USMag’ #25 – décembre 2021 : les indicateurs sont au rouge!

Édito  

Chères et chers collègues,

Endeuillés par un suicide, plus de la moitié des magistrats judiciaires ont signé une tribune pour dénoncer la politique du chiffre, leurs conditions de travail et leur souffrance éthique.

Nous, magistrats administratifs, voulons garder un sens à notre métier, y conserver sa dimension humaine et cesser d’être stressés par des objectifs quantitatifs, comparés, pardon « benchmarkés » par tribunaux ! Nous voulons du temps pour bien faire notre travail. Et notre temps n’est pas extensible : il est celui que tout salarié peut raisonnablement y consacrer.

Il n’est pas admissible d’entendre, alors que les signaux d’alerte se multiplient, que notre surcharge de travail serait un « ressenti », que nous aurions trop d’activités extérieures là où nous ne prenons même pas nos congés légaux et que nous prenons sur notre temps personnel pour faire « rayonner » la juridiction administrative !

Nous sommes solidaires avec nos collègues judiciaires et exigeons la fin de cette logique productiviste dévastatrice, parce que cette logique, importée du secteur concurrentiel, ne trouve pas sa place au sein du service public de la justice, quel que soit l’ordre juridictionnel concerné.

L’USMA est en relation avec les deux organisations syndicales des magistrats judiciaires pour les suites à donner à cette tribune

Bonne lecture à tous !

EN BREF

Outre-mer

L’USMA suit particulièrement la situation de nos collègues affectés aux tribunaux de la Guadeloupe et de la Martinique. La sécurité des magistrats et agents doit demeurer la priorité.

Malgré la « septaine » et les menaces de boycott, nous souhaitons un bon séjour et de bonnes opérations électorales à nos collègues arrivés en Nouvelle-Calédonie.

Rémunération

L’unique et modeste revalorisation obtenue depuis 2009 doit maintenant, après deux années à être versée dans la part variable, et après une négociation conjointe de vos organisations syndicales, se trouver en majeure partie intégrée à notre part indemnitaire fixe par un texte actuellement au niveau de Bercy qui va modifier l’arrêté du 29 décembre 2009. Ce texte est indépendant de la revalorisation espérée – que nous suivons – dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique.

Solennité des audiences, rencontre avec le VPCE

Le 24 novembre, l’USMA a rencontré le Vice-président du Conseil d’Etat pour échanger sur le rapport rendu par le groupe de travail sur la solennité (présidé par M. Olson). Ce rapport, dont M. Olson nous avait présenté oralement les orientations, comporte une analyse très riche sur ce sujet porté par l’USMA. Ses propositions seront examinées lors de la séance du CSTA du 8 décembre. Nous avons rappelé au VP notre attachement à la prestation de serment proposée par le groupe de travail et réaffirmé que « l’unité de la juridiction administrative » ne devait pas conduire à sacrifier la spécificité d’un serment propre aux magistrats. Nous lui avons d’ailleurs adressé, à sa demande, une proposition de rédaction textuelle en ce sens. Sur la solennité, bien que nous regrettions toujours l’absence de la robe, le rapport, qui reprend plusieurs de nos idées, propose de nombreuses pistes intéressantes notamment sur l’installation des magistrats.

A l’occasion de cet échange, l’USMA est revenue sur l’appel des magistrats judiciaires et l’importance d’en tirer les conséquences pour notre corps. Il faut agir rapidement sur la charge de travail et les conditions de l’exercice de notre métier (qui passe par les outils informatiques, la mesure dans la dématérialisation, la simplification du contentieux, l’augmentation des moyens et la rémunération). Enfin, l’USMA a fortement insisté sur le fait que la modification des orientations liées à l’accès au grade de président dès 2022 et sur des points aussi essentiels que l’année pivot, les réinscriptions ou l’avis des chefs de juridiction ne pouvait être décidée lors du CSTA du 8 décembre sans avoir pris le temps nécessaire pour débattre et pour échanger sur un sujet aussi important et structurant pour le corps.

Groupe de travail modulation

L’USMA a de nouveau été auditionné par le GT modulation, présidé par Mme Mariller, le 26 novembre.

Nous avons rappelé notre opposition à cet « outil de management » (relire notre contribution) présenté dans la lettre mission comme une réponse aux « frustrations chez les magistrats qui ont eu à fournir des efforts particuliers » mais que personne ou presque ne demande, notamment pas les chefs de juridictions. Impropre à atteindre les objectifs productivistes du gestionnaire selon les études scientifiques, il emporte un risque sérieux en cas d’attribution d’un taux inférieur (à l’année passée, à la moyenne, au voisin…) de démotivation personnelle et d’atteinte aux collectifs juridictionnels. Il serait inacceptable que cela puisse revenir sur l’arbitrage retenu après le combat mené par les deux syndicats contre l’augmentation de la part variable.

L’USMA sera très ferme sur les éventuelles préconisations issues de ce rapport. La voie du productivisme est une impasse destructrice.

MALAISE CHEZ LES MAGISTRATS

Les indicateurs sociaux sont au rouge

Une présentation du baromètre social plus détaillée a été faite aux organisations syndicales le 25 novembre. Nous en avons surtout profité pour demander les résultats précis sur un certain nombre de questions.

