Réunion de dialogue social du 8 juillet 2022 : le rapporteur public

Le constat : une fonction remarquable, spécificité de la juridiction administrative, dénaturée par la recherche de productivité dans les juridictions

Il est apparu intéressant, dans ce dernier dialogue social, de réaffirmer l’importance du rapporteur public (de la rapporteure publique) dans le procès administratif, et de trouver des solutions aux problèmes et difficultés, qui sont susceptibles, s’il n’y est pas mis fin, de remettre en cause la place et la valeur ajoutée de celle ou celui qui « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent » (article L7 code de justice administrative).

Il nous a également semblé essentiel de valoriser à nouveau les fonctions de rapporteur public dans le parcours professionnel des magistrats administratifs.

Les commentaires de l’édition Dalloz sous l’article L. 7 du CJA nous rappellent que le rapporteur public constitue « une des originalités extérieurement les plus marquantes de la juridiction administrative française » (Odent, Cours du droit), « une des plus illustres spécificités du régime de notre contentieux administratif » (Chapus, RFDA 2000. 932), « le personnage le plus connu du procès administratif » (Pacteau, Traité de contentieux administratif, éd. PUF)[1].

Du vice-président Sauvé qui indiquait que le rapporteur public est la signature de la juridiction administrative au vice-président Tabuteau qui nous a récemment réaffirmé toute son importance, son rôle est bien un marqueur de la juridiction administrative.

Le RAPU nous est toujours et même plus que jamais indispensable. Il est la mémoire de la chambre à un moment où que les départs-arrivées se multiplient. Il légitime la décision auprès des parties en démontrant le travail d’analyse et de réflexion à une époque où la confiance s’acquiert.

A quoi bon nos audiences sans lui ? Pourquoi des SI sans lui ? Le délibéré suffirait. Quelle collégialité si une seule personne a vu le dossier ?

Pourtant, les rapporteurs publics, particulièrement dans les tribunaux, sont nombreux à faire état d’une perte de prestige voire de sens de la fonction. On peut parler d’un véritable blues de certains rapporteurs publics et d’une désaffection des magistrats pour cette fonction.

Interrogés par l’USMA, les rapporteurs publics déplorent :

  • des dossiers non remis à temps ne laissant pas de temps suffisant pour l’analyse ;
  • les chambres à 3 rapporteurs,
  • des dossiers peu préparés, confiés à l’aide à la décision et parfois peu révisés en amont ;
  • les conflits de valeurs, le RAPU devant se mettre au diapason du rythme attendu par la chambre sans que la difficulté des dossiers ait parfois été prise en compte, au détriment de ce qu’il estime devoir faire ;
  • la charge de travail insupportable, lorsqu’ils sont soit désignés pour assurer des missions annexes, dans l’idée de ne pas mobiliser les rapporteurs censés faire des dossiers, soit surchargés par des audiences de juge unique, soit les deux, allant jusqu’à devoir assurer six audiences par mois avec un nombre de plus en plus importants de dossiers par audience ;
  • la multiplication des demandes pour « tourner » sur d’autres chambres ;
  • une impossibilité, voire une incitation, qui n’est pas exceptionnelle, de ne pas examiner les dossiers étrangers avant de proposer des dispenses, en contradiction avec le CJA. Il en va de la crédibilité de la juridiction dans son ensemble.

Quelles en sont les conséquences pour les collègues rapporteurs publics ?

Une dévalorisation des fonctions 

Le RAPU est regardé par certains comme un goulet d’étranglement qui empêcherait de mettre plus de dossiers. Il a pu être indiqué à d’autres que la fonction n’est pas très difficile car « il ne faut pas s’appesantir sur les questions qui n’en valent pas la peine ». On peut parfois entendre que l’audience terminée, il n’aurait plus rien à faire. Enfin, la fonction est également « utilisée » pour gérer certains collègues ayant des difficultés dans les fonctions de rapporteur au motif qu’ils ne freineront pas les sorties de numéros !

Des conditions de travail dégradées : trop c’est trop !

Les RAPU voient leurs conditions de travail se dégrader dans un contexte de non reconnaissance du travail effectué. Compte tenu de la pression statistique, les calendriers de remise des dossiers se détériorent, bon nombre de collègues nous signalent des dossiers rendus le jour précédent la SI par des rapporteurs submergés, voire la suppression des SI ou des SI abrégées compte tenu de la charge de travail des VP. Bon nombre de collègues accèdent à cette fonction après quelques années de pratique seulement, dans des matières qu’ils ne connaissent pas forcément et sans l’avoir choisie. L’investissement demandé est alors conséquent pour acquérir l’expertise juridique nécessaire à la fonction.

Certains doivent même renoncer à leur temps partiel pour pouvoir assurer cette fonction subie, alors qu’elle ne correspond pas à leur choix de vie actuelle et qu’aucun remerciement ne doit être attendu, dès lors que leur assentiment a été obtenu sous la contrainte.

