L’USMA remercie Mme la rapporteure Aude Bono-Vandorme d’avoir recueilli nos observations dans le cadre de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, le 4 février 2022.
Selon l’exposé des motifs, « la proposition de loi a pour objectif de procéder aux adaptations de la législation nationale nécessitées par le règlement relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (TCO ‑ terrorist content online) (…)
L’article 6‑1‑1 habilite l’autorité administrative pour émettre des injonctions de retrait. Il désigne l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) comme autorité compétente pour procéder à un examen approfondi des injonctions de retrait transfrontalières, au titre de l’article 4 du règlement.
L’article 6‑1‑2 précise les sanctions pénales à l’encontre des fournisseurs de services d’hébergement qui ne respecteraient pas les obligations de retrait des contenus à caractère terroriste.
L’article 6‑1‑3 met en place des sanctions administratives et pécuniaires prononcées par l’ARCOM en cas de non‑respect systématique ou persistant des autres obligations de diligences reposant sur ces fournisseurs.
L’article 6‑1‑4 prévoit les différentes voies de recours à la disposition des fournisseurs de services d’hébergement qui souhaitent contester l’injonction de retrait ».
Avant d’entrer dans l’examen de ce texte, l’USMA attire votre attention sur la nécessité d’inscrire la juridiction administrative dans le texte constitutionnel de la cinquième République. Le texte de la présente loi illustre parfaitement le rôle croissant du juge administratif dans le contentieux des libertés et, à l’heure où l’Etat de droit est fragilisé en Europe, il est important de garantir la présence du juge administratif au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
A ce titre nous vous renvoyons à la proposition de loi constitutionnelle relative à la consécration constitutionnelle de l’ordre juridictionnel administratif, présentée par M. Laurent Garcia.
L’USMA est à votre disposition pour échanger sur les sujets qui concerne les magistrats administratifs.
Nous avons trois séries de remarques
Le contexte
L’USMA regrette que, la voie du PPL ayant été privilégiée, il n’y ait pas eu d’étude d’impact. Nous ne nous doutons pas de l’existence d’un examen de l’impact de cette mesure sur notre activité et nous vous invitons bien évidemment à en tirer les conséquences nécessaires.
L’USMA aurait souhaité avoir des précisions sur l’articulation des nouvelles dispositions avec l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : pourquoi maintenir ce texte et comment cela s’harmonise-t-il ?
Alors que l’article 6-1 semble donner un rôle à la CNIL, ici c’est plutôt l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) qui est compétente.
Nous insistons également sur l’importance de renforcer les moyens de cette autorité de régulation.
Quelques précisions légistiques nous semblent nécessaires
Article 6-1-1 I- (alinéa 2) : Nous avons noté que l’autorité administrative sera désignée par voie règlementaire et est distincte de l’ARCOM.
Article 6-1-2 I. (alinéa 8) : Nous vous invitons à préciser que c’est une « personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait » qui pourrait être concernée par la peine d’emprisonnement.
Article 6-1-3, alinéa 24, nous avons noté une coquille : coles = comme.
Les recours (article 6-1-4)
Le texte prévoit la création de trois nouvelles voies de recours avec des délais et des modalités d’examen différents.
- Le premier recours prévoit un délai de 48h pour la saisine et 72h décision par un juge unique. Il s’agirait d’un contentieux de l’annulation. Nous pouvons nous interroger sur le recours 48h décalé selon que l’on soit le fournisseur de service d’hébergement ou le fournisseur du contenu. Il y aura certainement des difficultés liées à la preuve de l’information du fournisseur du contenu, ce qui prolongera les délais.
- Le deuxième recours prévoit les mêmes délais mais il s’agit d’un contentieux de la réformation.
- Le troisième recours prévoit un délai de 15 jours pour la saisine et 1 mois pour le jugement en formation collégiale et un contentieux de la réformation.
D’une part, nous demandons à ne pas créer des voies de recours dérogatoires là où ce n’est pas absolument nécessaire. Les deux premières procédures pourraient utilement s’inscrire dans le cadre du référé liberté : ce qui en plus conduirait à ce qu’il y ait un examen de la condition d’urgence.
Nous ajoutons que sur les délais très contraints de 72h pour juger, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de concepts juridiques extrêmement compliqués à manier. A ce titre nous vous invitons à lire l’avis de l’avocat général, M. Desportes, dans la décision du 10 janvier 2017 de la cour de cassation sur l’affaire de « Tarnac » 16-84.586. Il y détaille avec précision les différentes notions d’acte de terrorisme et la frontière avec d’autres notions, d’action terroriste et de criminalité organisée.
Sur la troisième procédure, le délai d’un mois pour instruire puis audiencer devant une formation collégiale (quatre magistrats dont un rapporteur public) est trop court pour respecter le principe du contradictoire, convoquer en temps utiles à l’audience et faire face aux contraintes des juridictions. A minima il conviendrait de prévoir un délai de deux mois ce qui est déjà très court.
D’autre part, sur la nature du recours, nous demandons de bien vouloir l’harmoniser et de prévoir qu’il s’agisse plutôt d’un recours en annulation, suffisant pour garantir la justiciabilité des actes attaqués et l’examen poussé du juge administratif. Nous ne voyons pas l’intérêt d’un contentieux de la réformation en l’espèce.
Enfin, quel sera le juge administratif compétent ?
Il nous semble nécessaire de le préciser par voie règlementaire afin d’éviter un flou inutile et d’attribuer expressément à un seul tribunal la compétence.
L’USMA propose d’aller plus loin et au regard de la nature du contentieux et de la probable rareté de celui-ci, que le Conseil d’État soit compétent en premier et dernier ressort à l’instar de l’article L311-4 5° du code de justice administrative qui lui donne compétence pour certains recours de pleine juridiction des décisions de l’ARCOM. Le Conseil d’État est aussi compétent pour les décisions de certaines des autorités collégiales, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation (R 311-1 4° CJA).
Ce choix répondrait à un objectif de simplification et de cohérence.