Entretien avec l’association Justice administrative alter-égale (JAAE)

L’USMA a saisi l’occasion de la journée internationale des droits des femmes pour réaliser une interview croisée avec sa présidente Christine Maugüé, conseillère d’Etat et fondatrice de l’association, Claire Balaresque, première conseillère à la CAA de Marseille et Sophie Rimeu, présidente de chambre au TA de Nantes, toutes les deux membres du bureau.

L’objectif principal de JAAE est d’œuvrer au développement et au renforcement de l’égalité professionnelle au sein de la juridiction administrative. Cela signifie notamment se préoccuper des questions de gouvernance et de partage du pouvoir, et donc de carrière des membres de la juridiction, mais également de conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle, de lutte contre le sexisme « ordinaire » et les violences sexistes et sexuelles ou encore de visibilité des femmes au sein de la juridiction administrative. 

L’objectif de JAAE aujourd’hui est également d’inclure dans son action toutes les personnes qui travaillent dans les juridictions administratives, quel que soit leur statut et leur emploi : de l’agent.e de greffe d’un tribunal administratif au membre du Conseil d’État.  Ce mouvement d’ouverture aux agent.es et non plus aux seuls magistrat.es, déjà en germe dans les statuts de l’association, a été décidé lors de l’assemblée générale du 10 mars 2023 et depuis un an, beaucoup de chemin a déjà été parcouru : l’association compte aujourd’hui parmi ses adhérent.es des rapporteur.es à la CNDA, des greffiers et greffières, agent.es de greffe et assistant.es du contentieux. Ces nouvelles recrues ont participé cette année aux ateliers proposés et sont pour certaines actives dans le groupe de travail VSS mis en place à l’automne 2023.

L’intégration progressera encore lors de notre prochaine assemblée générale en mars 2024, qui devrait permettre l’entrée au conseil d’administration de l’association de nouvelles personnes, afin que celui-ci reflète autant que possible la diversité des grades et métiers de la justice administrative. L’objectif de JAAE est aujourd’hui d’avoir une vision large et inclusive de l’égalité femme-homme, qui intéresse tout le monde, les femmes comme les hommes, tant les grades très féminisés comme ceux des agent.es de greffe et de rapporteur.es à la CNDA que celui de président de TA qui l’est beaucoup moins.

Peut-être que le principal apport est d’avoir porté et mis à jour des sujets qui n’étaient jusqu’alors pas traités en tant que tels : nous pensons notamment à la féminisation des noms de fonctions ou encore aux besoins de formation dont témoigne le succès de nos ateliers sur la prise de parole en public, l’intelligence émotionnelle ou encore le travail de l’estime et de la confiance en soi.

Le travail réalisé autour du mentorat est également une belle réussite, tant pour les mentor.es que pour les mentoré.es, certain.es ayant d’ailleurs endossé les deux rôles. Enfin, la réflexion menée autour des sujets d’égalité paraît également déterminante : par les midis de l’égalité et les évènements annuels, l’association propose une ouverture sur l’extérieur qui permet, non seulement de faire connaître ce qui se fait en la matière dans les autres administrations et dans le secteur privé, mais également de réfléchir ensemble, grâce aux travaux menés par les scientifiques et aux mouvements en cours dans différents secteurs, aux moyens de faire avancer la cause de l’égalité femmes-hommes.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus d’égalité professionnelle au sein de la juridiction administrative et nous nous en réjouissons. 

La diffusion d’une vraie culture de l’égalité, qui ne soit pas seulement celle garantie par le concours : il faut réussir à prendre en compte les mécanismes cachés, mais de moins en moins tus, accepter de mettre en place des politiques très volontaristes de formation, d’accompagnement. Cela passera notamment par la fixation d’objectifs ambitieux, la mise en place et la diffusion d’indicateurs précis et un changement culturel. Il faut à cet égard saluer la démarche volontariste du secrétariat général sur ces questions – nous serons évidemment particulièrement attentif.ve.s aux résultats de la mise en œuvre du protocole d’accord pour l’égalité professionnelle au sein de la juridiction administrative.

