Audition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023

L’USMA (représentée par M. Emmanuel Laforêt et M. Nicolas Connin) remercie Monsieur le sénateur Christian Bilhac, rapporteur spécial, pour son audition le 12 octobre 2022 et les échanges très intéressants auxquels elle a donné lieu.

L’arrêté du 22 avril 2022 a procédé à une revalorisation du régime indemnitaire des magistrats administratifs à partir du 1er janvier 2022. La revalorisation indemnitaire, tant de la part fonctionnelle que de la part individuelle, est-elle conforme à vos demandes réitérées depuis plusieurs années ? Cette revalorisation bénéficie-t-elle de manière équivalente à tous les grades ? Qu’en est-il des revalorisations de la grille indiciaire ?

La revalorisation indemnitaire correspond à un rattrapage nécessaire qui doit désormais se poursuivre par une revalorisation indiciaire

La revalorisation du régime indemnitaire était d’autant plus nécessaire qu’il n’avait pas évolué depuis 2009.  L’arrêté du 22 avril 2022 pris en application du décret n° 2007-1762 du 14 décembre 2007 revalorise de manière importante le montant de la part fonctionnelle et les montants de référence de la part variable.

Si, durant les négociations, les organisations syndicales de magistrats avaient rappelé leur hostilité sur le principe même de l’existence d’une part variable (risque d’atteinte à l’indépendance, lequel s’accroit avec toute augmentation relative de la part variable ; risque pour le collectif de travail avec de nombreuses frustrations, démotivations et dévalorisation et caractère périlleux de l’exercice pour les chefs de juridiction qui disposent d’une enveloppe fermée), elles se félicitent du maintien de l’équilibre de la répartition de 75%-25% entre la part fixe et la part variable.

L’engagement qui a été donné que la proportion 75/25 soit maintenue pour l’avenir est essentiel au moment où la profession est déstabilisée par la réforme de la haute fonction publique.

Par ailleurs, tous les grades et les échelons bénéficient d’une augmentation. Ci-dessous le tableau préparé par l’USMA.

Si le montant est important, il demeure loin de celui dont bénéficient les administrateurs de l’Etat.

Nous demandons ainsi qu’il y ait un alignement sur les montants du régime indemnitaire du corps des administrateurs de l’Etat.

Surtout, il demeure un fort décrochage de notre grille indiciaire qui risque de s’aggraver.

La revalorisation indiciaire, essentielle à l’exercice indépendant de nos fonctions, doit devenir une priorité

En l’état actuel (sans la revalorisation des administrateurs de l’Etat et en prenant en compte la revalorisation indiciaire avec la nouvelle valeur du point de la fonction publique appliquée au mois de juillet 2022 (+3,5 %), commune à tous les corps), il existe des différences substantielles au niveau des grades de conseillers (tous échelons) et de premiers conseillers (échelon de 1 à 4). L’USMA demande ainsi à minima une augmentation indiciaire pour ces deux grades, à savoir un raccourcissement de la durée des échelons de Conseiller 1er échelon : passage de 1an à 6 mois et Conseiller échelon 5 de 2 ans à 1 an 6 mois.

Pour le grade de président, la progression indiciaire va en théorie de P1 à P7. Or, il existe  aujourd’hui une limitation pour la grande majorité des collègues à l’échelon HEB bis, sauf promotion qui dans les faits est très restreinte  au regard du faible  nombre de postes de P5, P6 et P7. L’USMA demande ainsi que l’ouverture à l’ancienneté du HEC (3 ans) et HED (4 ans) pour les présidents aux grades P1-P4 et par voie de conséquence à HED pour les P5.

L’USMA estime que la progression normale de carrière implique d’adopter une progression indiciaire sans lien avec une promotion. La distinction se faisant  au niveau du régime indemnitaire.  

Ainsi, le différentiel qui existe aujourd’hui entre les magistrats administratifs et les administrateurs de l’État, et qui pourrait être aggravé demain du point de vue indiciaire, n’est pas justifié et a un impact sur l’attractivité du corps, notamment dans le contexte de la réforme de la haute fonction publique.

