Audition dans le cadre du projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables

L’USMA a été auditionnée le 12 octobre 2022 par M. le sénateur Didier Mandelli, qu’elle remercie, sur le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables.

A titre liminaire

L’USMA ne peut que faire sienne deux remarques générales du Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi :

« 3. L’étude d’impact du projet est apparue inégale, insuffisante sur plusieurs articles, voire inexistante sur certaines dispositions pourtant importantes. Les insuffisances relevées tiennent, d’abord, à l’absence d’état des lieux, de données précises concernant les situations sur lesquelles portent les mesures, ce qui, dans certains cas, correspond à des oublis réparables, mais, dans d’autres cas, semble accréditer l’idée que l’évolution proposée des textes repose sur des présupposés plus que sur des constats étayés : tel est, en particulier, le cas de l’idée selon laquelle le contentieux serait une cause déterminante des délais constatés pour la mise en œuvre d’un projet. (…)

4. (…) La régularité formelle des consultations a été certes assurée mais l’esprit qui préside à l’obligation de consulter ne peut être considéré, dans ces conditions, comme respecté ».

Sur les dispositions mêmes du projet de loi 

La mention à l’article 14 (pastille 21) que « L’opposition à l’état exécutoire pris en application d’une mesure de consignation ordonnée par l’autorité administrative devant le juge administratif n’a pas de caractère suspensif ; » nous amène à souligner que cette disposition peut conduire à augmenter le contentieux dès lors qu’un référé suspension pourra désormais l’accompagne.

Deux dispositions du projet ont été prises en réponse à une jurisprudence du juge administratif ou concerne directement son office.

L’article 4 vise, selon l’exposé des motifs « d’une part, à reconnaître une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) pour les projets d’énergies renouvelables répondant à des conditions techniques fixées par décret en Conseil d’État et, d’autre part, prévoit, pour tous les projets, que la déclaration d’utilité publique (DUP) puisse valoir reconnaissance du caractère d’opérations répondant à des RIIPM ».

Cette disposition a pour objet de « répondre » à un contentieux concernant le dossier du contournement routier de Beynac, où les juridictions administratives ont notamment enjoint au département de procéder à des démolitions.

L’objectif recherché par cette disposition est « de renforcer la cohérence de la procédure et sa solidité juridique en permettant, bien avant la finalisation du dossier d’autorisation et l’engagement de la phase travaux, d’interroger le caractère de RIIPM du projet, dès la phase de déclaration d’utilité publique du projet ».

L’USMA n’a pas d’objection sur ses deux mesures même si pour la seconde on peut s’interroger si au stade de la DUP le juge pourra avoir tous les éléments pour déterminer le caractère de RIIPM. Par ailleurs, cette disposition n’aura pas nécessairement pour objet de purger tout contentieux notamment lorsque interviennent des changements de circonstances de droit et de fait.  

Ces dispositions n’ont pas appelé d’observations du CE mais notre syndicat a pu en faire lors du passage du texte en CSTA

Là où il est écrit que le juge peut faire une annulation partielle de la procédure (1°) ou surseoir à statuer (2°), la possibilité disparaît au profit d’une injonction. Pour le 2° le refus d’une demande doit désormais être motivé. D’une faculté nous nous retrouvons face à une obligation. L’USMA est opposée au mouvement qui consiste à ce que la loi dirige les mesures que le juge administratif peut prendre et que commande le litige. Pour conclure à un impact limité, on nous explique que le juge administratif fait déjà usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18. Pour autant, on estime nécessaire de le contraindre. Peut-être ne régularise-t-il pas dans des hypothèses où cela est justement inapproprié ?

Nous réitérons ces observations et sollicitons la suppression de cette disposition

« La modification législative proposée permettra de systématiser la mise en œuvre par le juge des dispositions de l’article L. 181-18, indépendamment de l’existence d’une demande des parties. » comme le note l’étude d’impact. On peut s’étonner que pour des acteurs avertis, une telle demande ne soit pas faite au contentieux s’ils tiennent au projet.

En réponse à une interrogation, la mise en place d’une amende pour recours abusif ou des conclusions reconventionnelles ne nous semblent pas pertinentes, ces mesures n’ayant pas prouvé leurs efficacités dans le contentieux de l’urbanisme. En revanche, il nous semble important de renforcer les moyens de l’administration pour faire face à l’augmentation des demandes et apporter des réponses adéquates (diminuant ainsi le risque contentieux) dans des délais raisonnables.

Enfin, L’USMA prend l’occasion de cette audition pour surtout s’insurger contre une tendance du pouvoir règlementaire à mettre en place de nouveaux délais contraints, et supprimer un degré de juridiction.

Ainsi, après des compétences de premier ressort attribuées au CE (éoliennes de mer) et aux CAA (éoliennes terrestres), voici un délai sous peine de dessaisissement qui a émergé lors du même CSTA consacré au projet de loi.

L’activité consistant à faire appliquer les textes est certes parfois gênante mais elle constitue une garantie essentielle que les intérêts ou les circonstances ne doivent pas conduire à entraver. Etrangement, l’inflation normative est inversement proportionnelle à la régulation que l’on souhaite voire véritablement exercée.

Surtout le projet de loi prévoit en son article 5 de «  modifier les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement relatif à l’office du juge de plein contentieux des autorisations environnementales afin que la faculté qui lui est aujourd’hui ouverte de prononcer une annulation partielle, limitée à une phase de l’instruction d’une demande d’autorisation environnementale ou à une partie de cette autorisation, ou de surseoir à statuer en vue de la régularisation d’un vice, constitue désormais une obligation lorsque les conditions d’une telle annulation partielle ou d’une telle mesure de régularisation sont réunies » (avis CE).

L’USMA, qui ne cesse de répéter que jouer à l’apprenti sorcier juridique en supprimant le double degré de juridiction (inefficace, car pouvant souvent conduire à des cassations avec renvois) ou en instaurant des délais indicatifs n’est pas acceptable, n’a pu que s’insurger contre la volonté de mettre en place un délai sous peine de dessaisissement. Cette mesure n’est ni utile, ni nécessaire, et conduira à une désorganisation de la juridiction. Elle constitue un précédent extrêmement inquiétant.

Donnez-nous plus de moyens, une stabilité normative et vous aurez des jugements de qualités dans des temps records.

Ajoutons que dans certaines situations les délais ne viennent pas du juge ou des requérants mais de l’administration en défense…

En outre, la suppression dans le projet de loi de la prorogation de délai par un recours administratif signifie de facto celle du recours lui-même avant saisine du juge. Elle contribuera à dégrader la qualité des décisions administratives et accroîtra le nombre de saisines et d’annulations.

Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation comme il est souvent usage de dire.

En réponse à une interrogation, nous précisons que l’impact des mesures combinés du projet de loi et du projet de décret pourra avoir une incidence importante sur le nombre de recours et engorger le prétoire avec des dossiers techniques et complexes. Des moyens supplémentaires sont nécessaires pour éviter les effets d’éviction et que les dossiers soient jugés rapidement et bien. Ces moyens devront se développer de façon uniforme sur l’ensemble du territoire français notamment dans les petites et moyennes juridictions qui seront confrontés à ces nouveaux contentieux.

L’USMA remercie monsieur le sénateur pour cette audition et a souhaité rappeler quelques-unes de ses revendications historiques : constitutionnalisation de la juridiction administrative, port de la robe et prestation de serment. Nous voyons bien l’importance de la justice administrative dans le quotidien et pour l’équilibre social et il importe que les pouvoirs constitutionnel et législatif garantissent son indépendance.