Il en ressort que si nous reconnaissons que notre métier reste intellectuellement stimulant, offrant une liberté d’organisation et de l’autonomie ainsi qu’un sentiment d’utilité sociale, nous sommes 70% à pointer une charge de travail excessive parmi les facteurs de démotivation, en augmentation par rapport à 2017 ! Le prestataire met un signal danger devant le constat que 53% se disent souvent ou très régulièrement stressés par le rythme de travail. Nous ne sommes plus que 37% à être satisfaits de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. A cela s’ajoute, l’absence de perspectives de carrière, la rémunération et la méconnaissance des TACAA par le gestionnaire. Et une image très dégradée du Conseil d’Etat.

Si la charte des temps défendue par l’USMA est un outil de séparation des temps entre la vie privée et familiale, nous sommes circonspects quant au projet d’audit, dont nous ignorons tout. Il n’est pas question que le prestataire missionné par le gestionnaire se livre à des tentatives de mesurage grossières et productivistes de nos activités !

+50% d’arrêts de travail en quatre ans dans les TACAA, les arrêts de 15 à 45 jours ont presque doublé.

L’USMA compte bien que cette évolution sera également « auditée », tout comme devraient l’être les départs définitifs du corps et les retours des détachés dans leurs corps d’origine. Nous savons par vos retours que la cellule d’écoute n’est pas toujours saisie, malgré des situations de souffrance qui peuvent concerner une juridiction entière, surtout lorsqu’elle est petite. Là aussi, il y a matière à analyse et amélioration.

Tribune des magistrats judiciaires

Le jeudi 25 novembre au soir, 4375 magistrats judiciaires (sur 8 300), 414 auditeurs de justice et 776 greffiers avaient osé dire leur souffrance au travail en signant la tribune écrite suite au suicide d’une magistrate judiciaire de 29 ans. Extrait :  

« Nous souhaitons affirmer que son éthique professionnelle s’est heurtée à la violence du fonctionnement de notre institution. (…)

À ses conditions de travail difficiles s’ajoutaient des injonctions d’aller toujours plus vite et faire du chiffre. Mais Charlotte refusait de faire primer la quantité sur la qualité. Elle refusait de travailler de façon dégradée. A plusieurs reprises, au cours de l’année qui a précédé son décès, Charlotte a alerté ses collègues sur la souffrance que lui causait son travail.  Comme beaucoup, elle a travaillé durant presque tous ses weekends et ses vacances mais cela n’a pas suffi. S’en sont suivis un arrêt de travail, une première tentative de suicide. (…)

Aujourd’hui, nous témoignons car nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout ».

Que nous voulions être solidaires ou que certains se reconnaissent, ces pétitions ne nous sont pas ouvertes. Nous vous invitons à prendre un temps pour lire ce texte essentiel.

Les effets de « la nouvelle gestion publique »

Pour élargir la réflexion, l’USMA vous invite également à lire ou relire la très éclairante tribune publiée le 27 août 2020 dans le Monde par Marie Leclair, représentante du Syndicat de la magistrature au CHSCT ministériel et Christophe Dejours, psychiatre psychanalyste et professeur pour comparer les évolutions du système de santé français et de l’institution judiciaire. Extrait :

« (…) Si les juridictions sont encore dirigées par des gens de métier, et non par des administratifs, ces professionnels ont été, au fur et à mesure des réformes – la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) –, de plus en plus absorbés par des tâches de gestion exclusivement orientées vers l’industrialisation et le contrôle de la « production judiciaire », dans une approche de l’activité par la seule mesure chiffrée des flux, des stocks et des délais. Pour obtenir que des postes soient créés, ou simplement pourvus, la hiérarchie judiciaire se soumet à l’exercice comptable et au langage codé du « dialogue de gestion », devenu « dialogue de performance », qui met en compétition les juridictions sur la base de mesures de quantités.

(…) Ces outils, qui ont favorisé la mise en concurrence des professionnels, ont également conduit à une désaffection pour les contentieux les plus complexes et les plus difficiles, et même à une stigmatisation de l’excellence, facilement disqualifiée en « perfectionnisme » inutile ou en « résistance au changement (…) ».

Pour prendre plus de recul encore… Faisons un peu de philosophie, restons des artisans

Arthur Lochmann s’est formé au droit, à la philosophie… et à la charpente. Il est notamment l’auteur de « La vie solide », livre dans lequel il oppose le savoir-faire artisanal des charpentiers à la vie liquide de transformations perpétuelles que l’on nous somme de vivre.

Le savoir-faire est un ensemble de règles qui donnent un contenu au métier, à savoir l’élan humain élémentaire et durable de bien faire son travail. Les savoirs faire vivent au-delà du travail de chacun, ils se transmettent sur le long terme et se partagent.

Nous ne sommes pas des opérateurs arianistes rivés à nos trois écrans tentant de suivre des textes et jurisprudences « liquides », nous façonnons des solutions juridiques uniques et fiables grâce à un savoir-faire partagé.

Agenda de l’USMA

1er décembre
Groupe de travail CFJA
8 décembre
CSTACAA
9 décembre
Visite de juridiction
10 décembre
Assemblée générale et Conseil syndical de l’USMA
15 décembre
Comité d’action sociale