Le programme 165 « Conseil d’État et autres juridictions administratives » a obtenu 41 créations d’emploi en 2023 et 2024, puis 40 jusqu’en 2027, répartis entre 25 magistrats et 15 agents de greffe affectés chaque année dans les tribunaux administratifs et cours administrative d’appel. Ces créations vous paraissent-elles suffisantes pour faire face à la hausse des entrées devant les juridictions administratives ?

Dans le contexte de hausse importante et régulière des entrées constatée depuis plusieurs années, l’USMA salue bien évidemment ces créations d’emploi, et sera vigilante à ce que les projections faites de 40 créations d’emploi « pures » par an entre 2025 et 2027 se concrétisent réellement.

Toutefois, la hausse du plafond budgétaire d’emplois de magistrats administratifs ne  permettra pas de faire face à la hausse des entrées si les difficultés à pourvoir les postes ouverts au recrutement perdurent.

Surtout, l’effort budgétaire est vain s’il n’est pas accompagné de mesures permettant d’assurer la stabilité de l’effectif réel en juridictions, à un niveau satisfaisant. En effet, u 31 décembre 2021, sur les 1433 membres du corps, 242 se trouvaient à l’extérieur du corps soit 16,82 % des effectifs, que ce soit  dans le cadre d’un détachement (236) ou d’une mise à disposition (6). Pour mémoire, fin 2020, nous n’étions que15,8% des magistrats à l’extérieur du corps. L’écart est notable pour un « petit » corps et compte tenu des spécificités d’organisation et de fonctionnement des tribunaux et des cours. Ce processus est dû à une vague importante de départs au titre de la mobilité statutaire[1]. Inédits, ces départs massifs dès l’automne 2021 étaient pourtant prévisibles.  Le lien avec la réforme de la haute fonction publique, qui contraint désormais les magistrats administratifs à effectuer deux mobilités en dehors de la juridiction administrative pour pouvoir avancer dans leur carrière, est évident. Il y a donc à craindre que ce phénomène devienne structurel.  Comme l’USMA l’avait alerté, les départs en mobilité en cours d’année fragilisent les juridictions qui se trouvent totalement désorganisées : le nombre de jugement baisse aussitôt ;des magistrats d’autres chambres viennent compléter des formations de jugement, quand celles-ci ne sont pas contraintes de fermer faute d’effectifs suffisants ; si de nouveaux collègues, formés sur le tas en alternance, sont arrivés en 2022, nous y reviendrons (question 3), leur montée en puissance nécessite un temps incompressible ; les stocks sont remaniés, ce qui, là aussi, nuit à l’efficience des chambres.

Dans ces conditions, compte tenu également du risque de perte d’indépendance des magistrats par rapport à l’administration,  mais aussi des incidences sur la carrière des magistrats administratifs et plus particulièrement nos collègues en région (en particulier, statistiquement nos collègues féminins) qui peinent à trouver des postes sans que leur VPF n’en paye le prix,  l’USMA, demande qu’au moins l’une des mobilités puisse être de nature géographique ou qu’elle puisse se faire au sein d’un autre degré de juridiction (dans un autre TA ou une CAA).

A l’instar d’ailleurs de ce qui prévaut dans les lignes de directrices de gestion applicables aux administrateurs de l’Etat, une mobilité doit s’entendre comme une mobilité fonctionnelle, qui conduit à changer de domaine d’expertise métier ou de politique publique, une mobilité géographique, qui conduit à changer de résidence administrative ou une mobilité d’environnement professionnel.

Comment percevez-vous le recrutement complémentaire de fonctionnaires de catégorie A + par la voie du détachement à compter du 1er septembre 2022 ? Quels sont les profils les plus représentés ? Bénéficieront-ils d’une formation à défaut d’être formés au centre de formation de la juridiction administrative (CFJA) pendant six mois ? Comment se déroule leur intégration au sein des juridictions administratives ?

Ce recrutement exceptionnel a été rendu nécessaire par la vague sans précédent de départs en mobilité laissant un nombre très pénalisant de postes de magistrats vacants au 1er septembre 2022.

41 magistrats issus du tour extérieur (13) et du détachement (28) ont été recrutés. 24 femmes et 17 hommes. La moyenne d’âge est de 43 ans, la plus jeune a 31 ans et la plus âgée a 55 ans.

Le tour extérieur a essentiellement été pourvu par des attachés principaux (10 sur 13).