De surcroit, les RAPU ne sont pas toujours déchargés des audiences en urgence qui viennent s’intercaler entre les diverses tâches qui leurs sont assignées.

Enfin, bon nombre de RAPU ont été récemment sollicités pour assurer le rôle de mentor pour lequel ils n’obtiendront pas de décharge mais une rémunération supplémentaire, indiquant par la même le choix implicite par le gestionnaire du mentorat par les RAPU.

Des glissements de tâches

La situation de travail des VP s’étant dégradée ces dernières années, il est parfois demandé aux RAPU d’être de véritables adjoints aux VP. Le RAPU dans certaines chambres où le VP a de moins en moins de temps pour réviser, se voit demander d’assurer cette tâche. L’équilibre de la formation de jugement s’en trouve fragilisé. Le VP n’est plus dans son rôle, les rapporteurs sont difficilement en position de faire valoir leur point de vue, dès lors que le collègue-RAPU révise leur jugement avant même la discussion en SI ! A contrario certaines matières perdent le double regard garant de la qualité des décisions de justice, comme si leur objet perdait de leur intérêt.

Crédits : TA Cergy-Pontoise

Nos 10 propositions

Proposition n°1 : Respecter le travail du rapporteur public : il est nécessaire de mettre en place un référentiel de bonnes pratiques

Le système ne peut fonctionner que si le rapporteur public dispose du travail réalisé par un magistrat et remis dans un délai suffisant.

Il est, impératif de mettre en place un calendrier de remise de dossier et de le faire respecter sans que le RAPU n’ait à « négocier » :

  • Les présidents doivent retrouver une charge de travail raisonnable pour pouvoir dégager suffisamment de temps pour manager leur chambre.
  • Les rapporteurs doivent pouvoir gérer leur charge de travail de manière à pouvoir l’assumer.

Personne n’est responsable du manque d’effectifs, ce n’est pas aux magistrats de pallier les dysfonctionnements du système.

L’USMA demande :

une audience réduite, ou même blanche si celle-ci est nécessaire pour se recaler,

un plafond de dossiers (par matière) sur proposition du RAPU à ne pas dépasser par audience ;

ne pas transmettre au RAPU un dossier après la seule étude d’une aide à la décision ; le « double regard » du rapporteur public n’a de sens que s’il y a eu un premier regard d’un magistrat ;

que le rapporteur public ne soit ni réviseur des projets de jugement ni magistrat instructeur.

Proposition n°2 : Trouver une charge de travail raisonnable et respecter les lignes directrices de gestion 

  • L’objectif des lignes directrices de gestion d’un retour à des chambres à deux rapporteurs doit faire l’objet d’un suivi, dans les TA et les chambres à 3 rapporteurs dans les CAA.
  • Limiter les permanences des RAPU, particulièrement ceux affectés dans des chambres à 3 rapporteurs.
  • Les exempter de travail non juridictionnel ou de présider une audience comme JU.
  • Demander aux présidents de chambre de ne pas rapporter, dans les chambres à 3 rapporteurs.

L’USMA demande aussi à connaitre le nombre de chambres à trois rapporteurs.

Proposition n°3 : Respecter les orientations du CSTA : une chambre, un rapporteur public… et qui connaît les matières

  • Respecter les orientations actuelles sur la nomination des RAPU
  • Interdire la création de chambres sans rapporteur public affecté ;
  • Éviter les systèmes de RAPU tournants en cas d’effectif incomplet d’une chambre. Il ne s’agit pas de pions interchangeables à l’aise dans toutes les matières. 
  • Utiliser la facilité offerte par le deuxième alinéa de l’article R. 222-24[2] qui prévoit la possibilité de nommer un rapporteur comme rapporteur public de façon temporaire. Or selon la lettre du texte elle est, envisagée de façon subsidiaire. Elle devrait être utiliser plutôt que d’imposer aux rapporteurs publics de suppléer. Lorsqu’un rapporteur est nommé RP de façon temporaire, il est bien évidemment déchargé de ses fonctions.
  • Désigner des RAPU expérimentés dans leur matière qui doivent être les référents juridiques reconnus des matières qu’ils traitent dans les juridictions.

[2] article R222-24 CJA « Tout rapporteur public absent ou empêché est suppléé de droit par un autre rapporteur public. / A défaut, et si le fonctionnement du tribunal ou de la cour l’exige, ses fonctions sont temporairement
exercées par un conseiller ou un premier conseiller désigné par le président du tribunal ou de la cour
».

Proposition n°4 : Valoriser les fonctions de RAPU dans la carrière

Lors des derniers CSTA relatifs au passage au grade de VP, il a été retenu qu’un magistrat ne devait pas être resté trop longtemps dans ces fonctions, où il n’instruit pas et ne rédige plus de jugements.

L’USMA estime que les parcours de rapporteur publics doivent être valorisés pour accéder au grade de président.

