Le baromètre social 2021 : un signal d’alarme inquiétant

A notre demande, les résultats du baromètre ont été mis en ligne sur l’intranet. Voici une synthèse, par l’USMA, des principaux enseignements de cette enquête.

Bien que les éléments fournis par le prestataire soient moins complets qu’en 2017 sur la répartition des réponses par fonctions exercées, les résultats du baromètre sont suffisamment parlants pour confirmer que, au-delà de certains aspects positifs, les magistrats administratifs se trouvent dans une situation alarmante[1].

Certains constats satisfaisants :

  • Nous sommes intéressés par notre travail : 95% de réponses positives, dont 51% de « tout à fait ».
  • Nous avons généralement plaisir à venir travailler dans notre juridiction : 89% de « oui ».
  • Nous avons le sentiment que notre travail nous permet d’acquérir régulièrement de nouvelles compétences : 87% de « oui ».
  • Nous nous sentons régulièrement reconnus pour le travail que nous effectuons : 69% de réponses positives. Il serait toutefois utile de savoir de qui nous recevons cette reconnaissance : nos collègues, notre N+1, le chef de juridiction ?
  • 56% d’entre nous ont le sentiment que leurs propositions sont écoutées et qu’ils sont consultés dans le cadre des prises de décision et l’amélioration de notre travail. Même remarque : par qui précisément ? En outre, il serait nécessaire d’avoir le détail des réponses par type de fonctions exercées, pour voir si des différences significatives apparaissent sur ce point.
  • Nos relations professionnelles sont satisfaisantes, que ce soit avec nos collègues (92% et même 94% pour les magistrats affectés dans la même chambre que nous), l’encadrement de notre juridiction (84%) ou les agents de greffe (93% et 97% pour ceux qui travaillent dans la même chambre).
  • Plus particulièrement, nous sommes globalement satisfaits des relations avec notre supérieur hiérarchique direct : de 92% de réponses positives pour sa disponibilité à 68% pour sa capacité à résoudre les conflits. Toutefois, cette dernière réponse montre, en creux, que près d’un tiers d’entre nous estimons que notre N+1 ne montre pas cette capacité, ce qui n’est pas négligeable. Des actions pourraient utilement être menées pour accroitre cette compétence chez les présidents de chambre et de juridiction, par exemple par une proposition de formation spécifique.

Les magistrats administratifs sont donc intéressés par leur travail, qui répond à leur besoin d’accroitre leurs compétences, ils sont satisfaits de venir travailler dans leur juridiction et apprécient les relations qu’ils entretiennent avec les personnes qui travaillent avec eux, en particulier avec leur N+1. Dans une mesure légèrement moindre, ils se sentent reconnus pour leur travail et encore un cran en dessous, ils ont le sentiment d’être écoutés et consultés.

La motivation des magistrats administratifs

L’analyse de notre motivation appelle, pour sa part, une réponse nuancée : si elle reste globalement élevée, elle est cependant en baisse significative par rapport à 2017 : nous sommes, dans l’ensemble, 70% à répondre que nous sommes « très » (21%) ou « plutôt » (48%) motivés, en baisse de 8 points par rapport au précédent baromètre.

Détaillées par fonctions, les proportions de magistrats qui se disent motivés sont les suivantes :

  • 64% des présidents assesseurs en CAA, en baisse de 13% par rapport à 2017.
  • 65% des rapporteurs publics, en baisse de 11%.
  • 67% des rapporteurs, en baisse de 10%.
  • 74% des vice-présidents en TA, en baisse de 8%.
  • 84% des présidents de chambre en CAA, sans réelle évolution (-1%).
  • 100 % des présidents de tribunaux administratifs.

En outre, à l’heure où le Conseil d’Etat souhaite augmenter la modulation de notre part variable en pensant que cela augmentera notre motivation, il est particulièrement intéressant de relever que les magistrats ont indiqué que les principaux facteurs qui les motivent, plusieurs réponses étant possibles, sont :

  • L’intérêt du travail (67%), l’autonomie dans le travail (59%), l’ambiance de travail (34%) et le développement de nouvelles compétences (28%). La rémunération ne vient qu’en onzième position et n’est citée comme élément de motivation que par 5% des magistrats seulement [2]
  • En sens inverse, les principaux facteurs de démotivation sont la charge de travail excessive (70%), l’évolution de carrière (45%) et le manque de reconnaissance (41%). La rémunération n’intervient qu’en quatrième position, avec 33% des réponses. Seuls 45% des magistrats se disent satisfaits de leurs conditions de rémunération, en baisse de près de 19% par rapport à 2017.

