Audrey Cavaillier a été élue présidente du syndicat des juridictions financières (SJF) le 5 mars 2024.
L’USMA a saisi cette occasion pour poursuivre les échanges sur les sujets d’intérêts communs (qualité de la justice, office du juge, statuts, rémunération, protection sociale complémentaire…) entre nos deux corps et les enjeux propres du moment.
1/ La réforme de la haute fonction publique, mais aussi la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice qui prévoit la dissociation du grade et de l’emploi de président de section, accompagnée de son décret d’application du 1er février 2024, ont profondément modifié le déroulement de carrière et les conditions d’exercice du métier de magistrat financier.
Pouvez-vous nous en dire deux mots ? Quels sont les enjeux qui vous attendent ?
Les magistrats de chambres régionales des comptes tenaient à être inclus dans le périmètre de cette réforme, notamment en termes de comparabilité de l’architecture du corps avec trois grades, identique à celle des administrateurs de l’État. Mais il était également important d’obtenir des grilles indiciaires similaires. Nous avons obtenu gain de cause.
Concernant l’autre réforme majeure de nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics qui a touché le corps, il était impensable pour les collègues que notre statut de magistrat soit remis en cause. Ce ne fut pas le cas, car il est nécessaire pour assurer notre indépendance et garantir de notre impartialité à l’occasion de l’exercice principal de notre mission, à savoir le contrôle des comptes et de la gestion des organisations publiques.
En revanche, comme vous, nous attendons la mise en œuvre de la même comparabilité pour notre régime indemnitaire. Pour l’instant, nous n’y sommes pas et les négociations sont toujours en cours avec notre administration. A priori, nos secrétariats généraux respectifs mènent ce chantier de concert, dans les négociations qui s’opèrent avec la DGAFP.
Enfin, nous avons connu la réforme relative à la dissociation du grade et de la fonction concernant le troisième grade. Avant cette réforme, l’architecture du corps se divisait en trois grades : conseiller, premier conseiller et président de section (PS). Les collègues des deux premiers grades exerçaient essentiellement des fonctions de rapporteur du siège ou de procureur financier au Parquet. En revanche, les collègues titulaires du grade de PS exerçaient automatiquement des fonctions managériales et encadraient une section de magistrats.
Aujourd’hui, le grade et la fonction sont différenciés. Le fait d’être titulaire du troisième grade, désormais appelé conseiller président, n’emporte pas automatiquement une nomination sur la fonction de PS.
Un conseiller président peut demeurer rapporteur, au moins dans un premier temps, avant de se voir confier cette fonction. Les principaux critères retenus pas l’administration sont l’aptitude managériale et le volontarisme en termes de mobilité. Par exception et sous réserve des nécessités de service, la nomination d’un conseiller président au sein de sa chambre d’appartenance pour exercer les fonctions de PS demeure une possibilité.
2/ Les magistrats financiers ont désormais une obligation de double mobilité. Comment sont-elles définies et concrètement mises en œuvre ? Quel regard portez-vous sur ses effets et quelles améliorations pourraient être apportées ?
Depuis le 1er juillet 2023, les nouveaux entrants dans le corps via le concours direct, le tour extérieur et l’INSP se voient contraints à une double mobilité pour accéder au grade de premier conseiller, puis celui de conseiller président.
En revanche, les membres du corps intégrés après un détachement sont réputés remplir cette condition d’avancement du fait de l’exercice de fonctions dans une autre administration avant leur entrée dans le corps. Pour autant, cette entrée est soumise en amont à l’examen du collège de déontologie s’ils ont officié précédemment dans un établissement au sein du périmètre géographique de la CRTC. Cela peut freiner certains postulants.
3/ Le jugement des comptes est aujourd’hui exercé à la chambre du contentieux, avez-vous toujours l’occasion de porter la robe ? Ce symbole est-il important et que représente-t-il ?
Le port de la robe de magistrat est un symbole encore plus important depuis que nous la portons moins ! En effet, le contrôle juridictionnel n’existe plus localement au sein des CRTC, mais la responsabilité des gestionnaires est examinée par la septième chambre de la Cour des comptes. Or, cette chambre est composée à parité de magistrats de la Cour des comptes et de magistrats de CRTC. Là encore, dans le cadre du suivi de leurs dossiers, les procureurs financiers des CRTC assistent le procureur général près la Cour des comptes dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, et l’accompagnent en robe à l’audience.
De plus, ce contentieux est très souvent alimenté via le déféré des CRTC lorsque des graves anomalies de gestion sont constatées par l’équipe de contrôle. Les rapporteurs sont en quelque sorte le pendant des juges d’instruction de l’organisation judiciaire. Ces derniers ne se voient pas contester leur qualité de magistrat ; en effet, ils sont un maillon de la chaine juridictionnelle et contribuent à l’aboutissement des poursuites, bien qu’ils ne rendent pas de jugement. Le positionnement des magistrats de CRTC est similaire.
4/ Quelles évolutions avez-vous constatées ces dernières années s’agissant des échanges entre magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes et les magistrats de la Cour des comptes ? Quelles formes prennent ces échanges et quels en sont les enjeux ? Permettent-ils une amélioration des pratiques et de la qualité de la justice ?
Le programme « juridictions financières 2025 » porté par notre Premier président a pour ambition de rapprocher les missions des magistrats de la Cour des comptes et des CRTC, afin qu’ils deviennent selon son expression « les deux faces de la même pièce ». Du fait du rapprochement de ces missions, les passerelles entre nos deux corps sont de plus en plus nombreuses.
Diverses actions ont été entreprises pour opérer ce rapprochement à l’exemple de :
- une programmation des CRTC qui s’insère dans une programmation de la Cour des comptes, par le biais de formations communes sur des sujets d’enjeux à la fois nationaux et régionaux, tels que l’adaptation au changement climatique ;
- des compétences de la Cour des comptes qui s’étendent aux CRTC, telle que l’évaluation des politiques publiques ;
- la généralisation de certaines pratiques des CRTC, à l’image de la publication de tous les rapports d’observations définitives qui s’applique progressivement aux travaux de la Cour des comptes.
Toutes ces actions concourent à une meilleure lisibilité des actions par le citoyen, et surtout à la réalisation de travaux plus en lien avec ses intérêts. Il est d’ailleurs important de signaler que chacun peut proposer aux juridictions financières des thématiques de contrôle ou l’examen de telle ou telle organisation publique via la plateforme en ligne de la Cour des comptes ou des CRTC. Ainsi, nous revenons aux fondamentaux de notre mission qui figurent dans l’article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 des droits de l’homme et du citoyen : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».