Lettre à M. le Garde des sceaux pour le port de la robe

Montreuil, le 6 avril 2023

Objet : Port d’un costume d’audience par les magistrats administratifs

Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice,

Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice contient certaines dispositions liées à la juridiction administrative. Nous avons transmis à votre cabinet plusieurs propositions[1] de dispositions législatives et nous espérons qu’elles seront prises en compte en particulier celle liée à l’introduction de la prestation de serment. Ce sujet fait consensus au sein des juridictions administratives, Conseil d’Etat inclus, et nous ne voyons aucun obstacle à son introduction dans le projet de loi.  Dans sa séance du 19 avril 2023, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel a émis à l’unanimité le vœu que des dispositions relatives à la prestation de serment des magistrats et des membres du Conseil d’Etat soient inscrites dans le projet de loi.

L’objet du présent courrier est autre. Par un décret n° 2023-193 du 22 mars 2023 relatif au costume d’audience, contresigné par vous, les membres notaires titulaires et suppléants des chambres de discipline et de la Cour nationale de discipline revêtiront désormais une robe lors des audiences disciplinaires.

En 2023, les magistrats administratifs ne portent toujours pas cet attribut attaché à la fonction de juger. Cette situation doit changer et nous vous demandons qu’un texte règlementaire puisse prévoir le port du costume d’audience pour les magistrats administratifs.

Il n’est pas contestable ni contesté que la robe constitue un attribut symbolique de la justice. Pour l’USMA, la robe répond, en outre, à un besoin d’identification face aux justiciables, à une protection du magistrat, à l’incarnation de la juridiction administrative, à une uniformisation de l’appartenance et à la solennité de la fonction.

Ce n’est pas Dominique Raimbourg, rapporteur du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation à l’Assemblée nationale en 2016, qui nous contredira, lorsqu’il soutenait : « Aussi curieux que cela paraisse et malgré les immenses qualités du juge administratif, c’est, dans l’esprit du public, le juge judiciaire qui est le garant des libertés. En effet, une bonne partie de nos concitoyens ont du mal à se représenter la justice administrative et, pour eux, la justice se rend dans les palais de justice par des hommes et des femmes qui respectent un rituel particulier, revêtent des robes particulières, par exemple dans un tribunal de grand instance plutôt proche de leurs domiciles. C’est injuste vis-à-vis du juge administratif mais c’est ainsi que nos concitoyens perçoivent la réalité ».

Cet attribut fort est d’autant plus nécessaire que les salles d’audience des tribunaux et des cours ne présentent pas toutes le même décorum que la salle du contentieux du Conseil d’Etat, et que sont désormais presque majoritaires, en particulier en première instance, les audiences tenues par des magistrats statuant seuls, en procédure de référé, d’éloignement ou de contentieux social.

Un rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire[2] abonde clairement dans le sens que nous vous proposons aujourd’hui en soulignant notamment que « leurs valeurs symboliques ont pourtant une réelle portée sur l’affirmation de l’indépendance et de l’impartialité du juge dans sa double dimension institutionnelle et personnelle, tant à l’égard du magistrat lui-même que des justiciables ».

Les magistrats des juridictions financières, dont les missions sont pourtant moins exclusivement juridictionnelles, portent la robe. Maintenant les notaires peuvent la porter également, lorsqu’ils exercent la fonction de juger. Nous sommes pratiquement les seuls sur le continent européen à ne pas la porter. Il est fondamental que nous soyons perçus comme des magistrats, et qu’en revêtant la robe, qui efface l’individu derrière le juge, nous incarnions de manière encore plus manifeste la fonction. Le costume d’audience du magistrat administratif peut être différent de celui de nos collègues judiciaires et financiers. En substance et simplement, ne prenons pas la même robe.

Si nous ne proposons pas d’inscrire cette disposition dans le chapitre préliminaire du code de justice administrative tel qu’il existe aujourd’hui à un article L. 13, après un article L. 12 sur la prestation de serment – même si la symbolique serait renforcée – dès lors qu’il s’agit d’une disposition réglementaire, aucun obstacle légistique n’interdit la création d’un article en R dans ce titre liminaire. Il sera donc proposé un article R. 1 « Tout membre du Conseil d’État exerçant des fonctions juridictionnelles et tout magistrat des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel siège en costume d’audience ».

La juridiction administrative a toujours gagné en légitimité dans les moments difficiles en s’adaptant, en faisant les bons choix d’évolution. Le commissaire du gouvernement a, disparu au profit du rapporteur public, l’oralité a trouvé pleinement sa place dans les juridictions administratives et va se développer encore d’avantage au Conseil d’Etat. La section du contentieux n’est plus composée de sous-sections mais des chambres. Un jour le titre de vice-président du Conseil d’Etat, héritage du passé, qui ne correspond plus à la réalité mais qui est source de confusion auprès des citoyens et à l’international, sera très certainement remplacé par celui de président.

Pour reprendre les termes d’une personnalité qualifiée au Conseil supérieur des TACAA dans une séance du 23 février 2021[3] : « il faut éviter de courir le risque d’une réflexion dans l’entre soi, le fait de se voir reprocher de faire évoluer sa propre image au regard de ses propres yeux sur son image. Le costume professionnel signale l’appartenance à un corps et est un élément apparent de solennité. La robe a existé dans la juridiction administrative, il s’agit de la faire renaître ; – la robe a une dimension morale : les citoyens et justiciables doivent pouvoir mieux ressentir cette dimension. La règle ajoute à la conscience visible du juge ; – la robe renforce l’adhésion à l’autorité juridictionnelle. Le justiciable s’attend à trouver le juge et le greffier en habit de justice. Le contraire provoque des réactions. (…) Pour la juridiction administrative, la symbolique de la robe renforcerait directement l’adhésion à l’autorité. Cette évolution s’inscrirait dans les récentes évolutions qu’a connues la juridiction administrative liées au développement de l’oralité et à la rédaction des décisions ; – la fin des « considérants » doit s’accompagner de l’affirmation d’une nouvelle identité visuelle pour la juridiction administrative ».

Notre demande est légitime. Elle est attendue de l’immense majorité des magistrats administratifs et ne pas l’adopter serait incompréhensible, tant pour les justiciables que pour les magistrats.

Veuillez agréer, Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice, l’expression de ma sincère considération.

Emmanuel Laforêt

Président de l’USMA


[1] https://usma.fr/actualite/contribution-au-projet-de-loi-justice/

[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cejustice/l15b3296_rapport-enquete#

[3] https://usma.fr/usmag/le-port-de-la-robe/