Un centre de formation pour des magistrats avec des magistrats
D’une manière générale, les magistrats sont globalement satisfaits du CFJA mais nous avons le sentiment que le sens s’est un peu perdu récemment. L’adaptation au distanciel, en urgence, a été réussie mais il ne faut cependant pas perdre une vision d’ensemble, la connaissance de notre métier et les qualités d’écoute avec les formés et formateurs.
Parmi les réussites, relevons :
- Une formation initiale structurée autour des niveaux de compétence à l’entrée (concours, tour extérieur, détachés, énarques), des stages d’immersion, des formations pratiques en chambre de formation, des enseignements approfondis optionnels en fin de formation.
- Le développement de la formation à distance pour la formation continue mais également une ouverture aux formations locales ou délocalisées qui ont notre préférence.
- La formation de formateurs mise en place depuis 2016.
Au titre des points de vigilance et propositions :
- L’USMA estime que la connaissance de notre métier est essentielle pour organiser la formation. Il faut certes la capacité de proposer une offre diversifiée dans sa forme et son contenu mais, surtout, une connaissance pratique de notre métier. Deux exemples de malentendus : une journée entière sur les MOP la première semaine pour des personnes dont la majorité ne sait pas comment s’organise un tribunal ou qui dans une chambre peut décider de soulever les MOP. Une ancienne assistante de justice au CE qui se voit répondre qu’elle n’a pas besoin de stage long malgré sa méconnaissance des tribunaux.
- Un rôle accru des magistrats formateurs. Ils ne doivent pas demeurer de simples intervenants sans voix au chapitre et qui ne savent même pas toujours s’il sera, ou non, fait de nouveau appel à eux.
Les magistrats intervenants doivent être formés pour former et déchargés afin de tenir à jour les fascicules matière mis en ligne, de se déplacer en province… mais également de prendre part à la réflexion du centre pour éviter une gestion trop « administrative». Sous l’effet des défis qu’il relève le CFJA ne doit pas devenir un simple prestataire de e-learning. Alors que les allers-retours liés à la HFP vont amener une perte de compétences juridictionnelles, il doit plus que jamais être notre « école », centré sur notre métier.
Maintenir la qualité de la formation initiale
Une formation initiale en présentiel au CFJA
La formation commune à tous de six mois en présentiel, de janvier à juin, telle qu’elle a existé entre 2010 et 2019, a montré son efficacité.
Hors crise sanitaire, le distantiel n’a pas sa place en formation initiale.
Nous demandons un retour à la formation initiale en présentiel et formulons quelques propositions : remise du support de formation une semaine en amont, passage de certaines formations d’un à deux jours (par exemples les marchés publics) et concomitance entre les cours théoriques matière et les sujets de chambres de formation.
En cas de crise sanitaire, il faut maintenir des temps de vrai regroupement.
L’excès de distanciel génère une fatigue importante, empêche la création de liens de promotion et réduit les échanges entre magistrats, pourtant essentiels à une bonne formation.
Les propositions concrètes faites par la promotion de cette année, notamment de se réunir dans une même salle pour tous ceux qui étaient en région parisienne, ont été écartées pour des motifs qui n’ont pas été compris. Le distanciel semble satisfaire le CFJA pour son organisation matérielle mais cela ne suffit pas.
La formation en alternance n’a pas fait ses preuves.
La formation en alternance qui se profile n’a pas été pensée.
Cette modalité de formation doit faire l’objet, ainsi que nous l’avons demandé au précédent CSTA, d’une évaluation par les nouveaux magistrats mais aussi par leurs collègues, leurs présidents de chambre, les chefs de juridiction. C’est un préalable à tout projet de généralisation, bien présent malgré « l’erreur » dont nous avons obtenu la correction cette année.
L’USMA a demandé de ne pas pérenniser cette modalité de formation. A défaut et en tout état de cause pour la promotion de septembre 2022, la formation doit être entourée de garanties pour les magistrats recrutés et des assurances pour les juridictions d’accueils.
