l’inadéquation entre les moyens humains(31 magistrats en effectif réel moyen de 2015 à 2017) et la charge de travaildu tribunal (contentieux en hausse de 7 à 19 % par an depuis 2015). La productivité des magistrats n’est vraiment pas en cause (337,64 affaires traitées par magistrat en 2017, contre 263,42 pour la moyenne nationale !). Les efforts du Conseil d’Etatpour renforcer le tribunal sont réels, mais inévitablement en décalage avec l’augmentation des entrées.
Le soleil lillois ! Le bâtiment est magnifique mais, préjugés sur le climat lillois ou erreur de conception, il n’a pas été prévu l’installation d’une climatisation, quand la préservation de l’aspect extérieur a conduit l’architecte à conserver de grandes baies vitrées côté sud. Les magistrats et agents rivalisent de métaphores culinaires (« c’est un four », « on cuit », « c’est comme une cocotte-minute ») pour décrire le réchauffement de l’atmosphère au moindre rayon de soleil. La nouvelle aile, qui accueillera la 9èmechambre, verra ses locaux équipés de manière native de la climatisation, et la cafétéria, qui n’avait pas été conçue ainsi, sera également climatisée. Pour le reste du bâtiment, l’installation de filtres sur les fenêtres et de rideaux roulants n’apparaît pas une parade suffisante pour préserver un environnement de travail à température raisonnable.
Du renouveau chaque année (2). Aspect négatif du renouvellement régulier des magistrats, la moitié d’entre eux, environ, ont moins de deux ans d’ancienneté dans le tribunal, présidents de chambre compris, et le même constat peut être fait s’agissant des personnels de greffe. La préservation du collectif juridictionnel nécessite ainsi une vraie mobilisation du binôme Président-1erVP et des magistrats présents depuis plus longtemps au sein du tribunal.
Organisation de la visite
Rencontre du président de juridiction
Nous avons tout d’abord rencontré le président de juridiction, M. Couvert-Castéra, accompagné du 1ervice-président, M. Trottier.Tous deux nous ont fait visiter les locaux, ont participé à notre réunion et répondu à toutes les questions que nous leurs avons posées. Nous les remercions sincèrement du temps qu’ils nous ont consacré tout au long de cette journée.
Conférences en salle d’audience avec la collectivité juridictionnelle
La visite s’est poursuivie par deux conférences tenues en salle d’audience, en présence de magistrats venus en nombre, syndiqués ou non, et à l’USMA ou non, que nous remercions tous pour leur présence et leur participation active au débat.
La première conférence, de 10h00 à 11h00, a eu pour objet, en présence du président de juridiction, d’évoquer les débats nationaux et ce à quoi devrait ressembler la juridiction administrative de demain.
Nous avons évoqué les principales revendications de l’USMA (reconnaissance constitutionnelle, charge de travail, amendement mobilité, etc.) et répondu aux interrogations et contradictions des magistrats.
La seconde conférence, de 11h00 à 12h00, avait pour objet de recueillir la libre parole collective des magistrats et vice-présidents, qui a été également recueillie individuellement auprès d’eux dans l’après-midi, par une visite des bureaux.
Teneur des débats :
Les bonnes pratiques du décret Jade
Les nouveaux outils d’éviction des requêtes du décret Jade, dont l’utilisation a parfois été extensive, a été évoquée. Les magistrats ont dit avoir conservé la maîtrise sur l’utilisation de cet outil sur leur stock et en avoir fait un usage pertinent, tendant à faire disparaître des stocks les seuls dossiers qui ne présentaient plus d’intérêt. Certains magistrats ont souligné que le discours de l’USMA pouvait donner parfois l’impression que nous refusions ce type d’outils, pourtant utiles. A été évoqué, à titre d’exemple, le poids d’un contentieux étranger inutile, porté par des avocats qui n’ont jamais rencontré leur client, lequel ne se présentera jamais devant le tribunal(et ne recevra pas le jugement puisqu’il n’a pas d’adresse connue…). Une réflexion sur un outil d’éviction des requêtes lorsque le destinataire de la mesure d’éloignement ne peut se présenter en personne, à l’instar de l’obligation de présentation à la préfecture, ne serait pas de nature à nuire aux droits des justiciables.
