Projet de réforme de la haute fonction publique

Le Vice-président du Conseil d’Etat a reçu hier en fin de matinée les organisations syndicales, après les chefs de juridiction, afin d’évoquer les grandes lignes de la réforme de la haute fonction publique et ses conséquences pour les magistrats administratifs.

Cette rencontre précédait le discours du Président de la République, qui souhaite supprimer l’ENA et créer l’ISP (Institut du service public).

Des échanges que nous avons pu avoir, les conditions pour devenir magistrat administratif devraient peu changer. Le concours, le recrutement par l’école remplaçant l’ENA, probablement en légère baisse, et les autres voies d’accès sont maintenues.

Le déroulé de la carrière des magistrats est en revanche affecté et dans un sens que l’USMA ne peut accepter. En effet, si quelques places supplémentaires pourraient être envisagées pour le recrutement de maîtres des requêtes au CE parmi les magistrats administratifs, il serait prévu :

–       D’une part que le magistrat devra effectuer deux mobilités, une au grade de conseiller pour passer au grade de premier conseiller et une autre pour être promouvable au grade de président

–       D’autre part, que le magistrat ne pourra plus bénéficier de la mobilité en CAA prévue par l’article L 234-2-2 du CJA

Ces changements nous ont été présentés comme une volonté politique. Si nous louons les efforts du CE de maintenir les recrutements diversifiés, nous sommes beaucoup plus sceptiques sur les autres sujets.

En effet, l’évolution liée à la mobilité n’est, en somme, que la traduction des orientations du CSTA que l’USMA a vainement contestées au contentieux sur l’accès au grade de président et traduit la vision du CE – déconnectée de la réalité –  sur l’existence d’un parcours idyllique. Si des difficultés pratiques vont exister pour la mobilité dès le stade du grade de conseiller, selon nous il s’agit bien d’une volonté d’institutionnaliser cette double mobilité et de supprimer la « dispense » par le passage en CAA.

Surtout, il nous a été indiqué que la réforme n’est pas conduite contre le juge administratif, ce que nous croyons bien volontiers vu les efforts des magistrats. Or nous la subissions de plein fouet. Nous cumulons les inconvénients de l’absence d’un corps unique de la première instance à la cassation et l’étendard affiché par le CE de ce que nous serions des hauts fonctionnaire investis de missions juridictionnelles.

Notre rattachement à la haute fonction publique, sans réelle prise en considération de notre qualité et de notre statut actuels de magistrat, conduit à ce que nous soyons inclus dans cette réforme politique de la haute fonction publique et, qui plus est, sans que des garanties liées à notre qualité de juge ne nous soient apportées pour l’avenir. Dès lors que le Conseil d’Etat s’est chargé des discussions pour les deux corps, nous nous sentons par ailleurs dépossédé de la possibilité de défendre le statut de magistrat, que le Conseil d’Etat ne revendique pas.

Au cours du bref échange, vos représentants USMA ont manifesté leur mécontentement et plaidé pour qu’a minima l’une des deux mobilités soit géographique et la seconde fonctionnelle et pour une réelle déconnexion entre le grade de président et l’emploi soit mise en place. Après deux mobilités contraintes hors du corps, si les perspectives d’atteindre le grade de président demeurent bouchées, quelle attractivité aurons-nous ?

L’USMA sera vigilante sur l’application dans le temps de cette réforme et des discussions sont également prévues pour éviter la double mobilité pour les personnes rejoignant en cours de carrière les TA/CAA et un renforcement notamment indiciaire doit être pensé pour pallier l’allongement des carrières notamment au grade de conseiller. Si les magistrats administratifs sont soumis aux mêmes obligations de mobilité et de terrain que les administrateurs de l’Etat, le point de comparaison des rémunérations ne pourra d’ailleurs pas être les seules CRC.

Au-delà de ces commentaires faits à la hâte, il est temps pour notre organisation syndicale de réaffirmer certaines de ses lignes directrices, sans préjudice des discussions qui pourront avoir lieu pour limiter les conséquences de cette réforme sur le métier de juge.

  • Nous poursuivrons inlassablement notre demande de constitutionnalisation de la juridiction administrative qui, seule, permettrait de la garantir, avec une loi organique régissant les magistrats administratifs et les plaçant à l’abri de modifications de la haute fonction publique, au gré des alternances politiques.
  • Les attributs d’un juge n’ont jamais été aussi importants : la prestation de serment et le port de la robe pour les magistrats administratifs.
  • Un corps unique de magistrats administratifs de la première instance à la cassation.

Tous ces éléments visent à la préservation d’une magistrature de carrière, essentielle pour l’impartialité et l’indépendance de nos fonctions, ce qui n’est pas incompatible avec des mobilités en cours de carrière dès lors qu’elles ne sont pas imposées de cette manière et si les possibilités offertes sont à la hauteur de l’ambition affichée.

S’il est plus aisé de changer de ministère pour un administrateur civil, la situation un magistrat administratif est très différente et doit le demeurer … sans même parler des difficultés personnelles, logistiques, familiales, en particulier pour les collègues hors de l’Ile-de-France.

Ce projet de réforme démontre s’il en était besoin que les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment entendu la nécessité de garantir l’impartialité et l’indépendance du juge administratif.  Nous remplissons la mission particulière de juger, ce qui n’est pas administrer et nécessite une réelle indépendance et une autonomie à l’égard de la haute fonction publique lorsque nous exerçons nos fonctions de magistrats.

Plus que jamais l’USMA sera mobilisée au stade du projet d’ordonnance et pour les textes d’application.

N’hésitez pas à nous faire remonter, d’ores et déjà, vos interrogations et vos remarques.