Jusqu’à preuve contraire, les retours sur la situation des énarques montrent que ce mode de formation est une version « dégradée », créée pour s’adapter aux contraintes et qui pose des problèmes pour la prise de poste.
Elle comporte de nombreux risques : pas d’esprit de promotion, transfert de la charge du CFJA vers les juridictions, vers les présidents et rapporteurs publics, inégalité de niveau de la formation. Le CFJA doit être en capacité de former deux promotions si nécessaire. Non seulement, les juridictions ne sont pas en capacité d’absorber cette charge mais que restera-t-il du CFJA ?
Dès lors qu’elle sera une réalité pour les détachés et tour extérieur du mouvement complémentaire, l’USMA demande au Conseil d’État de rappeler aux chefs de juridictions que :
- Le rythme de la formation doit primer sur celui de leur chambre d’affectation, ce qui implique que les dates des cours au CFJA soient fixées longtemps à l’avance. L’USMA demande que ces cours soient en présentiel. A défaut, cette promotion ne se connaîtra pas.
- Les collègues en formation initiale ne sont tenus à aucune norme pendant la durée de celle-ci.
- Ils ne tiennent pas de permanences pendant leur formation.
- Ils bénéficient d’une période de mi-norme de six mois à l’issue de leur formation.
- Enfin et dès lors qu’ils seront accueillis par des mentors : il faut une fiche de poste et une formation de ceux-ci.
Au-delà de cette idée de formation en alternance, ce projet interroge l’USMA sur la perception de la collégialité et du rôle de l’assesseur par le Conseil d’Etat ? En trois semaines, les collègues détachés et TE devront avoir pris un double recul : sur leurs précédentes fonctions et sur l’acte de juger. Nous peinons à entendre que l’on reçoive la formation nécessaire en trois semaines pour juger sereinement.
Un contenu matière mais aussi métier
Les chambres de formation sont l’un des axes forts de la formation. Mais il n’est pas le seul. Malgré une expérience réussie dans la fonction publique, les futurs collègues ont tout à apprendre de la juridiction administrative !
Il faut conserver – ou restaurer – une formation qui porte aussi sur le « métier » et pas seulement sur les contentieux, notamment par les stages et par des interventions qui incitent les nouveaux collègues à s’interroger sur la façon dont ils se voient magistrats, et leur apprendre ce que requièrent leurs fonctions comme investissement, déontologie, organisation. C’est indispensable pour réduire les difficultés de prises de postes et d’insertion dans les juridictions.
Le stage en juridiction est très apprécié par les collègues, qui le trouvent trop court lorsqu’il ne dure que 3 semaines. Il serait utile, par exemple, de communiquer aux stagiaires un calendrier des audiences et des commissions prévues, semaine après semaine, à charge pour eux de prendre contact avec les collègues et d’assister à ce qui les intéresse.
D’après les retours qui nous en sont faits, les stages en administration sont trouvés diversement utiles. Ils apparaissent plus récréatifs que formateurs, en tout cas.
Une participation aux enseignements de l’INSP peut être envisagée à condition qu’elle ne se fasse pas au détriment de la formation initiale, qui doit primer.
Un moment de retour d’expériences après la prise de fonction
Nous demandons qu’un retour d’expériences soit organisé pour les bénéficiaires de la formation initiale, sous forme d’un séminaire d’une ou deux journées 4 mois après leur entrée en fonction, soit en novembre.
Une formation continue plus proche ne veut pas dire devant l’écran
Quelques enseignements du baromètre social 2021 : 60% n’arrivent pas à adapter leur charge de travail pour se former. Sans surprise près de 80% des rapporteurs publics n’y arrivent pas. Si très peu de collègues se heurtent à des refus (3%), 72 % ont déjà renoncé à une formation. La principale raison en est la charge de travail (88%), bien devant l’éloignement géographique (30%).
