Le SJA et l’USMA soutiennent sans réserve les magistrats polonais pour la défense de l’Etat de droit en Europe

Communiqué commun des deux syndicats

(English version below)

L’indépendance de la justice polonaise est de plus en plus fragilisée par les attaques répétées des autorités nationales à son encontre depuis 2015. Celles-ci sont caractérisées par une mainmise politique progressive sur le Conseil national de la magistrature de Pologne et la nomination des juges, la remise en cause de l’indépendance des procureurs, la prise de contrôle des procédures disciplinaires engagées à l’encontre des magistrats et l’instrumentalisation de ces procédures au profit du pouvoir en place. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre de campagnes de dénigrement à l’égard de la justice, menées par des personnalités politiques et des médias proches du pouvoir.

L’article 2 du Traité de l’Union européenne (TUE) fait de l’État de droit l’une des valeurs de l’Union. L’article 19 du TUE et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissent une protection juridictionnelle effective, par la voie d’un recours devant un tribunal indépendant et impartial. Ainsi, l’indépendance de la justice est protégée en tant que telle par le droit européen (CJUE, GC, 27 févr. 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses/Tribunal de Contas, aff. C-64/16), dès lors que chaque juge national est également un juge européen.

Se référant à ces principes fondamentaux, la Cour de justice de l’Union européenne a retenu que les autorités polonaises avaient manqué à leurs obligations en portant atteinte à l’indépendance de la justice (CJUE, GC, 24 juin 2019, Commission c. Pologne, aff. C-619/18 ; 5 nov. 2019, aff. C-192/18 ; 15 juil. 2021, aff. C-791/19), après avoir prononcé des mesures provisoires suspendant les effets des décisions contestées (CJUE, GC, 17 déc. 2018, aff. C-619/18 R). Elle a également répondu en ce sens à plusieurs questions préjudicielles posées par des juridictions polonaises (CJUE, GC, 19 nov. 2019, aff. C-585/18, C-624/18 et C-625/18 ; 26 mars 2020, aff. C-558/18 et C-563/18 ; 2 mars 2021, aff. C-824/18). Les magistrats à l’origine de ces questions préjudicielles ont fait l’objet de poursuites disciplinaires.

L’avocat général Tanchev a récemment conclu, le 15 avril 2021 dans les affaires C-487/19 et C-508/19, que le Président de la République polonaise portait encore atteinte à l’indépendance de la justice de son pays en cherchant à faire obstacle à l’exercice d’un recours effectif contre les nominations illégales de juges devant la Cour administrative suprême de Pologne et en ignorant les décisions rendues par elle. Le droit à un recours effectif devant la justice administrative et le respect de l’autorité de ses décisions sont pourtant des éléments fondamentaux de l’État de droit.

La Cour européenne des droits de l’homme a également relevé que les nominations irrégulières à la Cour constitutionnelle de Pologne portaient atteinte au droit à un procès équitable (7 mai 2021, n° 4907/18), mais encore pour la révocation d’un juge sans possibilité pour ce dernier d’exercer un recours effectif contre cette décision (29 juin 2021, n° 26691/18 et 27367/18).

Les principes de justice, de solidarité et de confiance mutuelle ne sont pas de vains mots. C’est pourquoi le SJA – membre fondateur de la Fédération européenne des juges administratifs (AEAJ – FEJA) – et l’USMA, syndicats des magistrats administratifs français, entendent affirmer publiquement leur plein soutien à l’ensemble des collègues polonais qui luttent pour leur indépendance, avec le soutien de l’association indépendante des juges et procureurs polonais Iustitia.

Face à l’intention exprimée des autorités polonaises de ne pas respecter ces décisions de justice, l’USMA et le SJA apportent leurs appuis à la Cour de justice de l’Union européenne et à la Cour européenne des droits de l’homme et rappellent que leurs décisions sont pleinement et légitimement revêtues de l’autorité de la chose jugée à l’égard des Etats.

Le SJA et l’USMA soulignent que la saisine de la CJUE par la voie d’une question préjudicielle et, plus généralement, les actions entreprises par les juges afin de protéger leur indépendance ne peuvent en aucun cas donner lieu à une action disciplinaire. Ils invitent en outre la Commission à continuer sans faillir de porter devant la CJUE les manquements de la Pologne à ses obligations.

Au-delà des actions devant la CJUE, l’USMA et le SJA pressent la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil d’agir sur le plan institutionnel envers les autorités nationales en vue du rétablissement de la situation en Pologne.

Le SJA et l’USMA sont attachés à défendre l’indépendance de la justice et la protection de l’Etat de droit. Ils font part de leurs plus vives préoccupations concernant la situation en Hongrie et en Turquie, et expriment de façon générale leur solidarité avec l’ensemble des collègues des Etats européens où l’Etat de droit est menacé, qu’ils soient magistrats administratifs ou judiciaires.

Au plan national, l’USMA et le SJA demandent aux autorités françaises de soutenir les efforts européens afin de rétablir l’indépendance de la justice polonaise et de sauvegarder l’Etat de droit en Pologne.