L’institution doit traquer en son sein avec détermination les comportements sexistes et discriminations, qui existent dans la juridiction administrative comme dans l’ensemble de la société et ne doivent en aucun cas être tus ou sous-estimés. Cette question, qui concerne tout le personnel de la justice administrative, tient particulièrement à cœur à JAAE, qui entend bien continuer à jouer un rôle d’aiguillon en la matière.

Tout d’abord, il faut souligner qu’aujourd’hui, la pyramide des grades au Conseil d’État et parmi les magistrat.es montre que l’égalité réelle en la matière n’est pas atteinte. La réflexion menée lors de notre conférence du 10 mars 2023 sur le plafond de verre a d’ailleurs contribué à mettre au jour les mécanismes à l’œuvre et la nécessité de politiques et d’actions très volontaristes pour faciliter les carrières des femmes.

S’agissant ensuite de l’avancement de grade des magistrates, oui le risque existe et les travaux qui avaient été menés en 2020-2021 par le groupe de travail sur les difficultés concrètes liées au genre et à la conciliation vie privée-vie professionnelle l’avaient d’ailleurs bien montré. Et cette question concerne également de plus en plus les hommes, qui, dans les nouvelles générations, partagent davantage les tâches et s’investissent plus dans la vie quotidienne des enfants.

Le risque de rupture d’égalité professionnelle existe donc, et nous sommes particulièrement préoccupé.es par la différence entre le nombre de femmes et d’hommes actuellement en détachement (au 31 décembre 2022 ; 94 magistrates étaient en détachement, contre 149 magistrats). Si cette tendance devait se confirmer, cela signifierait que de nombreuses premières conseillères ne rempliront pas, le moment venu, les conditions pour pouvoir être promues. Nous serons donc particulièrement attentif.ves (comme les organisations syndicales d’ailleurs), à l’évolution de cette situation et aux actions qui seront mises en œuvre.

A cet égard, le travail mené par le secrétariat général, sur l’accompagnement des parcours, avec l’identification des postes susceptibles d’être occupés par des magistrat.es mobilité en dehors de la région parisienne est une très bonne chose mais compte-tenu de l’installation en IDF de la majorité des administrations de l’État , cette piste s’avère aujourd’hui nettement insuffisante pour permettre à toutes et tous les premiers conseillers et conseillères de trouver des mobilités adaptées à leur expérience et leurs compétences sans bouleverser leur vie privée et familiale.

Oui, la charte a bien eu des effets bénéfiques concrets, tout d’abord car elle affirme très clairement la nécessité d’être attentif à la question des horaires, question essentielle pour faciliter la conciliation des temps, et donc l’égalité professionnelle.

Nous ne disposons pas de chiffres précis sur ses effets et votre question nous donne d’ailleurs l’idée de lancer une enquête flash sur cette question auprès de nos adhérent.es et sympathisant.es. Mais, sans attendre les résultats de cette enquête, il nous semble d’ores et déjà que la charte des temps a permis, lorsque cela était nécessaire, de responsabiliser les encadrant.es sur ces questions et a également facilité les échanges. Il est probablement plus facile aujourd’hui de faire état, sans difficulté, de ses propres contraintes personnelles, en particulier pour les parents d’enfants en bas-âge.

Cette charte constitue également un outil de responsabilisation pour chacune et chacun d’entre nous, en nous incitant à adopter les bonnes pratiques permettant de faciliter la conciliation des temps.

Pour améliorer son effectivité, il conviendrait de renforcer la diffusion de cette charte (information sur son existence et son contenu dès la formation au CFJA, ajout dans les livrets d’accueil en juridiction, affichage en juridiction, etc.).

D’autres outils peuvent être très intéressants ; dans certaines administrations, lorsqu’on souhaite envoyer un mail hors des horaires définis dans la charte des temps, un message d’alerte rappelle à l’expéditeur qu’il ne respecte pas cette charte. Cela facilite l’apprentissage des bonnes habitudes ! Il est également possible de mentionner sur les mails qu’ils n’appellent pas de réponse hors des heures de travail. Il serait assez simple d’inviter chacun.e des membres de la juridiction à prévoir un tel message en complément de sa signature électronique.