Pour les détachés, le CSTA a retenu 26 candidatures : cinq magistrats judiciaires, trois administratrices territoriales, quatre administrateurs de l’Etat et une administratrice de la ville de Paris, un sous-préfet, trois commissaires de police, cinq directeurs d’hôpital, une directrice d’établissement sanitaire, social et médico-social, deux directrices des services pénitentiaires et une maitresse de conférence.

Ces nouveaux magistrats bénéficient d’une formation initiale réduite en alternance du 5 septembre au 31 décembre 2022 qui suit l’organisation suivante :

Période du 5 septembre au 16 septembre en présentiel au CFJA – modules de formation + 2 chambres de formation (CF)  
Période du 19 septembre au 6 novembre 2022 (Mentorat en juridiction une à deux journées de formation suivies à distance par semaine, CF incluses).  
Période du 7 au 10 novembre en présentiel au CFJA – modules de formation + 2 CF  
Période du 11 novembre au 31 décembre 2022 (Mentorat en juridiction avec une à deux journées de formation suivies à distance par semaine, CF incluses).

Si l’USMA se félicite qu’une solution ait pu être trouvée pour que le fonctionnement des juridictions ne se trouve pas gravement empêché à la rentrée 2022, elle a, à plusieurs reprises, insisté auprès du gestionnaire pour que cette rustine ne se pérennise pas.

Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de l’intégration de ces nouveaux collègues qui sont arrivés en juridiction le 19 septembre, mais plusieurs éléments nous inquiètent :

– la formation à distance et en alternance ne favorise pas l’esprit de promo, ni les échanges, alors que les communautés juridictionnelles sont déjà fortement marquées par les conséquences de la crise sanitaire

– le mentorat en juridiction constitue un report de la charge de formation incombant au CE sur les magistrats, à l’heure où la multiplication des activités non contentieuses pèse déjà lourdement sur la charge de travail des magistrats (cf. question 8 de notre grand questionnaire)

– Si nous sommes attachés à la diversité des parcours qui font notamment la richesse de notre corps, juger requiert un temps long d’apprentissage.

Nous souhaitons que la même formation initiale de qualité, adaptée aux exigences de notre métier, bénéficie à tout nouveau magistrat. Une réflexion devra être menée pour faire face aux défis en terme de formations que pose, là encore, la réforme de la haute fonction publique.

Une réflexion avait été entamée sur les aides à la décision au sein des juridictions administratives, et notamment des assistants de justice début 2020. De nouvelles réformes sont-elles envisagées ? Quelle est la place des juristes assistants, créés par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ?

L’USMA n’a pas connaissance de nouvelles réformes envisagées des aides à la décision.

Les aides à la décision dans leur acception globale (assistants de justice, assistants du contentieux, stagiaires et plus récemment juristes assistants) ont fait preuve de leur utilité qui est désormais admise par tous, et l’évolution du flux contentieux incite à son développement.

Le nombre de juriste assistant demeure limité voire symbolique, mais l’intérêt de poursuivre leur recrutement concomitamment avec les autres formes d’aide à la décision est évident. La mise en place d’une expérimentation de cabinet de juge dans les juridictions suffisamment dotées est soutenue par l’USMA.

Nous estimons qu’il est nécessaire de trouver des solutions organisationnelles pour faire face à l’augmentation de la charge de travail et que l’encadrement d’aides à la décision, sous une forme rénovée, est devenu une tâche incontournable pour un plus grand nombre de magistrats.

 Le développement de collaboration transversales, afin d’intégrer ces personnels aux statuts différents, pour les faire monter en compétence, les fidéliser localement, les accompagner dans leur parcours professionnel, avec un magistrat partie prenante de la dynamique, qui dirige et échange avec son équipe, révise les dossiers et assure la qualité des décisions qu’il signe, doit permettre de rénover la question de l’organisation du travail dans les juridictions, afin d’offrir à tous les justiciables un service public de la justice de qualité, dans des délais maitrisés.

Dans tous les cas, ce recrutement des juristes assistants ne peut qu’aller de pair avec le recrutement de magistrats administratifs en nombre suffisant.