La formation comme temps d’échanges
Rappelons que la visio ne permet pas ces échanges essentiels durant la formation comme durant les pauses.
Le service a pointé en CSTA la « forte appétence » des magistrats pour le distantiel. Cependant, la facilité que constitue le fait de s’inscrire, sans trop d’engagement et sans déplacement, à quelques heures de formation ne doit pas masquer la perte d’attention et d’efficacité. Le distantiel doit être résiduel et réservé à des sujets adaptés. On pourrait envisager le comodal (à distance et sur place pour ceux qui le souhaitent) mais cela implique de former les intervenants à cette modalité particulière, qui semble complexe à gérer pour le centre.
Nous demandons le maintien ou la mise en place de formations « métiers », notamment pour les fonctions de rapporteur public ou de VP, mais aussi pour le BAJ, le suivi des expertises ou des enquêtes publiques par exemple. Elles permettent des retours d’expériences qui ne se trouvent pas dans les manuels.
Nous approuvons l’idée du plan triennal de mettre en place des formations à trois niveaux : débutant/confirmé/expert. L’idée d’échanges simples et directs avec des membres du CE dans les formations expert est très porteuse.
La formation comme temps de réflexion
L’USMA demande l’organisation de formations plus générales et permettant de réfléchir au sens de notre métier et à la manière dont nous l’exerçons. Une formation sur l’acte de juger en formation initiale comme continue est indispensable dans une école de magistrats.
L’implication de la juridiction administrative dans Mentor et l’utilisation des possibilités de celui-ci par les collègues pour des sujets transversaux adaptés est lourde. Cette possibilité annexe de formation est toutefois lourde à gérer pour les contenus que nous verserons afin de les partager avec les administrations. Elle ne doit pas prendre une part trop lourde dans l’activité du CFJA, étant rappelé que la formation d’un magistrat et celle d’un chef de bureau ne sont pas fongibles.
La formation pour tous
- Nous demandons que les VP et les RAPU puissent bénéficier effectivement d’une décharge pour pouvoir suivre des formations. Le fait que toute une chambre ne souhaite pas se former ne doit pas empêcher un rapporteur public de participer à une formation au prétexte qu’il ne pourra pas dégager du temps. Cela s’organise avec une volonté claire du chef de juridiction appuyée par le CE.
- Les magistrats en poste outre-mer doivent pouvoir bénéficier d’une semaine de formation par an en présentiel.
- Nous rappelons que les magistrats en formation initiale peuvent comme tous les magistrats disposer de 5 journées de formation contre décharge pendant l’année judiciaire.
- Pour les VP, il serait pertinent d’ouvrir à ceux qui changent pour la première fois de fonctions les formations adaptées (Par exemple de CNDA vers CAA ou de CAA vers TA). Le calendrier le permet aisément avec un CSTA des mutations en mars et des formations à la prise de poste de président de chambre en mai.
- Les correspondants formation doivent bénéficier d’une décharge et être dotés d’outils leur permettant de faire un véritable recueil des besoins en formation dans leur juridiction.
- Nous demandons que le CFJA réalise un rapport d’activité annuel, qui listerait l’ensemble des formations organisées par les juridictions. Les représentants du personnel que nous sommes devraient avoir accès aux bilans dressés sur les évaluations des formations, initiale et continues, à tout le moins, que ces évaluations soient présentées en CSTA.
En conclusion
Ainsi que nous le réclamons dans notre livre blanc, pour faire face à l’exigence de préservation de la qualité de notre justice, la juridiction administrative doit se doter d’une véritable école de la magistrature administrative chargée de la formation initiale et continue des magistrats officiant de la première instance à la cassation, de la formation aux changements de fonction et au management mais également de la formation initiale et de la formation continue des agents de greffe et des agents d’aide à la décision. Une école en capacité de délivrer des formations de qualité à l’ensemble des acteurs de nos juridictions, y compris au sein des juridictions, de manière délocalisée.