Audition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023

L’USMA a été auditionnée le 5 octobre 2022 par le rapporteur spécial, M. Daniel Labaronne.

Quel bilan faites-vous de l’activité de l’USMA en 2022 ? Quelles sont vos priorités pour 2023 ?

Le nouveau bureau de l’Union syndicale des magistrats administratifs a été élu par le conseil syndical le 24 juin 2022. Il poursuivra les combats du syndicat créé en 1986, qui décline l’ensemble de ses actions autour de l’idée fondamentale que nous sommes des magistrats administratifs et non des administrateurs de l’État exerçant des fonctions juridictionnelles.

En 2022, l’entrée en vigueur de la réforme de la haute fonction publique, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, a donné encore plus de sens à nos revendications historiques :

  • Constitutionnaliser la juridiction administrative : elle seule permet de garantir son existence et son indépendance, avec une loi organique régissant les magistrats administratifs et les plaçant à l’abri de modifications de la haute fonction publique, au gré des alternances politiques. Elle permet également de rappeler notre fort attachement à la dualité de juridictions.
  • Créer un corps unique de magistrats administratifs de la première instance à la cassation.
  • Doter les magistrats administratifs des attributs attachés à la fonction de juger : la prestation de serment et le port de la robe pour l’ensemble de la juridiction administrative et, en cas de refus des membres du Conseil d’État, pour les seuls magistrats administratifs.

Sur le dernier point, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’indépendance du pouvoir judiciaire a écouté nos demandes et a préconisé le port de la robe et la prestation de serment. En février 2021, le CSTACAA a malheureusement rejeté la question du port de la robe mais a voté le principe de la prestation de serment pour l’ensemble de la juridiction administrative. Un texte a été proposé par le groupe de travail sur la solennité qui a rendu son rapport final en octobre 2021 et doit encore donner lieu à discussion. L’USMA s’inquiète du retard pris dans la mise en œuvre de la prestation de serment et a demandé l’inscription de cette question à l’ordre du jour du prochain CSTACAA afin qu’un texte soit prêt à être transmis à la chancellerie dès qu’un PJL « véhicule » pourra transporter ce projet, sur lequel nous avons également besoin de l’appui des parlementaires.

Parce que notre statut de magistrat doit conduire les pouvoirs publics à porter notre rémunération, garante de notre indépendance,à hauteur des responsabilités que nous avons toujours assumées, nous sommes heureux d’avoir obtenu en 2022, grâce à une action conjointe des organisations syndicales, une revalorisation importante de notre régime indemnitaire sans que l’équilibre entre la part fixe (75%) et la part variable (25%) de notre traitement ne s’en trouve modifié. La dernière revalorisation datait de 2009 !

En 2023, l’USMA sera pleinement mobilisée pour la revalorisation du   régime indiciaire des magistrats administratifs. A, « droit constant », nous la demandons en particulier pour les conseillers (Il est anormal que le début de carrière soit différencié avec les administrateurs de l’État) et les premiers conseillers (échelons 1 à 4) et pour les échelons du grade de président. Aujourd’hui pour les P1-P4, sauf promotion, il y a une limitation au HEBbis. Comme pour les administrateurs généraux, notre demande est l’ouverture à l’ancienneté du HEC (3 ans) HED (4 ans). L’indice doit être aligné sur la grille des administrateurs de l’État : compte tenu de la réalité de notre métier, avec ses contraintes et ses sujétions, de sa technicité, et de notre fonction dans l’État de droit, la différence de traitement qui prévaut aujourd’hui, et qui pourrait être aggravée demain avec la refonte de la grille des administrateurs de l’État, n’est plus justifiée.

Cette revalorisation est la juste contrepartie de notre charge de travail. A cet égard, l’USMA a réalisé un grand questionnaire, qui a recueilli des réponses représentatives de la part de de plus de 500 magistrats administratifs, afin d’identifier les « causes cachées ». Deux magistrats administratifs sur trois, selon les résultats du baromètre social organisé en 2021 par le Conseil d’Etat, avaient estimé leur charge de travail incompatible avec leur temps de travail et l’équilibre vie privée / vie pro.

Quel premier bilan faites-vous de l’activité respective du Conseil d’État, de la Cour nationale du droit d’asile, de la Commission du contentieux du stationnement payant et des autres juridictions administratives au cours de l’année 2022 ? Sur quelles difficultés rencontrées souhaiteriez-vous appeler l’attention du rapporteur spécial ?

Devant le CE, le nombre d’affaires enregistrées est reparti à la hausse, dépassant les chiffres déjà records de 2019 avec plus de 11 300 requêtes nouvelles en 2021. Le délai constaté de jugement des affaires ordinaires est de 1 an et 11 jours. 