Comme les organisations syndicales l’ont souvent répété, la rémunération ne constitue pas un facteur de motivation. En revanche, lorsqu’elle apparait insuffisante au regard du travail excessif fourni, elle contribue à démotiver. Mais la bonne réponse au véritable problème est de réduire la charge de travail et d’augmenter la rémunération collective des magistrats à travers une revalorisation indiciaire et la part fixe de l’indemnitaire, pas d’augmenter la variabilité de la rémunération …

Une réalité particulièrement alarmante sur d’autres points :

Seulement 36% d’entre nous estiment que leur charge de travail est compatible avec leur temps de travail (-6% par rapport à 2017), 37% seulement sont satisfaits de leur équilibre vie privée/vie professionnelle (-11%) et à peine 54% sont satisfaits de leurs horaires de travail (-7%). Le prestataire n’a pas fourni les réponses détaillées par fonctions exercées qui seraient, pourtant, particulièrement utiles.

Conséquence logique de cette charge de travail excessive : 54% d’entre nous se disent souvent (33%) ou très régulièrement (21%) stressés au travail, en dégradation de 3% par rapport à 2017. Pour cet item, nous disposons des réponses par fonctions, qui sont les suivants, par ordre de stress décroissant :

  • 59% des rapporteurs se disent souvent (33%) ou très régulièrement (26%) stressés.
  • 57% des VP en TA se disent souvent (34%) ou très régulièrement (23%) stressés.
  • 57% des rapporteurs publics se disent souvent (38%) ou très régulièrement (19%) stressés.
  • 48% des présidents assesseurs en CAA se disent souvent (31%) ou très régulièrement (17%) stressés.
  • 29% des présidents de chambre en CAA se disent souvent (18%) ou très régulièrement (11%) stressés.
  • 21% des présidents de TA se disent souvent (9%) ou très régulièrement (12%) stressés.

De manière générale, les non-encadrants sont significativement plus stressés que les encadrants : 57% (dont 23% très régulièrement) contre 45% (dont 16% très régulièrement).

La dégradation est encore plus nette pour les réponses à la question « dans l’ensemble votre niveau de stress est-il supportable ? » : nous étions 26 % à répondre non en 2017, nous sommes 37% quatre ans plus tard, soit plus du tiers du corps et une hausse de 11%. Là encore, les résultats par fonctions sont parlants, car les réponses négatives concernent, toujours par ordre décroissant :

  • 42% des rapporteurs, avec une hausse de 16% par rapport à 2017.
  • 37% des rapporteurs publics (+ 9%).
  • 35% des présidents assesseurs en CAA (+ 8%).
  • 34% des VP de TA (+ 14%).
  • 26% des présidents de chambre en CAA (sans changement).
  • 13% des présidents de TA (pas de donnée pour 2017).

Au total, les non-encadrants estiment à 40% que leur niveau de stress n’est pas supportable, contre 28% pour les encadrants. Ces réponses montrent à quel point le degré de stress des rapporteurs est préoccupant et s’est fortement accentué en 4 ans. Cela appelle de toute évidence des actions rapides et efficaces pour le ramener à des niveaux supportables.

Autres résultats inquiétants, les réponses à la question « quel est votre état d’esprit actuellement ? » : seulement 24% d’entre nous se disent motivés, 17% confiants et 9% optimistes, alors que 45% se disent épuisés, 21% perplexes, 19% inquiets ou anxieux, 18% démotivés, et 16% sceptiques (plusieurs réponses étaient possibles).

Enfin, le regard que portent les magistrats administratifs sur le Conseil d’Etat, déjà peu satisfaisant en 2017, est devenu franchement négatif :

  • 48% d’entre nous seulement se déclarent globalement satisfaits par rapport au CE, contre 56% en 2017.
  • Plus en détail :
    • 20,7% des magistrats seulement pensent qu’il existe une culture commune entre le CE et les TACAA et 28,1% estiment que le CE agit et prend ses décisions dans l’intérêt de tous au sein de l’institution (pas de comparaison avec 2017).
    • 31,6% pensent que le CE anticipe les changements et les accompagne efficacement (-9,7% par rapport à 2017).
    • 35,7% ont confiance dans les grandes orientations prises par le CE, en baisse marquée : -18,8% par rapport à 2017.
    • 37% considèrent que le CE est attentif au climat social dans l’institution (+9,5%).

En résumé, le baromètre permet de constater que nous sommes intéressés par notre travail, motivés, que nos relations avec notre environnement professionnel sont satisfaisantes, mais que nous sommes accablés par une charge de travail excessive, ce qui nous conduit à subir un niveau de stress de moins en moins supportable.  En outre, notre degré de confiance envers le Conseil d’Etat pour apporter les réponses dont nous avons besoin est particulièrement faible.

[1] Le prestataire indique que les résultats sont corrects à partir de 70% de réponses favorables, révèlent une marge de progression lorsqu’ils sont compris entre 60 et 69% et témoignent d’une mauvaise performance lorsqu’ils sont inférieurs à 60%.

[2] Ce chiffre correspond à l’étude menée sur les salariés d’Ernst & Young, dont 4% indiquaient être motivés par leur rémunération, ce que nous avions déjà évoqué ici.