Le sens du service public des magistrats administratifs, qui travaillent à un rythme toujours plus soutenu, comme ils l’ont exprimé dans notre questionnaire sur la charge de travail ne peut plus constituer la variable d’ajustement des pouvoirs publics. Les magistrats ont largement dépassé leurs limites de productivité et ne peuvent plus absorber la croissance du contentieux à effectif constant.

Vos syndicats sont-ils favorables au développement de la médiation ? Le recours à la médiation peut-il avoir un impact significatif sur la réduction des délais de jugement ?

La médiation peut être un outil intéressant des modes alternatifs de règlement des litiges en tant qu’elle favorise l’émergence de compromis satisfaisants et généralement de manière moins couteuses pour les parties, sans pour autant contribuer à l’encombrement des juridictions.  De ce point de vue, l’USMA y est favorable, le recours au juge n’étant pas toujours la solution la plus adaptée aux attentes des personnes.

La médiation est intéressante pour dévier une partie du flux entrant dans les juridictions. Une fois le contentieux existant, elle nécessite la mise en place d’une organisation interne d’identification et de suivi des dossiers pouvant être proposés, à plusieurs niveaux : greffe central, chambre, rapporteur. Les juridictions ont généralisé la désignation d’un correspondant médiation, des réseaux se sont créés avec les bâtonniers et les professionnels de la médiation (universitaires, avocats…). Elle nécessite un travail pédagogique réalisé par les magistrats et agents de greffes auprès des justiciables.

L’expérimentation, entre 2018 et 2021, de la médiation préalable obligatoire dans les domaines de la fonction publique, des contentieux sociaux et du logement (qui implique l’obligation de tenter une médiation avant le dépôt d’un recours), a obtenu un taux d’accord de 76 % sur les 4 364 dossiers soumis à la médiation préalable obligatoire (MPO). A la suite de l’évaluation dont il a fait l’objet, le dispositif de la MPO est désormais pérennisé (cf. décret n° 2022-433 du 25 mars 2022). La MPO s’applique pour les décisions individuelles défavorables à l’ensemble des agents du ministère de l’Éducation nationale et à tous les agents de la fonction publique territoriale en lien avec les 97 centres de gestion de la fonction publique. La MPO concerne également l’ensemble des décisions individuelles prises par Pôle Emploi.

Elle a en revanche été abandonnée pour les contentieux sociaux (RSA, APL…) et ceux liés aux fonctionnaires du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’expérimentation ayant montré qu’elle n’était pas pertinente.

La médiation prend donc du temps pour porter ses fruits, elle n’est pas adaptée à tous les contentieux, et ne peut pas être appréhendée sous le seul angle statistique de réduction des délais de jugement sur lequel elle n’a pas d’impact immédiat.

L’USMA est donc favorable à la e médiation préalable à la saisine du juge. Une fois la justice saisie, il peut toujours y avoir un intérêt mais le gain de temps pour tout le monde est plus discutable et la charge de travail pour les juridictions quasiment inchangée.  

Le président de la République a annoncé à la rentrée 2023 le dépôt d’un projet de loi relatif à l’asile et l’immigration, qui était initialement prévu au début de l’automne. L’exécutif souhaite accélérer l’instruction des dossiers, simplifier les procédures dans la lignée du rapport Stahl de mars 2020, créer des pôles territoriaux de l’OFPRA et des chambres territoriales de la CNDA, …). Pensez-vous que ces réformes pourront améliorer l’efficience des juridictions administratives ?

Si le délai moyen constaté de jugement, qui est l’un des deux indicateurs de l’objectif de la réduction des délais de jugement, continue de baisser c’est essentiellement parce qu’en parallèle, la proportion d’affaires à délais de jugements brefs et contraints augmente.

Ces affaires relèvent pour l’essentiel du contentieux des étrangers, qui a augmenté de 8,9 % au premier semestre 2022, avec en particulier une hausse des référés de 50, 9 %, et qui constitue désormais près de 45 % du stock des TACAA.

Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la pertinence de maintenir le délai moyen de jugement comme un indicateur prioritaire et représentatif de la réduction des délais de jugement.  Comme le souligne avec la force de l’évidence le rapport Stahl : « réduire les délais de jugement dans un domaine du contentieux conduit nécessairement, toutes choses égales par ailleurs, à allonger les délais de jugement dans les autres domaines du contentieux. Un tel phénomène d’éviction est clairement observé à propos du contentieux des étrangers : les délais constatés de jugement des affaires dans les matières qui ne sont pas soumises à des délais raccourcis ont tendance à s’allonger à mesure qu’ils diminuent pour le contentieux des étrangers ».