Les entrées devant la CNDA ont augmenté de 48 % en 2021 (15% par rapport à 2019) avec 68 243 nouveaux recours enregistrés contre 46 043 l’année précédente. La Cour a rendu 68 403 décisions, soit une hausse évidente par rapport à 2020 42 025 mais également plus significative par rapport à 2019, qui avait déjà vu un nombre important de sorties à 66 464. Le délai moyen de jugement s’établit à 7 mois et 8 jours, ce qui représente une baisse de plus d’un mois par rapport à décembre 2020, année toutefois pas révélatrice en raison de la crise sanitaire. La proportion des affaires de plus d’un an en attente de jugement, qui était de 26,7 % à la fin de l’année 2020, ne s’élève plus qu’à 12,1 %. Quant au délai prévisible de jugement, il s’établit à 5 mois et 25 jours contre 9 mois et 17 jours en 2020.

La CCSP présente une situation inquiétante bien connue de M. le député Labaronne. Alors que cette juridiction administrative spécialisée a enregistré 160 000 requêtes en 2021[1], 100 000 requêtes de plus devraient être enregistrés en 2022 [2], tandis que ses effectifs ne lui ont permis de juger « que » 86 193 affaires en 2021.

Cette augmentation du nombre d’affaires est structurelle. Elle résulte de facteurs multiples, dont :

  • le durcissement du régime et du contrôle du stationnement en particulier dans les grandes villes comme Paris, qui est le plus gros pourvoyeur de recours contentieux portés devant la CSSP (ce qui devrait se confirmer avec la hausse du montants des forfaits de post-stationnement depuis le 1er août 2021 et l’extension du stationnement payant aux véhicules à deux-roues motorisés), Marseille, Montpellier, Lille et Bordeaux qui ont mis en place un dispositif de lecture automatisé des plaques d’immatriculation (LAPI).
  • l’inconstitutionnalité des dispositions faisant de l’obligation préalable de paiement une condition de recevabilité des recours devant la CCSP.

La juridiction a bénéficié en 2022 de la création de 3 postes supplémentaires de magistrats, portant l’effectif total théorique à 15 magistrats au 1er septembre 2022 contre 6 à sa création en 2018. Ce renfort, qui doit permettre la création d’une 3e chambre, doit impérativement s’accompagner de recrutements d’agents de greffe et d’assistants du contentieux, qui sont au total 146 en 2022, puisque chaque magistrat encadre un cabinet de trois assistants du contentieux. Nous rejoignons les conclusions du rapport d’activité de la CCSP afin que le plafond d’emploi des agents de greffe, qui relève du programme 216 du ministère de l’intérieur « conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », soit enfin relevé en 2023.

Nous sollicitons également pour cette juridiction administrative spécialisée une évolution symbolique vers une plus grande juridictionnalisation. Cela passe facilement par un changement de nom, également appelé par ses membres. Au lieu de « commission du contentieux du stationnement payant » cela pourrait être, sans changer l’acronyme, « cour contentieuse du stationnement payant ».

Enfin, la situation des TACAA est préoccupante.

Dans les TA, les entrées, qui étaient de l’ordre de 90 000 à 100 000 au premier semestre entre 2012 et 2018, sont montées à 123 520 au premier semestre de l’année 2022. Malgré une hausse constante des sorties, passant de 92 700 en 2013 à 124 676 en 2022, toujours pour le premier semestre, le stock des affaires en instance devant les TA continue de grossir (214 325 affaires au 30 juin 2022, soit +3,4%). Le stock de plus de deux ans est contenu dans les TA (9,5% cette année contre 9,7% l’an passé) mais reste inquiétant.

Les entrées en CAA connaissent en revanche une situation plus stable avec 35 700 entrées en 2019, 30 200 en 2020, 34 012 en 2021 et 16 174 au premier semestre 2022, soit une diminution de 11 %, permettant une diminution du stock de 3, 6 % (29 900 affaires). Il est toutefois encore trop tôt pour savoir si cette tendance est conjoncturelle ou structurelle.

Si l’on veut connaître les entrées sur une année complète dans les TA, elles étaient de 231 300 affaires en 2019 et de 241 000 affaires en 2021, ce qui confirme que, s’agissant des tribunaux, la baisse enregistrée en 2020 (210 000 entrées) était isolée et liée à la crise sanitaire.