Nous avons précisé quenous ne contestions pas l’existence d’outils permettant d’évincer les requêtes ayant perdu leur intérêt mais l’utilisation dévoyée de ces outils, conduisant à évincer les justiciables incapables de comprendre les enjeux du maintien de requête ou à juger « manifestement » irrecevable une requête, par une ordonnance motivée sur plusieurs pages. Tous les outils d’éviction des requêtes ne présentant plus d’intérêt pour le requérant lui-même nous semblent en revanche utiles, à la condition qu’un guide des bonnes pratiques rédigé par le secrétariat général du Conseil d’Etat ou la MIJA, respectueux des droits du justiciable, l’accompagne.
Détermination collective de la charge de travail
Nous avons bien entendu évoqué la question de la charge de travailet le débat a conduit, comme souvent, à évoquer la place centrale que doit occuper le président de chambre pour déterminer collectivement ce qui est attendu de chacun,quelque soit son rôle au sein de la formation de jugement, président compris. A été évoquée l’utilité de faire des évaluations à 360°, notamment, des présidents de chambre, pour leur permettre de garder en permanence à l’esprit que le bien-être des magistrats de leur chambre est un de leurs objectifs professionnels. Les efforts permanents pour faire vivre le collectif juridictionnel se traduisent à Lille, dans la très grande majorité des cas, par une attention portée par le président de juridiction et par les présidents de chambre au bien-être des magistrats. La norme n’est pas ici sacro-sainte, mais constitue un repère de la charge de travail normale, modulée selon la difficulté des dossiers(il est concevable à Lille de présenter deux marchés seuls à une audience, dès lors qu’ils ont nécessité la charge de travail équivalente à celle d’une audience ordinaire). Nous avons bien entendu évoqué notre volonté de voir généralisée une telle pratique de détermination collective, dans des réunions de chambre incluant le greffe, d’objectifs qualitatifs et quantitatifs non chiffrés (détermination des types de dossiers prioritaires), la norme demeurant un repère de protection des magistrats.
Adapter les moyens humains
La difficulté du TA de Lille à adapter ses effectifs à un contentieux en augmentationconstante a conduit à une réflexion sur les renforts ponctuels pouvant être apportés par les magistrats délégués, dispositif auquel l’USMA est favorable. Les magistrats ont néanmoins souligné que les magistrats délégués, recrutés comme rapporteurs, alourdissent la charge de travail des rapporteurs publics et présidents qui les accueillent. Le recours à une brigade volante constituant une chambre complète (magistrats et greffe)disponible pour l’ensemble des tribunaux facilement accessibles depuis Paris (Lille est à une heure de TGV de Paris), est une solution qui nous a déjà été suggérée et que nous discuterons avec le secrétariat général du Conseil d’Etat.
Compte rendu
Les entretiens individuels avec les magistrats ont été placés sous le sceau de la confidentialité. A l’issue de la visite, nous avons évoqué avec M. le Président Couvert-Castéra les requêtes collectives et les situations individuelles que les magistrats ont souhaité lui voir transmettre.
[1]Des formations internes ont été organisées sur place en 2018 pour les magistrats, sur les thèmes suivants : « La médiation à l’initiative du juge administratif », « Introduction à la nouvelle rédaction des décisions juridictionnelles », « Actualité législative et jurisprudentielle du contentieux de l’éloignement à l’usage des magistrats de permanence », « Conseils à l’usage des magistrats débutants en contentieux de l’éloignement »,
« Word, Adobe Acrobat et Excel : fonctionnalités avancées et astuces » (Rapport annuel 2018).