Or, si le stock des affaires de plus de 24 mois, second indicateur de l’objectif de réduction des délais de jugement, est pour le moment contenu à 5,2 % du stock total dans les cours et à 10 % dans les tribunaux, il se dégrade.

Répondre de manière satisfaisante au besoin de justice nécessite de juger toute affaire dans un délai raisonnable, adapté à son enjeu.

Dans un tel contexte, les magistrats administratifs sont fatigués de devoir juger de la légalité d’une OQTF dans de très brefs délais lorsque cela n’a pas de sens, si les perspectives d’éloignement sont nulles.

Source : PLF 2022, rapport commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Par conséquent, l’USMA ne peut que demander la transcription dans le droit positif des principales propositions du rapport Stahl visant à rationaliser le contentieux des étrangers, à savoir :

1. Le remplacement des procédures actuelles par une procédure ordinaire (délai de recours d’1 mois, formation collégiale, délai de 6 mois pour juger) et deux procédures urgentes ((1) délai de recours de 7 jours, magistrat désigné, 7 jours pour juger et (2) délai de recours de 48h, magistrat désigné et 96h pour juger), définie dans une partie dédiée du Ceseda.

2.   Définir la procédure applicable non pas en fonction du fondement de la mesure contestée mais selon l’exigence réel de célérité de l’action administrative.

3.         Unifier le traitement contentieux du séjour et de l’éloignement, lorsqu’ils sont contestés ensemble, quelle que soit la procédure.

4.         Supprimer l’appel en matière de contentieux des transferts Dublin, ceux-ci s’achevant à l’heure actuelle la plupart du temps en NLAS en raison de l’expiration du délai de transfert.

Les premières versions de texte dont nous avons eu écho ne semblent toutefois pas toutes aller dans le bon sens. Nous nous garderons bien de les commenter en l’absence de textes précis.

Ensuite, rationnaliser la procédure contentieuse ne permettra pas de désengorger les juridictions administratives.

Comme l’indique une fois encore de manière pertinente le rapport Stahl, « Le nombre de recours devant la juridiction administrative n’est pas nécessairement, en lui-même, le symptôme d’un dysfonctionnement. Il résulte, fondamentalement, de l’importance quantitative de la production administrative de décisions défavorables et du taux élevé de conflictualité propre à la matière, qui s’explique lui-même par l’enjeu des litiges pour les intéressés. Or, à politique migratoire constante,  ces variables ne sont guère susceptibles d’évoluer. Dans ces conditions, il paraît peu crédible de rechercher une diminution sensible du volume du contentieux par une réforme de son organisation ou de son mode de traitement »

Or, au regard de cet objectif, le souhait de l’exécutif « d’accélérer l’instruction des dossiers » ne peut être vu d’un bon œil par le juge administratif.

Déjà las d’être appelés à intervenir en référé pour faire cesser certains dysfonctionnements administratifs, faute d’effectifs suffisants (refus de rdv pour déposer une demande de titre, refus de délivrance d’un récépissé de première demandes qui est pourtant de droit, refus d’enregistrement d’une demande pourtant complète), le juge de la légalité de l’action administrative n’a pas besoin que l’administration instruise vite, mais mieux !

La norme d’activité dite norme « Braibant » vous semble-t-elle satisfaisante ?

« L’USMA estime que si la norme « Braibant » été définie à une autre époque, elle présente l’intérêt majeur de partir du postulat que le temps moyen qu’un rapporteur doit consacrer à la préparation d’un dossier est d’environ une journée. Ainsi, pour des audiences à quinzaine, elle admettait que seuls huit jours pouvaient être consacrés à la préparation d’une audience, les deux autres étant consacrés à l’audience elle-même et à la séance d’instruction. La norme « Braibant » a ceci de pertinent qu’elle admettait donc, implicitement mais nécessairement, que la qualité des décisions de justice pouvait être en péril au-delà de 8 dossiers moyens par quinzaine. C’est pourquoi l’USMA continue d’utiliser la norme comme un point de repère » Extrait du Livre blanc de l’USMA.