Le délai constaté de jugement des affaires ordinaires continue de baisser :

L’USMA souhaite alerter les parlementaires sur la situation des tribunaux administratifs : le sens du service public des magistrats administratifs, qui travaillent à un rythme toujours plus soutenu, comme ils l’ont exprimé dans notre questionnaire sur la charge de travail et le traduisent ces chiffres, ne peut plus constituer la variable d’ajustement des pouvoirs publics. Les magistrats ont largement dépassé leurs limites de productivité et ne peuvent plus absorber la croissance du contentieux à effectif constant.

Il est impératif de recruter davantage de magistrats administratifs.

Outre le nombre de dossiers toujours plus importants à juger, notre questionnaire sur la charge de travail a mis en avant d’autres facteurs aggravant la charge de travail des magistrats administratifs.  Nous souhaitons particulièrement attirer l’attention des parlementaires sur les suivants :

  • L’inflation et complexification du droit et des procédures, plus particulièrement en droit et contentieux de l’urbanisme, de l’environnement et des étrangers,  
  • La multiplication du contentieux de l’urgence (référé et éloignement) et des procédures de juge unique,
  • Les transferts de charge dans un contexte de dématérialisation des procédures,
  • Les réorganisations en cours d’année avec des transferts de stock et des remplacements à effectuer.

Nous reviendrons sur ce dernier problème lorsque nous aborderons la réforme de la haute fonction publique.

Sur les trois premiers points, c’est en votre qualité de législateur mais également de contrôleur de l’action du Gouvernement et d’évaluateur des politiques publiques que nous nous adressons à vous.

  • Tout d’abord, nous vous alertons sur la tentation du « procès » fait à la juridiction : le JA n’est pas un frein à la mise en œuvre d’une politique publique par l’administration, pas plus que le JA n’exprime une opinion politique. Nous appliquons simplement les textes que vous avez votés, qu’ils soient nationaux ou européens ou internationaux.
  • Nous nous opposons donc par expérience à la suppression tant des recours administratifs que du double degré de juridiction que de l’instauration de délai de jugement contraints, tel que cela existe ou est en projet en matière d’urbanisme ou d’énergies renouvelables. A titre d’illustration dans son avis sur le PJL relatif à l’accélération des énergies renouvelables, le CE a relevé que l’idée sur laquelle semble reposer bons nombres de textes, selon laquelle le contentieux serait un frein à la mise en œuvre d’un projet de l’administration, est présupposé qui ne repose sur aucun constat étayé. Ces techniques n’accélèrent le traitement de ces dossiers, que parce qu’ils ralentissent ceux des autres ! 
  • Nous rappelons notre attachement à la collégialité, gage de qualité du jugement. Nous opposons donc à toute tentative, toujours au nom de la course aux indicateurs, d’étendre les matières jugées par un seul juge.

Ensuite, le contentieux des étrangers en situation irrégulière et de l’asile représente 44, 9 % des affaires enregistrées devant les TA et les CAA au premier semestre 2022. Le nombre d’affaires enregistrées a encore augmenté (+ 8,9% au premier semestre), avec en particulier une hausse des référés de 50,9 %, qui s’explique notamment par des dysfonctionnements administratifs, faute d’effectifs suffisants (refus de rdv pour déposer une demande de titre, refus de délivrance d’un récépissé de première demande qui est pourtant de droit, refus d’enregistrement d’une demande pourtant complète).  Les TA et les CAA étouffent sous le poids du contentieux « urgent » de l’éloignement, avec pas moins de 12 procédures différentes qu’il y a lieu de simplifier, alors paradoxalement que le taux d’exécution des mesures d’éloignement ne fait que baisser :

(Données issues du rapport national et local 2021 « centre et locaux de rétention administrative » du Groupe SOS solidarités, du forum réfugiés, de France Terre d’Asile, de la Cimade et de Solidarité Mayotte)

Nous rappelons à cette occasion que nous sommes le creuset de tous les dysfonctionnements de l’administration. Nous demandons, à ce que les dysfonctionnements que nous dénonçons, soient pris enfin en compte. Nous insistons réellement pour que la réforme de simplification du droit des étrangers suive les préconisations du rapport Stahl, faute de quoi nous nous mobiliserons contre toute vraie/fausse réforme de simplification du droit des étrangers, qui alourdirait notre charge de travail.

Quel regard portez-vous sur l’évolution prévue des moyens budgétaires et humains du programme 165 en 2023 ? De votre point de vue, ces moyens seront ils adéquats aux besoins respectifs du Conseil d’État, de la Cour nationale du droit d’asile, de la Commission du contentieux du stationnement payant et des autres juridictions administratives ?

