Monsieur le Premier Ministre, Les tribunaux administratifs sont confrontés depuis plusieurs années à une croissance des litiges de l’ordre de 5% par an et cette croissance s’accélère depuis deux ans (+17% en 2003 et +18% en 2004).
Malgré cette évolution récente, votre gouvernement n’a pas accordé à la justice administrative tous les moyens budgétaires qui devaient lui être alloués en application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. Les tribunaux administratifs tout particulièrement, mais aussi les cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat se trouvent donc dans une situation très difficile.
Le 10 mars 2005, lorsque vous avez présidé l’Assemblée générale plénière du Conseil d’ Etat, comme le permet l’article L. 121-1 du code de justice administrative, son Vice-Président vous a informé de ces difficultés et a, à cette occasion, déploré la politique du ministère de l’intérieur en matière de reconduites à la frontière dans la mesure où elle génère un « contentieux inutile ».
Nous partageons totalement son analyse et ne comprenons pas pourquoi les instructions de ce ministère – qui viennent encore d’être rappelées dans une communication au Conseil des ministres du 12 mai dernier – visant à augmenter le nombre d’arrêtés de reconduite à la frontière et leur taux d’exécution (ce taux atteint 20% en 2004), concernent également les arrêtés notifiés par voie postale puisque seuls environ 1% d’entre eux sont exécutés.
Le taux d’exécution des arrêtés notifiés par voie postale est tellement faible que le ministère de l’intérieur ne l’a indiqué ni au Parlement (voir le rapport de M. MARIANI, député, sur la « Maîtrise de l’immigration et le séjour des étrangers en France » de juin 2003, page 15, voir également la demande significative présentée le 4 novembre 2004 par MM. DE MONTESQUIOU et ARTHUIS, sénateurs, dans le cadre des travaux de la commission des finances sur le budget du ministère de l’intérieur pour 2005, tendant à ce que l’indicateur de performance du ministère de l’intérieur mesurant le nombre de mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière soit remplacé par le taux d’exécution de ces mêmes mesures), ni à la Cour des comptes (voir le rapport de la Cour des comptes dénommé « Accueil des immigrants et intégrations » novembre 2004, page 199). Pourtant la situation commence à être connue et risque un jour d’être publiquement dénoncée.
La politique « d’affichage », mais non de transparence comme il vient d’être montré, du ministère de l’intérieur nous apparaît particulièrement critiquable au regard de la charge de travail qu’elle génère dans les préfectures, au ministère de l’intérieur comme dans les juridictions administratives.
Il convient en effet de savoir que les requêtes contre des arrêtés de reconduite à la frontière ont cru de 51 % entre 2003 et 2004 mais que les jugements sur ces affaires n’ont pas pu augmenter au même rythme (+15%), que ces requêtes représentent en 2004 10% du total des requêtes déposées devant les tribunaux administratifs et que plus de 70% d’entre elles concernent des arrêtés notifiés par voie postale. Enfin, alors que la situation des cours administratives d’appel commence juste à s’améliorer grâce aux moyens qui leurs ont été affectés dans le cadre des contrats d’objectifs conclus en 2002, depuis le 1er janvier 2005, en application du décret n° 2004-789 du 29 juillet 2004, ces cours doivent statuer sur les appels contre les jugements des tribunaux administratifs rendus sur des requêtes dirigées contre des arrêtés de reconduite à la frontière. Compte tenu du nombre croissant de recours en première instance et, par conséquent, du nombre également croissant d’appels interjetés contre les jugements sur les arrêtés de reconduite à la frontière, le bénéfice des premières années de la loi de programmation pour la justice risque donc d’être totalement anéanti.
Dans ces conditions, l’Union syndicale des magistrats administratifs est favorable à une modification législative tendant à prévoir que les arrêtés de reconduite à la frontière ne peuvent être notifiés aux intéressés que par voie administrative. Cette réforme ramènerait l’arrêté de reconduite à la frontière à son essence même qui est celle d’être une mesure dont l’exécution forcée peut être décidée d’office sauf, bien entendu, si elle est contestée au contentieux (voir Tribunal des conflits 16 janvier 1995 Préfet de la Gironde). Autrement dit, l’arrêté de reconduite à la frontière n’a pas de sens en dehors de son exécution.
C’est pourquoi, Monsieur le Premier ministre, nous vous saurions gré de bien vouloir nous indiquer les suites que vous comptez donner aux observations hautement justifiées du Vice-Président en ce qui concerne les arrêtés ordonnant la reconduite à la frontière des étrangers notifiés par voie postale.
Je vous prie, Monsieur le Premier Ministre, de bien vouloir agréer l’expression de ma très haute considération.