Interview de Pierre Genève, nouveau président du syndicat des juridictions financières

Pierre Genève a été nommé président du syndicat des juridictions financières (SJF) le 18 novembre dernier. L’occasion de le rencontrer et de l’interroger sur sa vision de la réforme de la haute fonction publique et l’avenir du corps des magistrats financiers.

Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots les incidences de la réforme de la haute fonction publique pour les magistrats financiers (y compris pour la Cour des comptes) ?

Nous considérons que la réforme n’a pas été pensée pour les corps de magistrats et qu’ils y ont été rattachés sans véritable réflexion sur l’évolution des carrières mais également sur les effets de cette réforme sur les pratiques professionnelles.

Globalement, la réforme a préservé des acquis essentiels, puisqu’elle maintient la spécificité des fonctions juridictionnelles et les principaux viviers de recrutement (INSP, concours direct, intégration). Il s’agit en revanche, d’après notre analyse, d’une occasion manquée pour organiser les parcours de carrière dans les juridictions administratives et financières. Avec le décret « auditeurs » N° 2021-1216 du 22 septembre 2021, pire, on constate que le corps des magistrats de CRC ne constitue même pas l’un des viviers naturels de recrutement des magistrats de la Cour !

Enfin, certaines dispositions nous apparaissent très problématiques, au premier rang desquelles figure la possibilité de recruter des magistrats par voie contractuelle. L’augmentation du nombre de mobilités obligatoires fait également peser une contrainte supplémentaire sur les collègues pour organiser leurs carrières, en raison du grand nombre d’incompatibilités qui demeurent avec d’autres fonctions dans le ressort de la CRC. La question de la rémunération doit également être traitée. Alors que les corps de magistrats financiers étaient déjà décrochés, la situation va s’aggraver, ce qui va fatalement réduire l’attractivité et freiner les mobilités.

Quels sont les effets de la réforme qui s’annonce en terme de contrôle des finances publiques ?

D’abord il faut comprendre que nous appelions de nos vœux une réforme des régimes de responsabilité des ordonnateurs (devant la CDBF) et des comptables (devant le juge des comptes), tous les deux à bout de souffle. La création d’un régime unique devant le juge financier correspond à nos demandes. Malheureusement la réforme proposée risque de conduire un affaiblissement du contrôle des finances publiques :

  • Les CRC perdent leur statut de juridiction, le contentieux étant centralisé à Paris dans une chambre spécifique associant magistrats de la Cour et des chambres régionales. Cela va fatalement avoir un impact sur l’autorité de leurs décisions en matière de contrôle de la gestion.
  • Le futur contentieux est fortement contraint, avec un champ des justiciables limité, un périmètre des infractions réduit et des sanctions faibles. Ce qui laisse des zones d’ombre : alors que la procédure juridictionnelle à l’encontre du comptable pouvait permettre de faire cesser des agissements irréguliers de collectivités (comme le paiement de primes illégales), rien ne vient la remplacer.

Nous proposons la mise en place d’un droit d’injonction tendant à faire cesser les irrégularités graves de gestion mise en évidence par la chambre, sous le contrôle du juge administratif.

Comment voyez-vous l’avenir du corps des magistrats financiers ?

Il faut nous réinventer, c’est-à-dire trouver un chemin entre le contrôle de la régularité de la dépense, fonction historique mais qui est progressivement démantelée, et l’audit, fonction qui entre dans le champ concurrentiel et qui ne justifie pas l’existence de juridictions indépendantes.

Nous pensons que le juge financier indépendant est une vigie utile pour le fonctionnement de nos démocraties et la confiance des citoyens dans leurs représentants. Mais à condition qu’il ait les moyens d’enquêter, d’informer et de sanctionner. Le développement de l’évaluation des politiques publiques est un nouveau champ très intéressant, mais qui ne répond pas, seul, à l’ensemble de ces conditions.

Quelles plus-values voyez-vous dans le détachement de magistrats administratifs dans le corps des magistrats financiers tel que vous le décrivez ?

Il est naturel que vous posiez cette question ! Si on prend du recul sur ces sujets, nos métiers sont déjà bien différents, et les collègues magistrats administratifs ayant fait leur mobilité chez nous ont pu le constater dès leur arrivée.

Je crois que le caractère pluridisciplinaire de notre métier, au carrefour entre le droit public, la comptabilité, la gestion, et parfois même l’économie voire la sociologie, plait aux magistrats administratifs, qui enrichissent utilement leurs compétences et leur connaissance des collectivités territoriales en venant dans les juridictions financières. De notre côté nous apprécions énormément leur apport !

Ces mobilités ont donc vocation à perdurer. Il ne faut pas négliger non plus l’aspect personnel : en raison de nos régimes d’incompatibilités respectifs, les mobilités entre juridictions administratives et financières permettent aussi d’éviter de lourds déménagements.