Tout d’abord nous ne pouvons que faire nôtre le constat dressé que « la réduction des délais moyens de jugement constatés rencontrera bientôt ses limites : le juge administratif doit parvenir à concilier l’impératif de célérité avec l’impératif tout aussi essentiel de qualité de la justice rendue, dans un contexte de forte progression du contentieux qui devrait se poursuivre dans les années à venir ».

Nous approuvons bien évidemment l’exception au plafond de 3 % des crédits initiaux pour le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l’État », compte tenu du décalage en 2022 de plusieurs opérations informatiques et immobilières. La juridiction administrative est sur une brèche d’un point de vu informatique et il ne faut surtout pas que le portail contentieux échoue. Nous connaissons souvent des dysfonctionnement minimes mais qui sont handicapant dans le travail. Nous avons besoin d’outils performants

Les dépenses de fonctionnement et d’investissement (titre 3) augmentent et nous pouvons nous en réjouir.

En termes de dépenses de personnel (Titre 2) nous notons avec grande satisfaction une augmentation des crédits.

Nous nous félicitons que celle-ci corresponde notamment à la création de 41 emplois en 2023 et 2024, puis de 40 en 2025, 2026 et 2027 dont chaque année 25 magistrats et 15 agents de greffe.

Il est important que les documents budgétaires pérennisent la « fin du contingentement des premiers conseillers de l’accès à l’indice HEB Bis » qui bénéficie à 20 magistrats au 8ème échelon du grade de PC.

Nous sommes également satisfait de la revalorisation du grade de conseiller pour un montant de 80 000 euros, qui, au regard des 50 ETP concernés (soit une moyenne de 1 600 euros), correspond probablement aux deux premiers échelons. Il s’agissait d’une demande que nous avons porté expressément auprès de nos interlocuteurs ministériels. Cette mesure qui semble conjoncturelle et probablement insuffisante devra faire l’objet d’une refondation réelle dans la progression de carrière. Ceci est sans préjudice de notre demande d’alignement indiciaire de tous les échelons du grade de conseiller et des échelons des grades de premier conseillers et de président sur la grille des administrateurs de l’État.

Quel regard portez-vous sur la mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique et ses implications pour la juridiction administrative, notamment en termes de moyens budgétaires et humains ?

Les conséquences néfastes de la réforme de l’encadrement supérieur de l’Etat, que nous avions anticipées en alertant notre gestionnaire, pèsent d’ores et déjà sur l’organisation et le fonctionnement des juridictions administratives. L’USMA avait particulièrement critiqué l’obligation d’effectuer deux mobilités statutaires, en particulier si celles-ci doivent toutes deux se faire en dehors des juridictions administratives, compte tenu des risques de désorganisation des juridictions et au-delà du risque de perte d’indépendance des magistrats par rapport à l’administration.

Au 1er septembre de cette année, un nombre inédit de postes de magistrats s’annonçaient vacants. Les organisations sont fragilisées et les départs en mobilité au cours de l’année amènent les juridictions à fermer des formations de jugements. L’arrivée de nouveaux collègues en septembre 2022, formés en alternance, qui ne seront pas en capacité de traiter rapidement des dossiers et le tarissement du flux des arrivées des magistrats sortis de l’INSP viendront aggraver la situation.

Il est donc à prévoir pour 2023, une dégradation des indicateurs de productivité des juridictions administratives.

Compte tenu de ce que nous avons dit précédemment, la réforme de l’encadrement supérieur de l’État a des incidences sur la carrière des magistrats administratifs.

Elle est renforcée par la difficulté pour les magistrats administratifs, et surtout les magistrates, en régions de trouver des postes en mobilité sans que leur vie privée et familiale n’en paye le prix.

Elle est dévalorisante pour un métier exigeant, qui s’apprend sur le long terme.

Les conséquences en seraient une augmentation à prévoir des coûts (puisque tel est le sujet du jour).

C’est pourquoi à l’USMA, à défaut de pouvoir revenir au précédent système, nous préconisons que l’une des mobilités soit de nature géographique ou qu’elle puisse se faire au sein d’un autre degré de juridiction (dans un autre TA ou une CAA). A l’instar d’ailleurs de ce qui prévaut dans les lignes de directrices de gestion applicables aux administrateurs de l’État, une mobilité doit s’entendre comme une mobilité fonctionnelle, qui conduit à changer de domaine d’expertise métier ou de politique publique, une mobilité géographique, qui conduit à changer de résidence administrative ou une mobilité d’environnement professionnel.

Plus généralement, quelles remarques vous paraît appeler l’organisation actuelle de la justice administrative ?

L’organisation actuelle est équilibrée dans ses principes et déséquilibrée dans son fonctionnement.