L’USMA demande qu’une éventuelle limite aux fonctions, connue de tous, soit instaurée.  Le CJA, a prévu une limitation de la durée de 7 ans pour les RAPU au Conseil d’État (article R122-5). Il conviendrait peut-être pour la juridiction administrative dans son ensemble de s’en inspirer. En deçà de cette durée, il ne saurait être considéré que le magistrat « est resté trop longtemps RAPU ». En fixant une limite règlementaire, certains collègues ne se verront pas imposer de rester contre leur volonté dans ces fonctions au détriment de leur carrière.

Proposition n°5 :  Assurer un réel droit à la formation

Il est paradoxal que les fonctions de rapporteur public l’empêchent de se former !

L’USMA demande que le RAPU ait droit à 5 jours de formation par an et que cela soit fixé comme un objectif pour le président de la chambre.

Pourquoi pas aussi, en plus de la formation prise de poste, prévoir un temps d’échange avec un rapporteur public au CE ? Confrontons nos points de vue.

Proposition n° 6 : Assurer un réel droit à RTT

Une prise collective de RTT, par l’ensemble des membres de la chambre, est souvent l’option envisagée et pratiquée. L’USMA demande aussi qu’il n’y ait pas de refus si seul le RAPU souhaite prendre ses RTT. Il convient de modifier la circulaire sur les RTT et prévoir cette prise en compte spécifique. Là encore cela implique une organisation temporaire différente mais il n’est pas possible de refuser un droit à des collègues pour des raisons d’organisation qui peuvent trouver des solutions selon les contentieux et la composition de la juridiction.

Proposition n°7 : Réfléchir sur les fonctions afin de permettre une activité à temps partiel

La fonction doit être un choix dans la carrière ce qui implique la possibilité d’exercer ce métier à temps partiel. La majorité des magistrats à temps partiel sont des femmes. Elles sont de facto évincées des fonctions de RAPU.

L’USMA demande que les magistrats à temps partiel puissent devenir RAPU, en imaginant les organisations qui peuvent le permettre.

Proposition n°8 : Communiquer au niveau du gestionnaire sur l’importance du rôle du RAPU

Le Conseil d’Etat devrait rappeler l’importance du rôle du RAPU dans les TA et CAA à l’égard des personnalités extérieurs et même en interne.

Ne se limitant pas à un rôle de formateur par les pairs, ou de juriste expert, le RAPU est souvent le cœur de la collégiale. Il joue un rôle non négligeable dans le climat social de la chambre. Son avis reste important malgré tous les bémols explicités plus haut, il tempère les points de vue et apporte souvent un soutien et une écoute en premier recours, à des rapporteurs qui sont en difficulté temporairement. Le RAPU exerce lui aussi des fonctions de management en soutien et aide certains collègues, dont c’est la première expérience professionnelle, à trouver leur marque. A contrario, un RAPU démissionnaire est une certitude au mal être d’une chambre.

Au gestionnaire de rappeler aux présidents d’audience que « l’attitude digne » et « le respect dû à la justice » s’appliquent en particulier aux fonctions du RAPU et qu’il faut y veiller lors des plaidoiries après le prononcé des conclusions.

La formation initiale CFJA doit rappeler le rôle fondamental du RAPU, comme garant de la qualité du procès administratif.

Proposition n° 9 : Revaloriser la prime des rapporteurs publics

Le RAPU est le grand oublié de la revalorisation indiciaire. En effet et malgré l’insistance de l’USMA, la surprime des RAPU reste à 1600 euros par an.

L’USMA demande que la « prime de RAPU » passe au moins à 2000 euros.

Proposition n° 10 : inclure les conclusions Ariane archives.

Prévoir dans Ariane archives (en plus d’Ariane) la possibilité de mettre les conclusions des RP en C+, voire toutes les conclusions qu’ils souhaitent.  


[1]  Voir également Le président Stahl dans « Le rapporteur public en 2013 : après l’épreuve, ce qui change, ce qui demeure », RFDA 2014, p.51

« L’apport du rapporteur public au déroulement du procès administratif est une garantie remarquable du procès administratif. Ce juge qui s’exprime publiquement à l’audience, en présence des parties, donne à ces dernières un droit de regard sur la façon dont la juridiction comprend et appréhende leur litige. Non pas un regard superficiel ou de côté, mais un regard profond, au plein cœur de la machine, sur les éléments perçus comme déterminants par les juges, parce que le rapporteur public réfléchit à la solution du litige en étroite collaboration avec les autres membres de la juridiction (…) »

Ou encore l’intervention du CNB lors de l’instance CEDH 54984/09 Marc-Antoine c. France, 4 juin 2013 :

« La justice administrative française actuelle peut être considérée comme un modèle de justice de qualité, qui repose notamment sur un traitement approfondi du dossier par plusieurs personnes en situation de libre et complète discussion. La posture du rapporteur public ne diffère pas, par nature, de celle de la formation de jugement et sa principale vertu réside dans son raisonnement impartial et complet sur l’ensemble du dossier, auquel s’ajoute une importante participation au contrôle de la qualité du travail juridictionnel ».