Toutefois, au-delà du fait que cette norme d’activité Braibant a été élaborée à une date à laquelle les dispositions de l’article R.222-1 du CJA n’existaient pas, elle est chaque jour davantage distordue par le durcissement spectaculaire du stock.

Un questionnaire lancé par l’USMA sur la charge de travail en avril 2022, auquel plus de 500 magistrats ont répondu, a mis en évidence que plus de 85% des magistrats estiment que leur charge de travail a augmenté. Les causes identifiées, en dehors du nombre de dossiers sont :

  • L’inflation et complexification du droit et des procédures, plus particulièrement en droit et contentieux de l’urbanisme, de l’environnement et des étrangers, 
  • La multiplication du contentieux de l’urgence (référé et éloignement) et des procédures de juge unique,
  •  Les transferts de charge dans un contexte de dématérialisation des procédures,
  • Les réorganisations en cours d’année avec des transferts de stock et des remplacements à effectuer.

Plus d’un magistrat sur deux (54%) renonce complètement ou partiellement à se former en raison de sa charge de travail, cinq magistrats sur six (83%) ne parviennent pas à prendre leurs jours de congés et RTT légaux. 

Nombre de dossiers d’aujourd’hui présentent une technicité et une complexité sans précédent dont il doit être tenu compte. Or, la comptabilisation différenciée ne concerne que les petits dossiers… et non les gros. Comme son nom l’indique, la norme ne prend pas en compte la variété des situations. Le poids considérable des permanences est aussi diversement réparti que pris en considération. L’instruction des dossiers s’est également alourdie. La norme néglige également l’augmentation des charges annexes, telles que les obligations de « rayonnement », les groupes de travail, les multiples charges de référents locaux (médiation, formation, diversité-égalité, assistant de prévention …) ou la formation de l’aide à la décision.

La charge de travail n’est pas réductible au respect de la norme et la norme ne reflète qu’imparfaitement la charge de travail réelle. Elle reste un repère mais la norme Braibant n’est plus suffisamment protectrice. La préservation de la qualité des décisions et de la santé des magistrats nécessite qu’elle soit complétée par une réflexion sur le temps de travail soutenable.

« L’USMA incite les magistrats à raisonner en temps de travail, et à déterminer collectivement, selon une méthode objective, en fonction du temps qu’ils peuvent consacrer à la préparation des dossiers collégiaux, de la structure de leurs stocks, du poids des permanences, etc., une fourchette maximale de sorties par chambre, dénommée bouclier, afin de lutter contre le productivisme exigé des magistrats. Dans ce système, la norme « Braibant » demeurerait une référence maximale dans le paysage. » Extrait du Livre blanc de l’USMA

En conclusion, l’USMA souhaite attirer l’attention de Monsieur le Sénateur sur nos revendications historiques :

  • Constitutionnaliser la juridiction administrative : elle seule permet de garantir son existence et son indépendance, avec une loi organique régissant les magistrats administratifs et les plaçant à l’abri de modifications de la haute fonction publique, au gré des alternances politiques. Elle permet également de rappeler notre fort attachement à la dualité de juridictions.
  • Créer un corps unique de magistrats administratifs de la première instance à la cassation.
  • Doter les magistrats administratifs des attributs attachés à la fonction de juger : la prestation de serment et le port de la robe pour l’ensemble de la juridiction administrative et, en cas de refus des membres du Conseil d’Etat, pour les seuls magistrats administratifs.

Enfin nous souhaitons insister sur l’importance du service public de la juridiction administrative pour les requérants. Elle est accessible à tous et gratuite. Elle est un garant de la bonne administration du pays. Mais elle ne pourra fonctionner qu’avec un nombre satisfaisant de magistrats.

Nous vous décourageons de céder aux sirènes de la « modernisation », dont l’idée serait d’automatiser les décisions de justice, dans une idée d’industrialiser l’acte de juger. Le droit est dit par des hommes et des femmes, pour des hommes et des femmes. Il demande du temps, de la sérénité et de la solennité, pour que le litige soit bien jugé et que la décision s’impose.


[1] Bilan social CSTA 2021