L’équilibre peut être retrouvé :

  • s’il est possible de conserver les effectifs à un niveau satisfaisant, à contentieux constant aussi bien des magistrats que du greffe ;
  •  s’il est possible de conserver un recrutement de qualité et une formation tout au long de la carrière ;
  • si les tâches non contentieuses retrouvent un niveau raisonnable,
  • si les magistrats y trouvent la possibilité de faire carrière dans les juridictions et une rémunération attractive, compte tenu des servitudes liées à la fonction ;
  • s’ils ont la possibilité de concilier vie professionnelle et vie familiale (rappelons que 45 % des magistrats ne prennent pas leurs 5 semaines de congés par an, dont 9%  qui prennent moins de 15 jours, et que 80% travaillent pendant leurs congés) ;
  •  si le droit retrouve un niveau de qualité acceptable et une jurisprudence qui soit compréhensible et applicable !

Souhaitez-vous appeler l’attention du rapporteur spécial sur d’autres points particuliers ?

Nous souhaitons attirer votre attention sur l’importance du service public de la juridiction administrative pour les requérants. Elle est accessible à tous et gratuite. Elle est un garant de la bonne administration du pays. Mais elle ne pourra fonctionner qu’avec un nombre satisfaisant de magistrats.

Nous vous décourageons de céder aux sirènes de la « modernisation », dont l’idée serait d’automatiser les décisions de justice, dans une idée d’industrialiser l’acte de juger. Le droit est dit par des hommes et des femmes, pour des hommes et des femmes. Il demande du temps, de la sérénité et de la solennité, pour que le litige soit bien jugé et que la décision s’impose.

Les critères de la LOLF pour le programme 165[3], vieux de 15 ans, nous paraissent devoir être revus.

On peut tout d’abord s’interroger sur la pertinence à continuer la course à la réduction du délai moyen constaté de jugement des affaires, toujours regardé comme un indicateur prioritaire et représentatif de la réduction des délais de jugement. Le « bleu » fixe un délai cible de 9 mois en 2025, alors qu’il s’établit à 9 mois et 25 jours devant les TA, 10 mois et 23 jours devant les CAA et 5 mois et 22 jours devant le CE, soit bien en deçà du délai d’1 an fixé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 qui a été atteint en 2011.

Il y a un seuil en dessous duquel ce délai, qui doit correspondre à un délai normal d’instruction contradictoire des dossiers, ne saurait descendre.

Par ailleurs cet indicateur masque la réalité des dossiers dits « non urgents » qui souffrent d’un effet d’éviction. Or, si le stock des affaires de plus de 24 mois est pour le moment contenu à 5,2 % du stock total dans les cours et à 10 % dans les tribunaux, il se dégrade. Ce chiffre inquiète. Pour répondre au besoin de justice il est aussi nécessaire de réduire ce stock ancien, fait de dossiers de plus en plus lourds et complexes. Si l’on veut s’attaquer à ce stock, il faut accepter que l’indicateur du délai moyen se dégrade, freiner la pression statistique, et recruter encore davantage de magistrats et d’aides à la décision.

Enfin, le nombre d’affaires réglées par magistrats est bien loin de refléter la réalité du travail en juridiction des magistrats administratifs, de plus en plus occupés à remplir des missions non contentieuses (groupes de travail, commissions, etc) dans un contexte de report de charges accru par la dématérialisation des procédures.


[1] Rapport d’activité de la CSSP 2021

[2] Actes du colloque du 23 juin 2022 sur le droit du stationnement payant organisé par la CCSP 

[3] OBJECTIF 1 : Réduire les délais de jugement
INDICATEUR 1.1 : Délai moyen constaté de jugement des affaires
INDICATEUR 1.2 : Proportion d’affaires en stock enregistrées depuis plus de 2 ans au Conseil d’État, dans les
cours administratives d’appel et dans les tribunaux administratifs et depuis plus d’un an à la CNDA
OBJECTIF 2 : Maintenir la qualité des décisions juridictionnelles
INDICATEUR 2.1 : Taux d’annulation des décisions juridictionnelles
OBJECTIF 3 : Améliorer l’efficience des juridictions
INDICATEUR 3.1 : Nombre d’affaires réglées par membre du Conseil d’État, par magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ou par rapporteur de la Cour nationale du droit d’asile
INDICATEUR 3.2 : Nombre d’affaires réglées par agent de greffe

OBJECTIF 4 : Assurer l’efficacité du travail consultatif
INDICATEUR 4.1 : Proportion des textes examinés en moins de deux mois par les sections administratives du Conseil d’État