On peut aller encore plus loin et prévoir que les encadrant.es vérifient le respect de la charte des temps lors de l’évaluation annuelle.  

Depuis plusieurs mois, des adhérent.es de l’association travaillent sur ces questions, au sein d’un groupe de travail qui a notamment diffusé un questionnaire auquel plus de 600 membres de la juridiction ont répondu. Ce groupe de travail n’a pas encore terminé ses travaux, qui seront d’ailleurs évoqués lors de notre AG du 15 mars prochain, mais on peut d’ores et déjà identifier plusieurs actions prioritaires. Tout d’abord, il conviendrait de renforcer les outils permettant d’aider à l’identification des VSS, car notre enquête a montré que les collègues manquent, pour certain.es d’entre eux, d’éléments sur ce point. Ensuite, il apparaît nécessaire de mettre en place des formations obligatoires sur les VSS pour tous les membres, magistrat.es, agent.e.s des juridictions administratives (exerçant des fonctions de management ou non) ainsi que pour les personnels vacataires. Il faut également renforcer la communication auprès de tous.tes sur les différents interlocuteurs à saisir en cas de situations de violence ou de harcèlement sexuel, en particulier la cellule d’écoute Allodiscri dont la visibilité n’apparaît pas suffisante, ceci afin de faciliter la parole.

Des actions de communication doivent également permettre de sensibiliser régulièrement les membres, magistrat.es et agent.e.s à ces questions (à travers des évènements aux dates clés et la mise à disposition de supports d’information au sein de chaque service).

Le 15 mars sera tout d’abord le moment de notre assemblée générale annuelle, permettant à une partie de nos 246 adhérent.es de se retrouver et d’évoquer ensemble les perspectives et travaux de l’association.

Après l’AG, débutera notre colloque, qui est ouvert à tous.tes. Après l’organisation d’un débat sur la parole des femmes à la CAA de Paris en 2022, puis sur le plafond de verre au Conseil d’Etat en 2023, nous avons décidé de nous pencher cette année sur la question de la visibilité des femmes. Nous souhaitons explorer le chemin des femmes vers plus de visibilité, les principaux leviers pour parvenir à l’égalité en la matière et les obstacles rencontrés dans ce combat.

Pour analyser cette question passionnante, nous avons fait le choix, comme lors des précédentes éditions, d’une table ronde pluridisciplinaire, afin d’aborder cette question sous différents angles et points de vue. Nous aurons ainsi le plaisir d’entendre Christine Bard, co-présidente de l’AFEMUSE (association de préfiguration du musée des féminismes), qui est professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers. Elle est déjà intervenue lors d’un midi de l’égalité et nous l’avions trouvée tellement passionnante et inspirante que sa présence lors de notre table ronde nous a semblé une évidence. Nous accueillerons également Titiou Lecoq, journaliste et autrice, dont l’ouvrage « Les Grandes Oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes », décrypte avec talent le processus d’invisibilisation des femmes dans l’histoire, alors qu’elles ont toujours agi. Interviendront également Yannick Chevalier, maître de conférences de grammaire et stylistique française à l’Université Lumière Lyon 2, qui s’est particulièrement intéressé à la grammaire du genre et à l’écriture inclusive et Jessica Lopez-Escure, adjointe à la rédactrice en chef centrale de l’AFP, qui abordera en particulier la question de la place des femmes dans les médias, et de l’amélioration de leur place dans les contenus. Enfin, Dalila Belaza, chorégraphe, interprète et pédagogue, évoquera la question de la place des femmes dans les arts, et plus particulièrement dans la danse.

Le cocktail qui clôturera ces travaux sera aussi l’occasion de découvrir des ouvrages en lien avec le thème de notre table ronde, grâce aux libraires de la librairie féministe « un livre et une tasse de thé », qui seront présentes.

Pour mieux connaître l’association, vous pouvez également consulter son site internet.